30 // FINANCE & MARCHES Lundi 23 mars 2020 Les Echos
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« Les décisions
de politique
monétaire à
minuit donnent
une idée de leur
détermination
à stabiliser
la situation. »
TORSTEN SLOK
Chef économiste
de Deutsche Bank
stocks seront déficitaires sur la
prochaine campagne, mais les prix
ont abandonné 10 % depuis mi-jan-
vier. Le coton, lui aussi, accuse le
coup, perdant 18 % à 56 centimes de
dollars la livre. Non seulement
l’industrie textile anticipe une
moindre demande, mais en plus,
le coton est, lui aussi, lié au marché
pétrolier. Le krach du brut rend
les fibres artificielles plus
compétitives.
Le blé est à l’inverse protégé de la
crise du coronavirus. « La majeure
partie de la demande en blé vient de
l’alimentation pour la fabrication de
pain, de biscuits et de pâtes, qui reste-
ront une demande de base même en
temps de crise, rappelle Carsten
Fritsch de Commerzbank. La
demande en blé par l’industrie
agroalimentaire pourrait même
augmenter à court terme pour
réachalander les rayons des super-
marchés. »
L’agence FranceAgriMer n’a
toutefois pas e ncore r elevé
d’impact du coronavirus sur la
demande en France, ni observé de
perturbation dans les livraisons en
Italie.n
était même devenue s i rare et chère,
que l’inflation chinoise s’était
emballée.
De quoi, en principe, doper les
exportations américaines. D’autant
que dans le cadre de la guerre com-
merciale entre Washington et
Pékin, la Chine s’était engagée à aug-
menter les achats de produits agri-
coles américains. A la Bourse de
Chicago, la livre de bétail vivant
avait grimpé à 1,27 dollar.
Mais la tendance s’est brutale-
ment inversée : depuis le 20 janvier,
quand l’épidémie de coronavirus a
pris de l’ampleur, les cours ont
reculé de 30 % pour retomber à
0,89 dollar.
Moins de viande
dans l’alimentation
Les investisseurs redoutent d’une
part que les Chinois en quarantaine
se tournent vers des aliments non
périssables. D’autre part, ils antici-
pent une baisse des achats de
viande, liée au ralentissement éco-
nomique qui va amputer les bud-
gets alimentaires des ménages.
La chute des cours a également
été nourrie par les positions spécu-
latives. En janvier, les investisseurs
financiers pariaient massivement
sur une hausse des cours. Mais à
mesure que le coronavirus s’est p ro-
pagé, leur o ptimisme s’e st effrité. En
mars, ils étaient plus nombreux à
parier sur une baisse que sur une
hausse.
Aux Etats-Unis, c’est l’ensemble
de l’écosystème du bœuf qui est vic-
time de la crise du coronavirus. Les
grands transformateurs de viande
ont vu leur titre en Bourse dégrin-
goler. Tyson Foods a abandonné
36 %, et la chaîne de restaurants
Bloomin’ Brands a cédé près de
80 %. —E. Go.
En tout début d’année, les éleveurs
américains se frottaient les mains,
espérant tirer profit de la peste por-
cine africaine qui avait décimé les
cheptels en Asie. Avant même la
propagation du Covid-19, près de la
moitié des porcs d’élevage en Chine
avait été abattue. La viande de porc
Les cours du bétail à
Chicago ont profité de la
pénurie de porcs en Chine.
Mais le coronavirus inverse
la tendance. Les prix ont
chuté de 30 % depuis
un pic fin janvier.
Sophie Rolland
@Sorolland
Même les vétérans d e la crise des
subprimes n’avaient jamais vu
ça. Cette semaine, le stress
apparu fin février avec l’appari-
tion des premiers cas de
Covid-19 en Europe et aux Etats-
Unis, s’est transformé en pani-
que généralisée. L’indice de la
peur, le VIX (indice de volatilité
des options sur le S & P 500) a
dépassé son pic historique de
2008, inscrivant un nouveau
record, à 82,69 points, le lundi
16 mars. Ce jour-là, le vénérable
Dow Jones subissait sa pire
séance depuis le krach de 1987,
s’effondrant de 12 %!
