Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1

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SAMEDI 28 MARS 2020 coronavirus | 3


sée à 66 % d’actifs (10 % sont des retraités de­
puis moins de cinq ans).
Leur intégration se fait en général plutôt
facilement. Jean­Pierre Pigault, 72 ans, mé­
decin généraliste, a exercé pendant une
quarantaine d’années en Seine­Maritime
puis à Saint­Emilion (Gironde). Inscrit à la
réserve depuis trois ans, il a été envoyé à
l’hôpital de Vannes le 16 février. « En ce mo­
ment, on a besoin de nous, alors on est plutôt
bien accueillis. A Vannes, on était une bande
de “vieux”, c’était très sympa. Mais, parfois,
cela peut être plus compliqué. » Et de se rap­
peler une mission à l’hôpital de Troyes, dans
un service de pédiatrie. « Il y avait des pro­
blèmes humains, les internes ne voulaient
plus y travailler et quand on est arrivés, on est
passés pour des “briseurs de grève”. »

UNE SOUPLESSE PRÉCIEUSE
A Vannes, le médecin a côtoyé François
Dain, 67 ans, médecin généraliste retraité,
qui a exercé à Levallois­Perret (Hauts­de­
Seine), puis à Nouméa. Inscrit à la ré­
serve depuis 2016, ce dernier a effectué di­
verses missions, à Mayotte ou encore sur
l’île de Saint­Martin. « Sur le Covid­19, j’ai
d’abord fait l’aéroport Charles­de­Gaulle
pour accueillir les voyageurs revenant de
Chine. Puis j’ai été envoyé à Vannes, du 9
au 23 mars, pour faire de l’accueil et du
dépistage » , raconte­t­il.
Lui aussi témoigne de l’excellent accueil :
« Notre présence permet de libérer des
personnes qui peuvent prendre un peu de
repos ou aller renforcer d’autres services. »
Une souplesse précieuse pour une crise sa­
nitaire qui s’annonce longue.
rémi barroux
et rémi dupré

A l’hôpital
de Vannes,
le 20 mars, où
des réservistes
ont été postés.
STEPHANE MAHE/REUTERS

Un urgentiste à la tête de la région Grand­Est


Jean Rottner est l’omniprésent président de l’une des régions les plus touchées par le virus


PORTRAIT


E


n ce mercredi 25 mars, dif­
ficile de savoir ce qui a
le plus surpris les Mulhou­
siens. L’arrivée impromptue
d’Emmanuel Macron, venu au
chevet de leur ville malade de
l’épidémie de Covid­19? Ou l’ab­
sence à son côté de Jean Rottner?
Depuis le début de la crise, le pré­
sident (Les Républicains, LR) de la
région Grand­Est est devenu
l’omniprésent visage de l’épidé­
mie, dans cette région meurtrie.
L’ancien maire de la ville s’est
empressé de rassurer tout le
monde. Après avoir « ressenti
quelques symptômes », il a sim­
plement réagi en médecin, dit­il,
et s’est totalement confiné. Il va
« déjà mieux », assure­t­il par SMS.
Dans les starting­blocks pour
reprendre son marathon de réu­
nions de crise et d’interviews
accordées à la chaîne.
A 53 ans, Jean Rottner passe
de micro en micro pour alerter
sur la « catastrophe » qui s’abat,
sur le « rouleau compresseur » qui
avance sur l’Alsace. Cela fait main­
tenant plus de trois semaines que
ça dure. Mulhouse (Haut­Rhin)
est devenu un des premiers
foyers de propagation de l’épidé­
mie de Covid­19, début mars.
C’est en 2002 que les Mulhou­
siens ont pour la première fois
découvert Jean Rottner. Ce jeune
médecin affable faisait alors
campagne pour Arlette Grosskost
(UMP), candidate à la députation
au verbe aussi épicé que le sien est
policé. Il était médecin, venait de
l’UDF, elle était avocate, gaulliste.
« C’était chouette, cette affiche » ,
se souvient­elle. A la télé, France 2
diffusait Urgences , et M6 Ally
McBeal. Le tandem a battu Jean­
Marie Bockel, le maire de la ville.

