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DIMANCHE 5 LUNDI 6 AVRIL 2020 coronavirus| 11
Pourquoi il faut intensifier l’effort de « guerre »
Avant d’évoquer les modalités du déconfinement, la priorité doit être de limiter les chaînes de contamination
ANALYSE
A
dire vrai, l’on a parfois
du mal à comprendre
la stratégie suivie par le
gouvernement pour
lutter contre l’épidémie de Co
vid19. Le président de la Républi
que avait expliqué qu’il s’agissait
d’une « guerre » qu’il importait de
gagner. « A n’importe quel prix »,
avait ajouté Emmanuel Macron.
L’emploi de ce mot avait été criti
qué, mais il disait bien quel est
l’objectif final : vaincre l’épidé
mie, sinon terrasser le virus, au
moyen d’un traitement ou d’un
vaccin efficaces.
Devant la mission d’information
sur le Covid19, qui s’est réunie
pour la première fois le 1er avril, à
l’Assemblée nationale, le premier
ministre a usé d’un autre vocabu
laire. « Il est probable que nous ne
nous acheminions pas vers un dé
confinement général, en une fois,
partout et pour tout le monde », a
déclaré Edouard Philippe, ajoutant
que plusieurs « hypothèses » préva
lent. « Nous avons demandé à plu
sieurs équipes de travailler sur cette
question, atil ajouté, en étudiant
l’opportunité, la faisabilité d’un dé
confinement qui serait régionalisé,
qui serait sujet à une politique de
tests, en fonction, qui sait, de clas
ses d’âge. »
Mettons de côté la faisabilité de
ce qu’envisage le premier minis
tre, sur laquelle il y aurait beau
coup à dire, et concentronsnous
sur les « buts de guerre ». Le but, le
seul but, est de tenter de venir à
bout de l’épidémie. Faute de quoi,
il ne faudrait alors plus parler
d’épidémie, mais d’endémie. Pour
filer la métaphore guerrière, on fi
nirait par s’installer dans une
forme de cohabitation avec l’en
nemi. Cela arrive dans certains cas.
Le parasite de la gale, les poux, les
lentes sont endémiques. C’est en
nuyeux, chacun le sait, mais ce
n’est pas mortel. A la différence du
coronavirus. M. Philippe va donc
un peu vite en besogne en évo
quant dès à présent les modalités
du déconfinement. Un peu
comme si, en 1915, Clemenceau
s’était concentré sur la reconstruc
tion de la France.
L’heure est à la mobilisation gé
nérale. De plus en plus de voix,
aujourd’hui, s’élèvent pour que
soient mises en œuvre au plus vite
des stratégies dites « d’épidémio
logie d’action ». Jeudi 2 avril, sur
LCI, le professeur William Dab, an
cien directeur général de la santé
et épidémiologiste de renom, a
ainsi déclaré qu’en étant « sérieux
et rigoureux », nous pourrions évi
ter qu’in fine « 60 % de la popula
tion » finisse par être infectée.
Avec, à la clé, des dizaines, des cen
taines de milliers de décès. Pour ce
faire, atil insisté en se référant à
ce qui se fait actuellement en Espa
gne, « les personnes positives doi
vent être hébergées dans des struc
tures telles que des hôtels ». « On
peut casser cette épidémie si l’on
isole les personnes positives, ainsi
que celles qui ont été en contact
avec elles », atil ajouté.
« Six conditions »
Sur le même plateau de télévision,
le professeur Eric Caumes, chef du
service des maladies infectieuses à
l’hôpital de la PitiéSalpêtrière (Pa
ris), a martelé un message simi
laire. « Il faut tester, tester, tracer,
isoler et mettre en quarantaine »
ceux qui doivent l’être, atil dé
claré. « Dans une ville comme Paris,
les hôtels sont sousutilisés de ma
nière incroyable », a dit le profes
seur Caumes, ajoutant en subs
tance qu’en ne cassant pas ces mi
crochaînes de contamination, au
sein des familles, mais surtout au
sein d’institutions telles que les
Ehpad, on laisserait se développer
d’innombrables foyers infectieux.
Au moment où ces deux méde
cins réputés s’exprimaient, le
New England Journal of Medicine,
la plus prestigieuse revue médi
cale au monde, mettait en ligne
un éditorial signé par le « pape »
de la santé publique américaine,
l’ancien directeur de la Harvard
School of Public Health, Harvey V.
