Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

Libération Vendredi 3 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15


Cartographie animée
Comment le confinement a ga-
gné la planète. Depuis sa mise
en place dans la région de Wuhan, une bonne par-
tie du monde a appris le mot «confinement», met-
tant petit à petit la planète sur pause. Retrouvez
sur Libération.fr une carte interactive qui montre
comment le confinement s’est étendu au monde
entier entre janvier et avril.

LIBÉ.FR

Un «sentiment partagé».
Consultés par le Premier mi-
nistre, chefs de partis, de
groupes parlementaires et
d’associations d’élus – soit
près d’une quarantaine de
personnes – sont convenus
jeudi qu’il serait «probable-
ment impossible» d’organiser
le deuxième tour des muni-
cipales fin juin, ­selon le récit
d’un des participants à cette
visioconférence au sommet.
Chacun s’attend donc à ce
que les électeurs ne soient
convoqués qu’après l’été.
«On en reste à ce qui a été
­décidé par la loi d’urgence
du 23 mars», précise Mati-
gnon après cette séance
de questions-réponses sur
la gestion de l’épidémie pilo-
tée par Edouard Philippe,


­entouré de trois de ses mi-
nistres : ­Olivier Véran
(Santé), Bruno Le Maire
(Economie) et Christophe
Castaner ­ (Intérieur).
Selon une ordonnance pré-
sentée mercredi en Conseil
des ministres, la date du
deuxième tour sera fixée par
décret au plus tard le 27 mai,
après avis du conseil scienti-
fique le 23 mai. «Rien n’a été
acté. De l’avis général, la
date du 21 juin s’avère com-
pliquée. Déposer les listes fin
mai, cela voudrait dire que
tout le monde peut remettre
le nez dehors en juin, hypo-
thèse très incertaine», ob-
serve Patrick Mignola, prési-
dent du groupe Modem à
l’Assemblée. «L’idée de mu-
nicipales qui n’auraient pas

lieu avant l’été était en train
de s’installer dans les es-
prits», ajoute un autre parti-
cipant. Emmanuel Macron
en personne a acté l’impos-
sibilité d’une campagne en
mai : selon le Figaro, il aurait
soulevé l’hypothèse d’un re-
port au mois d’octobre, lors
du Conseil des ministres.
Dans ce cas, le gouverne-
ment a prévenu qu’on ne
pouvait pas exclure que le
Conseil constitutionnel
­impose de rejouer le premier
t o u r d a n s l e s q u e l -
que 4 800 communes où
plusieurs listes sont en bal-
lottage. Dans son avis
­consultatif sur le projet de
loi d’urgence sanitaire, le
Conseil d'Etat avait estimé
que le report du second tour

était justifié, mais avait aussi
prévenu qu’il devait se tenir
dans les trois mois. Si la pan-
démie ne permettait pas
qu’il se déroule «avant l’été»,
il appartiendrait alors à
l’Etat «de reprendre l’ensem-
ble des opérations électora-
les» dans ces 4 800 villes.
Devant le Premier ministre,
Marine Le Pen s’est aussi
­inquiétée du rembourse-
ment des frais de campagne.
Le dépôt des comptes de
campagne a été reporté
au 10 juillet pour les listes
qui ne participent pas au se-
cond tour. Et au 11 septem-
bre pour les autres. Des dé-
lais qui pourraient fragiliser
encore les partis en difficulté
financière, comme le RN.
Service politique

Municipales : l’idée d’un report


après l’été s’impose peu à peu


4 millions


C’est le nombre de salariés qui sont concernés
par le dispositif de chômage partiel dans plus
de 400 000 entreprises, a annoncé jeudi la ministre
du Travail, Muriel Pénicaud. Des chiffres en forte
­progression : «Ça veut dire qu’il y a un salarié sur
cinq du secteur privé, entreprises ou associations, qui
est au chômage partiel.». Selon le service statistiques
du ministère (Dares), 42 % travaillent dans des entre-
prises de moins de 20 salariés, et 13 % dans des
­établissements de plus de 250. Pour la Dares, «cela re-
présente en moyenne 419 heures chômées demandées
par salarié, soit près de 12 semaines à 35 heures».
Les entreprises anticipent en moyenne trois mois
de difficultés.

«Il faut


attendre que


60 % de la


population ait


été infectée.»


