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VENDREDI 3 AVRIL 2020 disparitions| 23
15 SEPTEMBRE 1932
Naissance à Baniyas (Syrie)
1970 Ministre des affaires
étrangères et vice-premier
ministre d’Hafez Al-Assad
1984 Vice-président de Syrie
2005 Exil en France
31 MARS 2020 Mort à Paris
23 novembre 1933 Nais-
sance à Debica (Pologne)
1961 « Threnos »,
en mémoire des victimes
d’Hiroshima
1966 « Passion selon
saint Luc »
1969 « Les Diables
de Loudun »
1984 « Requiem polonais »
1997 « 7e Symphonie. Les
Sept Portes de Jérusalem »
29 mars 2020 Mort
à Cracovie (Pologne)
Krzysztof Penderecki
Compositeur polonais
L
e compositeur polonais
Krzysztof Penderecki est
mort dimanche 29 mars
à Cracovie (Pologne), à
86 ans, des suites d’une longue
maladie. Représentant historique
de l’avantgarde européenne au
début des années 1960, au même
titre que son compatriote Witold
Lutoslawski (19131994), né vingt
ans avant lui, il avait ensuite
complètement changé de cap
pour livrer de vastes fresques à
dominante chorale et d’inspira
tion sacrée. Auteur de plusieurs
concertos destinés à de presti
gieux solistes, de huit sympho
nies et de quatre opéras, il avait
également été mis à contribution
par des cinéastes d’importance.
Krzysztof Penderecki naît le
23 novembre 1933 à Debiça, au
sudest de Cracovie, dans une fa
mille originaire des « marches
orientales » où se mêlent sangs
allemand et arménien. L’enfant
tâte du piano et se met à compo
ser dès l’âge de 6 ans. Si le violon
devient vite son instrument de
prédilection, la composition de
meure son objectif prioritaire.
Krzysztof Penderecki l’étudie
d’abord en privé avec Franciszek
Skolyszewski, puis à l’Académie
de Cracovie avec Stanislaw Wie
chowicz et Artur Malawski. Pro
fondément marqué par la mort
de ce dernier en 1957, l’étudiant
compose l’année suivante une
Epitaphe en mémoire de son pro
fesseur, mobilisant cordes et tim
bales. Il s’exprime alors claire
ment sous l’influence de Bela Bar
tok (18811945), comme en témoi
gnent ses Trois miniatures pour
clarinette et piano de 1956. Un duo
de 1959 (pour violon et piano),
portant le même titre, le situe do
rénavant dans la descendance
d’Anton Webern (18831945).
Radicalité instrumentale
La même année, Krzysztof Pende
recki se donne trois chances de fi
gurer au palmarès d’un concours
organisé à Varsovie pour les jeu
nes compositeurs en effectuant
trois envois sous des identités dif
férentes. Ses partitions ( Strophes,
Emanations et Psaumes de David )
raflent les trois prix. L’exploit
n’échappe pas au musicologue
Heinrich Ströbel (18981970), qui
lui passe commande d’une œuvre
pour le festival de musique con
temporaine de Donaueschingen
(Allemagne). Anaklasis, pour cor
des et percussions, fait sensation
lors de sa création, en 1960, dans
ce haut lieu de l’avantgarde.
L’année suivante, Threnos pro
duit le même effet lors de sa pre
mière audition, dans le cadre de
l’Automne de Varsovie. Cette par
tition, écrite « en mémoire des vic
times d’Hiroshima », utilise un or
chestre de 52 instruments à cor
des de manière inhabituelle, no
tamment en les traitant comme
des percussions (coups sur la
caisse de résonance ou sur le
manche). La notation, sans barres
de mesure mais avec des indica
tions en secondes, est également
inédite et use de longs àplats
noirs pour visualiser les taches
sonores ( clusters ), longuement
tenues ou affaissées sous la forme
de glissandos, qui caractérisent
une expression très plastique.
Dernière innovation (utilisée au
même moment par Witold Lutos
lawski dans ses Jeux vénitiens ), la
volonté de laisser des espa
ces d’improvisation aux inter
prètes : principe de l’« aléatoire
contrôlé ». Le résultat est élo
quent pour l’auditeur, qui, dans la
stridence des attaques de violons,
peut percevoir les cris des cibles
humaines de la bombe larguée
sur Hiroshima et, dans le four
millement bruitiste de l’orches
tre, les mouvements de panique
de la foule.
En 1962, Krzysztof Penderecki va
encore plus loin dans la voie de
la saturation qui le rapproche
d’un Xenakis (19222001) avec
Fluorescences, pour un grand or
chestre dont les six percussion
nistes sont munis de sifflets, de
sonnettes électriques, de sirènes
et de machines à écrire...
