Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

12 u Libération Vendredi 3 Avril 2020


siment 0 % la deuxième. Il ne nous reste
que deux clients : Monsieur Marguerite, une
plateforme de vente en ligne, et une petite
épicerie qui vend des fleurs dans sa boutique.
Mais ça ne paye rien. Notre syndicat se dé-
mène pour qu’on ait des indemnisations,
mais ça ne compensera pas les pertes. L’Etat
dit qu’on pouvait reporter les échéances,
mais le chiffre d’affaires que je ne fais pas là,
je ne le ferai pas plus tard. On est installé
­depuis un an, on n’a pas de trésorerie et
des crédits. Ça fait flipper, on ne sait pas si
va pouvoir s’en sortir... Notre filière était déjà
en fin de vie, et tout le monde est touché.
Si on ne nous aide pas, il n’y aura plus de
fleurs françaises, et ce savoir précieux risque
de disparaître.»

«L’année 2020 va
être catastrophique»
Yannick Ainouche, PDG d’Ex’im,
société de diagnostics immobiliers
à Marcq-en-Barœul (Nord)

«A l’heure actuelle, 100 % de nos agences sont
à l’arrêt. Nous en avons 105, pour 480 salariés
et 38 millions d’euros de chiffre d’affaires. En
raison du ­confinement, elles ne font plus de
ventes, ni de visites. Nous n’avons donc au-
cune rentrée. Tous nos collaborateurs sont au
chômage partiel. Dans notre activité, la
masse salariale représente 75 % de nos char-

Aux Serres de Misery
(Vert-le-Petit, Essonne),
l’exploitation de l’horticultrice
Séverine Hervy, mardi.

ges. Pour assurer ces paiements, nous avons
un ou deux mois de trésorerie maximum se-
lon nos agences. Pour nous, il est vital que
l’Etat soit au rendez-vous de ce qu’il a an-
noncé sur la prise en charge de l’activité par-
tielle. S’il n’alimente pas notre trésorerie, on
ne pourra pas tenir.
«Nous avons versé les salaires de mars,
dont la moitié en chômage partiel, et nous
­attendons le remboursement de l’Etat. Nous
avons aussi décalé nos crédits d’investisse-
ments de six mois auprès des banques et gelé
les loyers de certaines
agences. Je reste in-
quiet. L’année 2020 va
être catastrophique. Au
­départ, je modélisais
une reprise de l’activité
en juin, mais je ne crois
plus qu’elle sera aussi
rapide. Ce sera plutôt
septembre. Je suis très
satisfait des réponses de l’Etat ­jusqu’à présent,
mais il faudra un plan Marshall au niveau eu-
ropéen, pour réindustrialiser la France, retra-
vailler le tissu économique et industrie. Cette
crise, c’est la fin de la mondialisation.»
Recueilli par François Carrel,
Pierre-Henri Allain, Sheerazad
Chekaik-Chaila, Mathilde Fré-
nois, Maïté Darnault, Juliette
Deborde et Jérôme Lefilliâtre
Photo Denis ALlard

DR

«Toute notre récolte
est foutue»
Séverine Hervy, horticultrice, cogérante
des Serres de Misery, production de fleurs
coupées à Vert-le-Petit (Essonne)

«Notre saison des tulipes c’est mars-avril. Sur
cette période, on n’a pu travailler que quinze
jours. On n’a plus de moyens de commerciali-
ser notre production. Les fleuristes ont dû fer-
mer. Rungis Fleurs, où on fait habituellement
quatre ventes par semaine, a arrêté. Il y a
aussi les décorateurs, 20 % de notre chiffre
d’affaires, qui sont touchés par les annula-
tions d’événements, de mariages. Toute notre
récolte est foutue : les fleurs ont fini à la
benne. Cela représente un quart de notre chif-
fre d’affaires annuel. La tulipe se récolte sept
jours sur sept, voire
deux fois par jour.
Chaque jour qui passe,
c’est une récolte en
moins.
«Avec mon mari, on a
mis nos 8 salariés au
chômage technique.
Moi, je me consacre
aux démarches admi-
nistratives pour le chômage et à quelques
plantations, des giroflées et des œillets de
poète, qui pourront être récoltées cet été.
La première semaine, on a fait à peine 10 %
ou 15 % de notre chiffre d’affaires prévu, qua-