Grosskost a rejoint l’Assemblée
nationale, avec Rottner comme
suppléant.
Dix­huit ans plus tard, l’effet
blouse blanche fonctionne tou­
jours, dans un contexte désor­
mais beaucoup plus dramatique.
Politique et urgentiste, c’est le
combo gagnant du moment.
« Général du Grand­Est » dans la
« guerre » menée contre l’épi­
démie, ose un de ses proches col­
laborateurs, Jean Rottner est de­
venu incontournable.

Incontournable
Comme d’autres, il a pourtant
d’abord mis un peu de temps à
mesurer la menace du Covid­19.
Il a multiplié les messages rassu­
rants. Un président de région
s’occupe de l’économie, même
quand il est médecin... « On avait
fermé les écoles, mais on a laissé
les commerces ouverts. J’ai moi­
même fait des messages pour ap­
peler à ne pas les déserter. On sou­
haitait laisser un minimum d’acti­
vité. Et puis, en quelques jours, on a
vu les chiffres de contaminés ex­
ploser, on s’est dit que quelque
chose ne fonctionnait plus. »
La vague, de fait, a percuté
Mulhouse plus vite qu’ailleurs, en
même temps qu’elle assommait
l’Oise. On parlait encore de
« cluster », comme si le reste de la
France pouvait être préservé. « J’ai
alerté le président la première fois
le 5 mars, quelques jours après
qu’on a constaté la montée en
charge ici, explique Jean Rottner.
Je lui ai dit : “Il y a la moyenne
nationale et ce que nous ressen­
tons localement.” »
Le politique Rottner a désor­
mais rangé ses poignées de main.
Le voilà donc « confiné derrière
[son] bureau, en télétravail et en
visioconférence », imprimant lui­

même ses attestations de sortie.
« Il est courageux, bagarreur, il y
va », observe Philippe Richert,
son prédécesseur. « Il a l’ADN de
l’urgentiste, celui de la gestion de
crise », se félicite François Braun,
président du SAMU­Urgences de
France, qui exerce de l’autre côté
des Vosges, à Metz.
« Aux urgences, à 35 ans, je gérais
un service de 180 personnes, je me
suis formé sur le tas », explique
Jean Rottner. L’un de ses récents
faits d’armes : avoir senti la polé­
mique monter et avoir com­
mandé des centaines de milliers
de masques pour les médecins de
la région, quand l’Etat n’assumait
pas son rôle. « Quand j’ai décou­
vert cette histoire de manque de
masques, ça m’a rendu furieux »,
assure­t­il, comme un soignant.
Les couloirs des hôpitaux de
Mulhouse, ce fils d’instituteurs
les connaît bien. Chef de service
des urgences de 2005 à 2009, il est
aujourd’hui président du conseil
de surveillance du Groupe hospi­
talier de la région de Mulhouse et
Sud­Alsace. Un gros navire qui
a tangué fin 2019, avec un impor­
tant mouvement social aux ur­
gences, qui menaçaient ruine.
Le politique avait alors décidé de
renfiler sa blouse blanche pour as­
surer l’intérim dans le service... en
s’offrant un joli coup de com. Dans
les salles de garde, certains ne se

sont pas privés de ricaner. Mais
d’autres ont apprécié qu’il mouille
la blouse pour obtenir des
moyens. « Il est sincère dans son
engagement d’urgentiste, c’est sa
vie », le défend Jean­Marie Bockel.
Son fils est également médecin,
aux urgences pédiatriques. « Pen­
dant des mois, il n’a rien fait pour
l’hôpital, puis, là, tout un coup...
Chez lui, tout est calculé », s’irrite
en revanche une opposante. Jean
Rottner, rappellent ceux qui ne
l’aiment guère, a vigoureusement
combattu la création de la région
Grand­Est, où l’Alsace est diluée,
avant d’en prendre la tête.