Contre toute attente, le compo
siteur abandonne la radicalité ins
trumentale au profit d’une voca
lité sacrée qui ne va pas de soi
dans la Pologne des années 1960,
sous tutelle soviétique. On lui re
tire son passeport après la créa
tion de son Stabat Mater (1962)
pour trois chœurs, et on ne sait
plus où le caser après l’audition de
sa Passion selon saint Luc (1966),
qui fait coexister chant grégo
rien et système dodécaphonique.
Commandée pour le 700e anni
versaire de la consécration de la
cathédrale de Münster, cette fres
que pour soprano, baryton, basse,
récitant, chœur d’enfants et or
chestre ouvre une période riche
en œuvres monumentales, quel
que soit le genre (symphonique
ou lyrique) adopté.
Veine néoromantique
Les sources d’inspiration de Pen
derecki ne manquent pas de dé
concerter. Après un Dies Irae
(1967) commandé pour l’inaugu
ration du mémorial en l’honneur
des victimes du fascisme (à
Auschwitz), il compose un opéra
sur un sujet sulfureux, Les Diables
de Loudun (1969). Les années 1970
confirment qu’il a clairement re
nié sa foi en la modernité. Son
premier concerto pour violon
(destiné à Isaac Stern), son opéra
conçu comme une « sacra rap
presentazione », Le Paradis perdu
(d’après Milton), et sa Deuxième
Symphonie (associée à la célé
bration de Noël) illustrent une
veine néoromantique qui va per
durer jusqu’au Te Deum (1980)
écrit en l’honneur de Jean Paul II,
premier pape polonais. Des mem
bres de Solidarnosc, morts lors
de la révolte des chantiers navals
de Gdansk, au père Maximilien
Kolbe (18941941), mort à Aus
chwitz pendant la guerre, c’est
son pays durement éprouvé que
Penderecki veut célébrer dans un
Requiem polonais (1984) plu
sieurs fois révisé.
En dehors d’un trio à cordes et
d’un Divertimento pour violon
celle (dédié à Mstislav Rostropo
vitch), la tendance des années
1990 est toujours à l’œuvre de
vastes proportions. Il en va ainsi
de la partition créée, en 1997,
« pour la plus grande gloire de
Dieu et les louanges éternelles de
sa Ville sainte » sous le titre Les
Sept Portes de Jérusalem , avant de
devenir La Septième Symphonie.
Qu’il s’agisse d’un concerto pour
piano ( Résurrection, composé en
réaction aux attentats du 11 sep
tembre 2001) ou d’une sympho
nie (la huitième , soustitrée
Chants de l’éphémère ), la musique
de Penderecki est toujours specta
culaire. Cela explique sans doute
qu’elle ait souvent servi au ci
néma, de L’Exorciste (1973) , de
William Friedkin, à Shutter Island
(2010) , de Martin Scorsese, en pas
sant par Shining (1980), de Stanley
Kubrick, et Sailor et Lula, (1990),
de David Lynch.
L’intégration de partitions ( Po
lymorphia [1961], par deux fois)
préexistantes à la bande originale
d’un film est toutefois à distin
guer des cas où une musique ori
ginale a été demandée au compo
siteur. Par exemple, pour Je
t’aime, je t’aime (1968), d’Alain
Resnais, et pour deux produc
tions de ses compatriotes : Le Ma
nuscrit trouvé à Saragosse (1965),
de Wojciech Has, et Katyn (2007),
d’Andrzej Wajda.
Après avoir composé la musi
que éprouvante du film de Wajda
sur les massacres perpétrés par
les Soviétiques à Katyn, Pende
recki avait tenté de retrouver la
sérénité dans l’arboretum qu’il
s’était constitué pendant plu
sieurs décennies à Luslawice (non
loin de Cracovie) en plantant plus
de 1 700 essences différentes. Le
monde végétal lui donnait tou
jours à penser. Ainsi dans « L’ar
bre intérieur », la première des
« cinq leçons pour une fin de siè
cle » réunies dans un ouvrage
paru en 1999 ( Le Labyrinthe du
temps , éditions Noir sur blanc), le
compositeur avaitil confessé être
« tenté tout ensemble par le sa
crum et le profanum, par Dieu et
par le diable, par l’élévation et par
son dépassement ».
Une déclaration à valeur de sé
same pour accéder au saint des
saints de sa création qui, pendant
un demisiècle, n’a cessé d’être
écartelée entre des aspirations
contraires, résolument esthéti
ques ou purement sonores.
pierre gervasoni
A Rome, en 1982. M. MENCARINI/LEEMAGE
Ancien viceprésident syrien
L’
ancien viceprésident
syrien Abdel Halim
Khaddam, qui a servi le
pouvoir baassiste pen
dant plus de trentecinq ans, sous
Hafez AlAssad puis sous son fils
Bachar, avant de s’exiler en France
au milieu des années 2000 et de
rallier l’opposition au régime de
Damas, est mort mardi 31 mars à
Paris, à l’âge de 87 ans.