Denis Allard

des pommes de terre. Il y
a une double crainte : au-delà de ne pas con-
naître la date de fin du confinement, c’est de
ne pas savoir si nos participants auront
les moyens de se déplacer pour nos courses.
Ces épreuves imposent une préparation qui
est impossible. On est 4 salariés, tous au chô-
mage technique. Le point particulier c’est
qu’en plus de nos fournisseurs, de nos presta-
taires et freelances, toute une chaîne mar-
chande gravite autour
de nous : des associa-
tions, partenaires et
sponsors, des com-
merces. Quand vous
avez 1 500 participants,
ce sont 1 500 person-
nes qui remettent leur
VTT à niveau et achè-
tent des gants ou un
casque. Ces entreprises sont aussi à l’arrêt. On
a un partenaire américain qui a mis un contrat
entre parenthèses. On prie pour qu’un gros
partenaire britannique ne prenne pas la même
décision. Si on perd celui-là, ce sera difficile
de se relever. Mais je reste positif : on existe de-
puis trente-cinq ans, on survivra.
«On a monté une demande d’habilitation mais
personne ne sait si les salaires vont être pris
en charge. Il ne faut pas jouer au capitaliste de
service : la thune, on va la redistribuer à nos
salariés et on paiera les loyers. Notre plus gros
problème, c’est l’exercice comptable : on ne
peut pas connaître le manque à gagner. Tout
le monde est dans la même difficulté : il faut
l’accepter. Mais on exerce un métier où on a
l’habitude d’être très inquiets, notamment
avec la météo. On est rompu à ce stress.»

«Si je n’ai plus de bois,
c’est rideau»
Clément Tournier, 31 ans, charpentier
et patron de l’entreprise C2C, à Lyon

«Je suis tout petit, mon chiffre d’affaires an-
nuel est de 350 000 euros. Quand le confine-
ment a été décidé, j’avais assez de trésorerie
pour tenir deux mois sans rien faire. J’ai un
apprenti et j’embauche régulièrement un ou
deux sous-traitants qui ont leur micro-entre-
prise et viennent m’aider en fonction du chan-
tier. Dès le début, j’ai mis mon apprenti en
chômage partiel pour deux semaines. J’ai
­repris le travail après une semaine d’arrêt,
quand le gouvernement nous a dit de retour-
ner bosser. En ce moment, je fais travailler
deux sous-traitants. On se répartit les outils
en faisant attention à ce que nos tâches soient
indépendantes. Celui qui a la scie circulaire
la garde pour la journée par exemple. Matin
et soir, je désinfecte
tout le matériel.
«Notre avantage, c’est
qu’on travaille à l’air li-
bre. La vie de chantier
ne change pas tant que
ça, même si on fait at-
tention à discuter de
loin avec les clients. Si
on fait les bons gestes,
on peut avoir un minimum d’interactions.
C’était important de recommencer vite pour
ne pas péter un câble et aussi parce qu’on par-
ticipe à l’économie. Je suis à 50 % de mon acti-
vité habituelle, j’espère bientôt 75 %, j’ai du
boulot prévu pour les six prochains mois. Les
25 % qui manquent, c’est dû au ralentissement
de l’approvisionnement : les marchands de
matériaux ont recommencé à fournir mais ils
fonctionnent en drive et ça prend beaucoup
plus de temps. Du côté des loueurs d’engins
de levage, d’échafaudage, tout est coupé. Je
suis loin d’être le plus à plaindre. Ce qui pour-
rait me bloquer, ce sont les matières premiè-
res. Si je n’ai plus de bois, c’est rideau.»

Cyril Charpin


DR

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Événement France

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