Jamais les indices boursiers
n’avaient dévissé aussi rapide-
ment : – 32 % à Wall Street pour
le S & P 500, – 38,6 % à Paris pour
le CAC 40 en un mois. Les cours
semblent sur des montagnes
russes. Les variations quotidien-
nes dépassent régulièrement
5 %, avec des fluctuations intra-
day d’ampleur encore plus
importante. Et, signe de l’embal-
lement des derniers jours : la
limite de 7 % à partir de laquelle
les coupe-circuit s’activent à
Wall Street a été atteinte à plu-
sieurs reprises à l’ouverture de la
séance cette semaine.
Les valeurs refuge
ne jouent plus leur rôle
En fait, les investisseurs sont
incapables d’évaluer les consé-
quences de la pandémie sur
l’économie mondiale. Les éco-
nomistes, eux-mêmes, ne ces-
sent de dégrader leurs scéna-
rios. Une récession semble
désormais inéluctable et cer-
tains commencent même à évo-
quer le spectre d’une Grande
Dépression.
Autre phénomène inquié-
tant : le système financier com-
mence à montrer des signes de
dislocation. Les valeurs refuge
ne jouent plus leur rôle, et déga-
Si les Bourses européen-
nes se sont reprises
jeudi et vendredi, Wall
Street a traversé la pire
semaine de son histoire.
Les banques centrales
ont dû agir en urgence
pour éviter un effondre-
ment du système
financier.
Une semaine
de chaos sur
les marchés
ger du cash semble être devenu
la seule préoccupation des
investisseurs. L’or et les
emprunts d’Etat (normalement
des actifs sans risque) ont com-
mencé à baisser de concert avec
les actions et la dette d’entre-
prise (actifs risqués). En cause :
la multiplication des appels de
marge. Plus les pertes augmen-
tent, plus les intermédiaires
(brokers) auprès d e qui les inves-
tisseurs se sont endettés pour
prendre des positions sur le
marché, leur demandent d’aug-
menter le niveau de cash
apporté en garantie de ces prêts.
Or, dans des marchés totale-
ment paniqués, les seuls actifs
encore vendables (liquides) sont
les emprunts d’Etat.
« La moitié des investisseurs à
qui nous parlons estiment que la
situation est pire qu’en 2008 »,
rapportent les stratégistes de
Wells Fargo. De quoi rappeler
quelques mauvais souvenirs.
« C’est comme s’il y avait une t ren-
taine de LTCM », estime un
investisseur en référence à la
chute du hedge fund Long Term
Capital Management en 1998.
Pris à revers dans le sillage de la
crise asiatique, celui-ci s’était
trouvé dans l’incapacité d’hono-
rer ses appels de marge, mena-
çant l’ensemble du système
financier, et avait dû être sauvé
in extremis par la Fed.
Craignant un effondrement
du système financier, les ban-
ques centrales sont intervenues
en masse ces derniers jours. Le
plus souvent en urgence. « Les
décisions de politique monétaire
à minuit donnent une idée de leur
détermination à stabiliser la
situation », commente Torsten
Slok, le chef économiste de
Deutsche Bank. En une
semaine, 31 banques centrales
ont baissé leurs taux. Résultat :
les taux zéro assortis d’injec-
tions de liquidités (QE) sont
devenus la norme dans les éco-
nomies développées.
Avec son plan de 750 mil-
liards d’euros, la BCE s’est donné
les moyens de venir au secours,
sans condition et quasiment
sans limite, des Etats les plus fra-
giles de la zone, comme l’Italie.