« Habile » et « pragmatique »
C’est en 2008 que le politique
− « habile » et « pragmatique »,
disent les uns, « opportuniste » et
« manœuvrier », préfèrent d’au­
tres − a vraiment pris le pas sur le
praticien hospitalier. Jean­Marie
Bockel, l’ennemi d’hier, l’a pris
sous son aile pour en faire
son successeur à la mairie de
Mulhouse. Un passage de témoin
en cours de mandat, qui a permis
à la droite de mettre la main
sur la ville. Et à Bockel, transfuge
socialiste, de rejoindre le gouver­
nement, ministre « d’ouverture »
de Nicolas Sarkozy.
Arlette Grosskost, qui voyait
Rottner comme « son petit frère »,
n’a jamais pardonné à son ex­
poulain d’avoir pris son indépen­
dance. « Je l’ai lancé. Il a trahi. C’est
un centriste parfait, qui suit le
vent », assène­t­elle, désormais
retirée de la politique. Mais cette
crise sanitaire justifie l’union sa­
crée, ou presque : « Bien sûr, il se
sert de cette situation pour lui­
même, juge­t­elle. Mais si ça peut
servir l’Alsace, alors tant mieux. » 
pierre jaxel­truer
et samuel laurent

Les ambulanciers soumis à rude épreuve


Mandatés par le SAMU, ils font face à une pénurie de matériel et une baisse de leurs activités


C


e sont les premiers mail­
lons de la chaîne des ur­
gences préhospitalières,
les premiers à arriver au chevet des
malades infectés ou suspectés de
l’être. Depuis le début de la pandé­
mie, les ambulanciers du secteur
privé sont mandatés par le SAMU
pour acheminer des patients vers
les centres d’urgences et effectuer
des transferts interhospitaliers.
Eux ont plutôt l’impression d’être
les derniers de cordée.
Chaque transport à risque né­
cessite masques FFP2, charlottes,
surblouses, surchaussures, paires
de gants et lunettes de protection
de façon à ne pas être exposé.
Mais n’étant pas reconnus
comme des professionnels de
santé, les ambulanciers ne sont
pas prioritaires dans la distribu­
tion du matériel commandé par
l’Etat et les services publics.

« Mendier des masques »
« On est des laissés­pour­compte.
On essaie de rationner et on n’ap­
plique absolument pas le proto­
cole : comme on n’a pas de mas­
ques FFP2, on utilise des masques
chirurgicaux qui ont une utilité li­
mitée. Au ministère, ils m’ont expli­
qué qu’ils étaient aussi efficaces
que les FFP2 et que les 250 millions
de masques commandés allaient
être distribués dans les prochai­
nes semaines sauf qu’on arrive au
pic », constate, résigné, Rachid
Soukhmani, président de l’Asso­
ciation pour la défense des trans­
porteurs sanitaires (ADTS) et pa­
tron d’une entreprise de neuf sa­
lariés. Jeudi 26 mars, l’agence ré­
gionale de santé (ARS) d’Ile­de­

France lui a fait savoir que des
masques chirurgicaux allaient
être distribués au compte­gout­
tes, à hauteur d’une boîte de
50 par semaine et par société.
Le Collectif des ambulanciers pa­
risiens et d’Ile­de­France dénonce
également ce principe du « pre­
mier arrivé, dernier servi » : « L’am­
bulance est l’un des premiers vec­
teurs de germes, on transporte des
patients qui sont immunodépres­
sifs », rappelle l’un de ses respon­
sables désireux de garder l’anony­
mat. Lui­même, dont la société est
mandatée par le SAMU de Paris et
l’AP­HP, a été contraint de « men­
dier des masques » à la société qui
lui fournit de l’oxygène.
En Ile­de­France, les transpor­
teurs sanitaires privés sont davan­
tage sollicités par le SAMU qu’en
temps normal. « Lundi, on leur a
attribué 200 missions pour le seul
Val­de­Marne », précise Charlotte
Chollet­Xémard, directrice médi­
cale adjointe du SAMU 94, qui dis­
pose de quatorze véhicules d’asso­
ciations agréées de sécurité civile
(Croix­Blanche, Croix­Rouge...).
Pour le moment, l’ARS n’a pro­
cédé à aucune réquisition.
« Ça simplifierait les choses, car j’ai
pu constater qu’un certain nom­
bre d’ambulanciers ont peur de
transporter ces patients­là et
refusent des interventions », es­
time Frédéric Adnet, directeur du
SAMU 93, qui reçoit 7 000 appels
par jour, quatre fois plus que le
nombre habituel.
Si en raison du plan blanc dé­
clenché dans les hôpitaux et les
cliniques, les consultations et les
opérations non urgentes ont été

