Libération Lundi 6 Avril 2020 u 25
mais des gens basculent à l’opposé, font des
choses pseudo-aléatoires, ça fait aussi partie
des évolutions et découvertes.» Lui-même a ap-
pris à jouer au côté de Lydia Kavina, du clan
Theremin, à qui Léon avait transmis son sa-
voir en Russie. Son arrière-petit-fils, Peter
Theremin, 28 ans, s’implique lui aussi dans
l’héritage familial en fondant la première
école de thérémine à Moscou, l’unique autre
école du genre étant au Japon, l’Europe fonc-
tionnant avec le système de Theremin Aca-
demy itinérante. «Chacune de ces formations
a sa propre approche, son propre concept, sa
propre tradition, nous explique Peter There-
min par tchat. Les thérémines de Moog ont
grandement abîmé la perception de l’authen-
tique thérémine dans la société. Selon moi, au-
jourd’hui, les modèles de thérémine devraient
revenir à l’approche initiale de Léon Theremin,
c’est la seule voie pour favoriser le développe-
ment du thérémine classique.» Peter Theremin
vient de clore une grande compétition de vi-
déos appelée Theremin Star Competition et
de couronner la Française hYrtis, qui a appris
en autodidacte et «aspire à développer un ré-
pertoire consacré à la musique sacrée». Elle se
produira devant la famille Theremin au The-
reminology Festival à Saint-Pétersbourg à
l’automne à l’occasion du centenaire de l’ins-
trument. «Léon Theremin a fait un grand don
à l’humanité, il est normal que des gens expri-
ment leur gratitude et leur joie», nous confie
Peter Theremin, qui devrait partager lors de
workshops à Paris, repoussés à la fin du mois
de juin, le virus du thérémine se transmettant
sans effets notoires dans les airs.•
Dates des prochains ateliers et concerts de
thérémine sur la plateforme française
etheremine.com
Léon Theremin,
des salons
new-yorkais
au goulag
C’était il y a un siècle. Léon
Theremin faisait une découverte
qui continuerait de faire vibrer le
monde de la musique cent ans
après, précipitant une vie en
dents de scie, de magicien
fascinant les salons new-yorkais
à prisonnier du goulag.
Né à Saint-Pétersbourg en 1896,
le physicien travaillait sur un
instrument capable de mesurer
la densité des gaz quand il
découvrit que son corps
provoquait des sifflements sur
sa machine. Il développa à partir
de cette découverte le premier
instrument de musique
fonctionnant avec des oscillateurs
électroniques. Ce fut Lénine
qui l’incita à partir en tournée
internationale d’agit-prop
technologique et artistique pour
en faire la démonstration.
En France, il fera des étincelles :
«Le professeur Theremin fait un
début triomphal en présentant
“la musique éthérée”», titre le Petit
Journal en 1927. Aux Etats-Unis,
dans les années 30, il se produira
avec sa muse Clara Rockmore,
devenue ambassadrice de
l’instrument au timbre vacillant.
Malheureusement l’instrument se
révélera trop difficile à jouer pour
le public : après l’interruption de
sa fabrication, Theremin
multipliera les projets fous et
fantasmera des champs
magnétiques capables de
remplacer les ponts, des modules
capables d’ouvrir les portes à
distance, un pôle de sécurité pour
la prison d’Alcatraz. Mais
kidnappé aux Etats-Unis en 1938,
il sera déporté au goulag.
Réhabilité en 1956, il restera
employé du KGB pendant qu’aux
Etats-Unis, le jeune Robert Moog
commencera à commercialiser
l’instrument. C’est seulement
après une enquête du New York
Times au début des années 60
que le monde occidental
découvrira que Léon Theremin
était toujours vivant. C.Le.
Léon Theremin dans
son laboratoire en 1974.
Photo Science Photo
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