Alors qu’Edouard Philippe
a évoqué mercredi soir un
«déconfinement progres-
sif», Mircea T. Sofonea,
maître de conférences en
épidémiologie et évolution
des maladies infectieuses
à l’université de Montpel-
lier, explique à Libéra-
tion.fr sous quelles condi-
tions la France pourra
sortir du confinement. La


modélisation épidémiolo-
gique permet en effet de
connaître la dynamique
d’une épidémie. Quel cri-
tère permet de dire qu’elle
est arrêtée? «Nous sommes
très attentifs à une donnée :
le nombre de reproduction.
On sait que pour cette ma-
ladie, le nombre de repro-
duction de base (R0) est
d’environ 2,5. Une personne

Jean-Paul Mari suit au jour
le jour le combat d’une
équipe médicale dans un
hôpital d’Ile-de-France.
Il est arrivé de fort mauvaise
humeur. Blême, les yeux creu-
sés. A grogné : «Sale nuit...» Et
il est descendu aux urgences
prendre son service à 8 heures
précises. Hocine est un co-
losse, aux doigts de fée, mais
aux pieds d’argile. Un grand
gaillard, barbu,
cicatrice en vir-
gule sur la joue, à
la fois jovial et
tourmenté, qui grille sa vie au
travail comme les quatre pa-
quets de cigarettes qu’il fu-
mait il y a un mois encore.
Son premier amour est cet hô-
pital. Ascension fulgurante,
interne, médecin urgentiste,
chef de clinique, praticien
hospitalier, il sait tout faire,
régulations, urgences, unités
mobiles, réanimation. Et puis,
soudain, le vide, après les
­attentats dans la capitale. Ho-
cine est profondément fran-
çais, parisien, il porte la Com-
mune – «Vive la sociale !» –
tatouée sur son bras droit.
Alors, voir la défiance envers
les musulmans, se faire con-
trôler à chaque coin de rue...
A quoi bon?

Quand sa femme tombe en-
ceinte six mois plus tard, il re-
trouve son hôpital pour soi-
gner la France des misérables.
Affronte la barrière de la lan-
gue, les patients psy ou alcoo-
liques, les infarctus et l’obé-
sité, les suicides et les plaies
du monde.
Lors de l’apparition du Co-
vid-19, il croit le discours offi-
ciel rassurant sur «la grip-
pette». Avant de
croiser son pro-
fesseur, sombre,
qui lui lâche :
«C’est sans précédent dans no-
tre histoire !» Dans les bars,
Hocine voit, effondré, les gens
agglutinés faire la fête. Lui
s’empresse de confiner ses pa-
rents, son ex-femme et la pe-
tite Rosa, 3 ans à peine, «ma
raison de vivre», qu’il ne voit
plus depuis un mois. Crè-
ve-cœur.
Depuis, il voit 80 à 100 mala-
des du Covid par jour. Les Pa-
risiens applaudissent le soir
aux fenêtres et sa fille lui en-
voie des vidéos : «Courage,
papa !» Au début, les soi-
gnants prennent leurs précau-
tions. Puis on continue à soi-
gner, avec ou sans masque.
Pas question de se retirer
comme d’autres professions

bien moins exposées. Où est la
frontière entre droit de retrait
et lâcheté?
Une nuit arrive une femme
de 60 ans, d’origine maghré-
bine, en détresse respiratoire.
A intuber d’urgence. Une nou-
velle technique consiste à
­pratiquer l’opération au vidéo­-
laryngoscope, une façon de
rester à 30 centimètres du
bouillon de culture de la
gorge. Pour Hocine, c’est la
première fois. Comme le veut
le protocole, il le fait sous
le contrôle de deux autres
­médecins. Ne voit pas les
­cordes ­vocales. Hésite. Trop
de sécrétions dans la trachée.
On lui dit : «Tu y es, c’est bon.»
Erreur. L’air pulsé part dans
l’estomac. Vomissements.
Après, tout part en vrille. Arrêt
cardiaque, pneumothorax, la
vidéo clignote, s’arrête. En
panne! ­Hocine est obligé d’an-
noncer aux enfants en pleurs
que leur mère part en réani-
mation. Retour chez lui.
Nuit sans sommeil à regar-
der des séries sans les voir.
A 8 heures précises, il est là,
pour reprendre son service.
Prêt à mordre.
Jean-Paul Mari

(1) Les prénoms ont été modifiés.

La sale nuit du docteur Hocine


Vu de
l’hôpital

infectée en contamine en
moyenne entre deux et trois
autres. Mais avec les mesu-
res de confinement, le nom-
bre de reproduction effectif
diminue. S’il passe en des-
sous de 1, alors l’épidémie
décroît», explique-t-il.
Pour Mircea T. Sofonea, on
ne peut donc mettre fin au
confinement que si l’on
dispose de mesures pour
s’assurer que ce taux de re-
production reste en des-
sous de 1. «Il y a alors plu-
sieurs options : repérer et
isoler rapidement les per-
sonnes infectées, générali-
ser le port de masques, con-
finer strictement les
personnes à risque mais
laisser sortir les personnes
immunisées et à faible ris-
que de complications respi-
ratoires...» Combien de
temps devra-t-on encore
rester ainsi en tension?
«On estime que si 60 % de la
population est immunisée
face à cette maladie, l’épi-
démie ne peut plus rebon-
dir», rappelle le chercheur.
Or «notre dernière publica-
tion estime [le taux de re-
production réel du virus en
France] à 1,28 avec un in-
tervalle de confiance entre
0,91 et 1,7, donc on peut dire
que l’on s’approche de l’ob-
jectif.»
Olivier Monod

dr

Mircea
T. Sofonea
épidémiologiste
spécialiste des
maladies infectieuses
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