Fineberg. Il y récapitule les six
conditions qui permettraient
d’« écraser la courbe » de l’épidé
mie en dix semaines.
La quatrième condition vaut
d’être citée in extenso. Elle est ti
trée : « Classer la population en
cinq groupes et définir ce qui con
vient à chacun ». « Premièrement,
écrit le professeur Fineberg, nous
devons identifier ceux qui sont in
fectés ; deuxièmement, ceux que
l’on soupçonne d’être infectés
(c’estàdire, les personnes qui pré
sentent des signes et des symptô
mes laissant penser qu’elles
auraient été infectées, même si le
résultat du test est négatif) ; troisiè
mement, ceux qui ont été exposés ;
quatrièmement, ceux qui n’ont pas
été, à notre connaissance, infectés
ou exposés ; et cinquièmement,
ceux qui ont guéri après avoir été
infectés et qui ont développé une
immunité adéquate. »
« Nous devons agir, poursuitil,
en nous basant sur l’observation
des symptômes, sur des examens,
des tests (pour le moment, l’ana
lyse d’une réaction en chaîne par
polymérase pour détecter l’ARN du
virus) et l’identification des per
sonnes entrées en contact avec des
malades, nous pourrons ainsi sa
voir qui appartient à chacun des
quatre premiers groupes. Hospita
liser ceux qui sont sévèrement ma
lades ou les plus à risque. Etablir
des infirmeries dans les palais des
congrès inoccupés, par exemple,
pour soigner ceux qui ne sont que
faiblement ou modérément mala
des ou à faible risque ; mettre sur
pied une infirmerie d’isolement
pour tous les patients diminuera
les risques de transmission au sein
d’une famille. Convertir les hôtels
aujourd’hui vides en des centres de
quarantaine pour héberger ceux
qui ont été exposés et les séparer
de la population générale pour
deux semaines ; ce type de quaran
taine restera une solution envisa
geable tant que l’épidémie n’aura
pas explosé dans la région ou la
ville environnantes. »
« Pouvoir identifier ceux qui ap
partiennent au cinquième groupe
- ceux qui ont été infectés, sont
guéris et ont développé une immu
nité adéquate – nécessite le déve
loppement, l’homologation et le
déploiement de tests sérologiques,
précisetil. Prendre de telles me
sures permettrait de faire un
grand pas en avant et de redémar
rer certains secteurs de l’économie
rapidement et sans danger. »
C’est ainsi que l’on doit se battre
contre le coronavirus. En appli
quant avec le maximum de rigu
eur des stratégies globales que
connaissent bien les épidémiolo
gistes d’action, seule manière de
préserver autant que faire se peut
le système de prise en charge hos
pitalier, et, singulièrement, la ca
pacité de prise en charge des servi
ces de réanimation. Ensuite seule
ment, on pourra songer à déconfi
ner, pourquoi pas de façon
progressive, région par région. En
sachant que rien ne sera acquis
jusqu’à la découverte d’un traite
ment et d’un vaccin efficaces. Sans
ces derniers, il y restera un risque
pour que l’épidémie redémarre.
franck nouchi
« Il faut tester,
tracer, isoler
et mettre
en quarantaine
ceux qui
doivent l’être »
ÉRIC CAUMES
chef du service des maladies
infectieuses à l’hôpital
de la Pitié-Salpêtrière
Edouard Philippe en « territoire inexploré »
Le premier ministre, Edouard Philippe, a prévenu, lors d’une réu-
nion en ligne avec les députés de La République en marche (LRM)
vendredi 3 avril, qu’avec le coronavirus, « nous sommes entrés dans
un territoire inexploré », sur lequel pèsent de « lourdes menaces sa-
nitaire, économique, politique », selon l’AFP. « Il n’y a aucun précé-
dent à une épidémie de cette ampleur, à un arrêt aussi brutal et
massif de l’économie française et de l’économie de nos partenai-
res », a souligné M. Philippe. Les députés LRM vont engager de fa-
çon informelle « une réflexion sur l’après, le jour d’après », a indiqué
leur patron Gilles Le Gendre, selon lequel, après la crise, « nous de-
vrons concilier une obligation de réparation du pays » et une « trans-
formation longue » sur l’écologie, l’éducation ou l’économie.
« Les personnes
positives doivent
être hébergées
dans des
structures telles
que des hôtels »
WILLIAM DAB
épidémiologiste