reportées, les ambulances privées
continuent d’assurer le transport
de patients nécessitant des dial­
yses ou suivant une chimiothéra­
pie, par exemple. Mais ces trans­
ports ne compensent pas la perte
globale d’activité.
« On n’a pas plus d’activité ur­
gente qu’en temps normal, car il y a
beaucoup moins de gens qui vont à
l’hôpital du fait du confinement.
Par contre, on a chuté de 70 % en
activité programmée du fait des
fermetures des cliniques, des soins
de kinésithérapie et tous ceux non
urgents », explique Jean­Jacques
Hézard, cogérant du groupe Hé­
zard, adhérent au réseau Jussieu
secours. Ses sept sociétés de trans­
ports sanitaires, qui desservent le
Doubs, le Territoire de Belfort et la
Haute­Saône, assurent, en temps
normal, entre 400 et 500 mis­
sions par jour. « Financièrement,
on ne sait pas comment on va
passer le cap. On réglera les comp­
tes après la crise. »

« Désinfection complète »
Fabrice Jeannerod, gérant d’une
société d’ambulances à Pontarlier
et président de l’Association pour
les transports sanitaires urgents
du Doubs, reçoit depuis le 23 mars
de nombreux appels de confrères
désemparés : « C’est catastrophi­
que. On est déjà une profession en
grande difficulté économique, il y a
des entreprises qui vont s’écrouler,
dont peut­être la mienne. » Son
activité a déjà baissé de 65 %.
Certains soulèvent un autre pro­
blème auquel ils font face depuis
le début de la crise sanitaire :
les protocoles sont beaucoup plus

chronophages. Pour respecter
les procédures de désinfection,
les véhicules sont immobilisés
« au minimum trente minutes et
une bonne heure en cas de désin­
fection complète », explique Jean­
Jacques Hézard.
Mardi 24 mars, l’Union fédérale
route FGTE­CFDT a publié un com­
muniqué demandant que soient
appliqués aux 55 000 salariés que
représente la profession « les mê­
mes protocoles et sources d’appro­
visionnement que toutes les corpo­
rations en contact avec des pa­
tients potentiellement infectés »,
menaçant, en l’absence de mesu­
res immédiates des pouvoirs pu­
blics, d’exercer leur droit de retrait.
Les salariés du secteur se disent
inquiets pour leur santé et celle de
leur famille. Les chefs d’entre­
prise s’interrogent, eux, sur leur
responsabilité en cas de consé­
quences d’exposition au Covid­
lors d’interventions dans des
zones à risque. Faute de matériel,
certaines sociétés ont dû se
résoudre à baisser le rideau pour
ne pas mettre en péril la vie de
leurs employés.
Malgré toutes les précautions,
deux salariés de Fabrice Jeanne­
rod ont été contaminés. En Italie,
un ambulancier originaire de la
province de Bergame est décédé le
14 mars. « Il ne faudrait pas que
cela se produise en France. Chaque
jour on a cette crainte, confie Ra­
chid Soukhmani. Il y avait déjà des
problèmes pour recruter du per­
sonnel dans le transport sani­
taire, là, ça va devenir extrême­
ment compliqué... » 
elisabeth pineau

L’UN DE SES RÉCENTS 


FAITS D’ARMES : AVOIR 


SENTI LA POLÉMIQUE 


MONTER ET COMMANDÉ 


DES CENTAINES DE 


MILLIERS DE MASQUES


Edouard Philippe prédit une « vague
extrêmement élevée » de l’épidémie
Le premier ministre a mis en garde, vendredi 27 mars au matin,
contre « la vague extrêmement élevée » de l’épidémie due au coro-
navirus qui « déferle sur la France », prédisant que « la situation va
être difficile pendant les jours qui viennent ». « Nous nous installons
dans une crise qui va durer, dans une situation sanitaire qui ne va
pas s’améliorer rapidement. Il va falloir tenir » , a exhorté Edouard
Philippe après une visioconférence avec l’ensemble du gouverne-
ment, de la cellule interministérielle de crise installée au minis-
tère de l’intérieur. Un conseil des ministres « complémentaire »
devait se réunit, vendredi après-midi, pour adopter les cinq der-
nières ordonnances de la loi sur l’état d’urgence sanitaire.
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