Né le 15 septembre 1932, dans un
foyer sunnite de la côte, il rejoint
au début des années 1950 le Baas,
petit parti panarabe, laïcisant et
socialisant, qui étend peu à peu
son influence et s’empare du pou
voir en 1963. Sa proximité avec
l’un des instigateurs de ce coup
d’Etat, l’ambitieux colonel Hafez
AlAssad, issu de la minorité
alaouite, le propulse au cœur de
l’appareil d’Etat.
Avocat de formation, il est
nommé gouverneur de Hama et
de Damas, puis ministre de l’éco
nomie à la fin des années 1960.
Durant les déchirements que con
naît à cette époque le Baas, il reste
fidèle à Hafez AlAssad, qui évince
ses rivaux et prend le contrôle du
pays en 1970. Abdel Halim Khad
dam est récompensé de sa
loyauté par un poste de ministre
des affaires étrangères, qu’il con
serve jusqu’en 1984.
Caution sunnite du régime
Cette annéelà, il est promu à la
fonction de viceprésident. Cau
tion sunnite d’un régime à domi
nante alaouite, il devient la voix
de Hafez AlAssad sur la scène in
ternationale, notamment aux
sommets de la Ligue arabe. Il gère
parallèlement le jeu syrien au Li
ban, le pays voisin en pleine
guerre civile, où Damas a déployé
des troupes en 1976. Il noue des al
liances avec tous les belligérants à
tour de rôle, pour mieux les con
trôler et asseoir sa domination
sur cet Etat en lambeaux.
Dans les années 1990, Khaddam
se rapproche de l’affairiste liba
nais Rafic Hariri, l’homme fort de
l’aprèsguerre, avec lequel il se
partage le gâteau de la reconstruc
tion. Le proconsul syrien, « qui
contrôle l’appareil judiciaire liba
nais, lève les obstacles juridiques
aux entreprises de Hariri » , tandis
que celuici, devenu premier mi
nistre, « facilite la participation oc
culte de Khaddam dans des sec
teurs en rapide expansion, comme
la téléphonie mobile » , écrit la poli
tiste Elizabeth Picard dans Liban
Syrie, intimes étrangers (Actes
Sud, 2016).
En 1998, la décision de Hafez
AlAssad de confier le dossier liba
nais à son fils Bachar, qu’il pré
pare à prendre sa suite, amorce
le déclin de Khaddam. En posi
tion pour revendiquer la succes
sion, le numéro deux du régime
syrien est contraint de suivre le
mouvement. A la mort du « lion
de Damas » en 2000, il assure
l’intérim de la présidence pen
dant quelques semaines, le temps
que Bachar AlAssad soit élu.
Gardien du temple baassiste, il
participe à la mise au pas du
« printemps de Damas », la brève
phase de dégel démocratique qui
a suivi la transition.
Mais sa marginalisation se
poursuit. Le nouveau président,
cien cacique et les islamistes vole
en éclats en 2009.
Abdel Halim Khaddam tente à
nouveau sa chance en novem
bre 2011. Huit mois après le début
du soulèvement antiAssad, il
établit le Comité national de sou
tien à la révolution syrienne. Mais
cet effort pour coopter l’opposi
tion au régime avorte une nou
velle fois.
Malgré ses mea culpa, l’homme
est toujours resté associé à la dic
tature des Assad, qu’il a servie
sans mot dire pendant plus de
trois décennies.
benjamin barthe
En 2011. THIERRY ROGE/REUTERS
qui a besoin d’imposer sa mar
que, écarte les membres de la
vieille garde l’un après l’autre. En
juin 2005, quelques semaines
après le retrait de l’armée sy
rienne du Liban, consécutif à
l’assassinat de Rafic Hariri, Khad
dam fait défection. Il s’installe à
Paris, dans un fastueux hôtel par
ticulier de l’avenue Foch. Un ca
deau de l’expremier ministre li
banais qui avait précédemment
appartenu à l’armateur grec Aris
tote Onassis.
Exil en France
En décembre 2005, dans une in
terview à la chaîne saoudienne
AlArabiya, il désigne Bachar Al
Assad comme le commanditaire
de l’attentat fatal à Hariri. Une
accusation rejetée par Damas.
Dans la foulée, il se rapproche des
Frères musulmans syriens, avec
lesquels il crée un mouvement
d’opposition, le Front de salut na
tional, qu’il présente comme une
alternative à un régime qui serait
aux abois. Mais cet attelage parti
culièrement baroque entre l’an
Abdel Halim Khaddam