Libération - 23.03.2020

(National Geographic (Little) Kids) #1

2 u Libération Lundi^23 Mars 2020


L


es scientifiques qui conseillent
le chef de l’Etat dans la
«guerre» contre le Covid-
doivent se prononcer ce lundi sur la
durée et l’intensité du confinement.
Leur avis ne fait guère de doute car
à mesure que l’épidémie gagne du
terrain, les médecins sont formels :
il faudra aller au-delà des quinze
jours décrétés le 16 mars et peut-être
limiter plus encore la circulation des
personnes : l’Allemagne, où la chan-
celière Angela Merkel est désormais
confinée pour avoir croisé un méde-
cin testé positif, a interdit dimanche
les rassemblements de plus de deux
personnes. En France, des munici-
palités ont déjà instauré un couvre-
feu nocturne (lire page 7). Faut-il al-
ler jusqu’à bloquer les transports et
les industries non indispensables à
l’approvisionnement des biens es-
sentiels à la population? Le Premier
ministre italien, Giuseppe Conte, a
franchi le pas dimanche. Selon Phi-
lippe Klein, médecin français en
poste à l’hôpital de Wuhan, épicen-
tre chinois de l’épidémie, et auteur
d’une vidéo d’alerte devenue virale,
c’est aussi ce que devrait faire la

France. Klein compte parmi les ex-
perts avec lesquels Macron s’est en-
tretenu ces derniers jours. Mais pour
l’exécutif, «l’interdépendance du
monde économique» est telle qu’il est
impossible de distinguer les activités
dites «essentielles» de celles qui ne le
seraient pas (lire aussi page 7).

Transferts en Allemagne
Après une semaine de confinement,
la progression de l’épidémie se pour-
suivait ce week-end : dimanche soir,
on comptait en France 112 morts de
plus en vingt-quatre heures (le
même nombre que samedi), soit un
total de 674 décès ; un chiffre auquel
il faudrait ajouter les victimes du vi-
rus dans les Ehpad, à ce jour non re-
censées. Parmi les 6 172 patients hos-
pitalisés, 1 525 cas sont des cas graves
en réa, dont plusieurs ont dû être
évacués de services saturés. En Al-
sace, des patients ont été transférés
samedi vers des lits de réanimation
du Bade-Wurtemberg, et d’autres
vers le sud de la France par avion mi-
litaire. A Ajaccio, 12 malades ont été
pris en charge sur l’hôpital embar-
qué de la Marine nationale à bord du
porte-hélicoptères Tonnerre. Olivier
Véran a annoncé dimanche le pre-
mier décès d’un médecin hospitalier

infecté : Jean-Jacques Razafindra-
nazy était urgentiste dans l’Oise, dé-
partement où furent identifiés, fin
février, les premiers cas français de
Covid-19. Le gouvernement s’alarme
aussi des dimensions que prend la
pandémie dans le monde, particuliè-
rement en Espagne mais surtout en
Italie, pays le plus touché avec près
de 5 000 morts, entré dans le scéna-
rio redouté d’un système de soins
débordé et d’une contagion hors de
contrôle. Alors que le nombre total
de personnes confinées sur tous les
continents approche le milliard,

Emmanuel Macron consulte tous
azimuts pour construire sa réponse.
«Y compris le professeur Didier
­Raoult, malgré les réserves de beau-
coup de ses pairs», précise l’Elysée.
Infectiologue marseillais, Raoult est
à l’origine de traitements à la chloro-
quine, prometteurs mais discutés. «Il
apprend en temps réel pour réagir,
s’adapter et si besoin corriger le tir»,
assure l’entourage du chef de l’Etat.

Confiance et défiance
Pénurie de masques, controverse
sur le manque de tests et critique

des mesures de confinement trop
laxistes : avec son Premier ministre,
Macron doit aussi répondre au pro-
cès en impréparation que leur font,
avec de plus en plus d’insistance,
les oppositions politiques et un
nombre croissant de professionnels
de santé. «Il me semble qu’il y a eu
une sous-estimation», avançait ainsi
Jean-Luc Mélenchon, déplorant
que le gouvernement ait pu «penser
que ce n’était pas si grave que ça».
Tout en proclamant que «l’heure ne
serait pas à la polémique», le patron
des sénateurs LR, Bruno Retailleau,
se désole qu’il y ait «souvent eu un
coup de retard sur les masques, un
coup de retard sur les tests, sur le
confinement aussi».
Dimanche, sans pour autant de-
mander un confinement total, le
Conseil d’Etat a demandé de revoir
certaines autorisations de déplace-
ment (notamment les joggings), en
réponse à la requête de syndicats
de médecins qui invoquaient une
«atteinte grave et manifestement
­illégale au droit à la vie» et récla-
maient un «confinement total»,
comme l’ont fait la Chine et la Co-
rée du Sud.
Si 55 % des Français font toujours
confiance au gouvernement pour

Par
Alain Auffray

éditorial


Par
Laurent Joffrin

Doutes


En surface, l’union nationale pré-
vaut toujours. Applaudissements
quotidiens pour les équipes soi-
gnantes, communications du
professeur Salomon, précises et
fournies, oppositions en sour-

dine, critiques retenues. Si le gou-
vernement annonce un resserre-
ment du dispositif, qui paraît
s’imposer, il recueillera l’appro-
bation générale. Mais en profon-
deur, insidieux, le doute pro-
gresse. Il y a eu l’affaire des
masques, toujours aussi rares, qui
manquent cruellement aux soi-
gnants, en premier lieu, mais
aussi aux policiers, aux pompiers,
et aux salariés ­contraints au con-
tact quotidien avec le public, à
l’exemple des caissiers et caissiè-
res de supermarchés. Il y a tou-
jours cette pénurie, bientôt tragi-
que, de matériel spécialisé pour

la réanimation. On commence
aussi à voir poindre des mises en
cause plus générales. Il semble
que les pays ou les villes où l’on a
testé massivement la population
s’en sortent mieux que les autres.
Dès lors pourquoi avoir assuré
que ces tests n’étaient guère uti-
les? On craint de découvrir que
ces dénégations découlaient tri-
vialement, non d’une vérité mé-
dicale, mais de la pénurie consta-
tée par les autorités, qu’il fallait
minimiser. Auraient-elles tenu
un double langage, une faute
quand la transparence est la
­condition première de la

­confiance? Il y a enfin les essais
du professeur Raoult, person-
nage original, mais dont la com-
pétence est néanmoins reconnue.
Le ministère a reconnu l’intérêt
des résultats obtenus, même sur
un échantillon réduit. Met-on
tout en œuvre pour aller plus
loin? Si le remède est pertinent,
ceux qui auraient tardé à le géné-
raliser porteraient une lourde res-
ponsabilité. A ce stade, ce ne sont
que des questions. Mais elles per-
turbent une opinion angoissée
par l’encombrement croissant
des hôpitaux.
Les réponses sont urgentes.•

événement Politique


A l’Elysée, contenir le

virus et les critiques

Confronté à la progression continue de l’épidémie, l’exécutif semble


en passe de prolonger le confinement, voire d’en durcir les conditions.


Pour Emmanuel Macron et Edouard Philippe, l’enjeu est aussi


de répondre au procès en impréparation lancé par l’opposition.


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