Quant à la Réserve fédérale
américaine, elle est intervenue
sur tous les fronts, inondant le
monde de dollars, et apportant
son soutien aux banques, aux
entreprises et aux fonds moné-
taires. Les prochaines semaines
diront si elles ont réussi leur
pari. Les marchés européens
ont rebondi jeudi et vendredi,
soulagés de voir la BCE se posi-
tionner en prêteur en dernier
ressort. En revanche, Wall Street
a terminé la semaine sur une
nouvelle baisse de près de 5 %.n
En une semaine,
31 banques
centrales ont
baissé leurs taux.
lLes cours des matières premières agricoles ont peu reculé depuis fin janvier.
lLes plus utilisées pour les carburants pourraient voir leur valeur chuter.
lLa demande de blé, elle, pourrait augmenter.
Pourquoi les matières
premières agricoles résistent
L’effet bœuf sur les cours n’aura pas lieu
Etienne Goetz
@etiennegoetz
Les longues f iles d ’attente d evant les
commerces ainsi que les rayons de
pâtes dévalisés dans les supermar-
chés ont agi comme un puissant
rappel. Même quand une épidémie
se propage à travers la planète, for-
çant des centaines de millions de
personnes à rester confinées chez
elles, il est une réalité à laquelle les
humains ne peuvent échapper : il
faut manger. Les matières premiè-
res agricoles résistent donc mieux
que les autres.
Liaisons dangereuses
avec le pétrole
Un véritable amortisseur sur les
marchés financiers. Le sous-indice
des matières premières agricoles
de B loomberg, ne recule que de 10 %
depuis 21 janvier, à 236 points, son
plus bas niveau depuis septem-
bre 2019. A titre de comparaison,
l’ensemble de l’indice, comprenant
également le pétrole et les métaux,
s’écroule de 22 %, au plus bas
depuis... 1986. Le prix du baril, qui
pèse lourd dans l’index, s’est effon-
dré de 45 % frôlant les 20 dollars. Si
les matières premières agricoles
résistent mieux, elles sont, elles
aussi, rattrapées par la crise du
coronavirus et le krach p étrolier car
une part non négligeable d’entre
elles est utilisée dans les carburants
sous forme d’huile ou d’éthanol. Le
confinement et les restrictions de
voyage, notamment en Chine, l’un
des principaux consommateurs
d’or noir, ont nettement amputé la
demande globale, jusqu’à 4 millions
de barils en moins chaque jour,
selon certaines estimations.
Le sucre a ainsi chuté de 23 %
depuis mi-février à 11,7 cents de dol-
lars la livre, alors qu’il avait com-
mencé l’année en trombe sur fond
de mauvaises récoltes en Inde et en
Thaïlande. « La guerre des p rix s ur l e
marché du pétrole déprime les prix
de l’éthanol », expliquent Michaela
Helbing-Kuhl de Commerzbank.
Le blé une valeur refuge?
Au Brésil, 65 % de la canne à sucre
sert à produire de l’éthanol. Mais
avec le recul des cours, les usines
risquent de revoir leur mix et de
fabriquer plus de sucre. « Cette p ers-
pective pèse sur les prix du sucre
brut », analyse l’experte.
Dans la même veine, aux Etats-
Unis, environ 30 % de la production
de maïs sert à produire de l’éthanol.
Alors que le continent américain
entre progressivement en hiberna-
tion et que la Californie a confiné s es
40 millions d’habitants, les cours
du maïs sont sous pression. Depuis
le début de l’année, ils ont reculé de
14 %, à 3,3 dollars le boisseau, au
plus bas depuis trois ans.
En Europe c’est le colza, dont
l’huile est mélangée aux carbu-
rants, qui est en première ligne.
« Les marchés sont t rès corrélés e ntre
eux, et parfois les mouvements sur
un produit peuvent paraître contrai-
res aux équilibres des fondamen-
taux », rappelle Michel Portier chez
Agritel. Dans le cas du colza, les
Le coton accuse
le coup, perdant 18 %
à 56 centimes
de dollars la livre.
Au Brésil, 65 % de la canne à sucre sert à produire de l’éthanol. Mais avec le recul des cours,
les usines risquent de revoir leur mix et de fabriquer plus de sucre. Photo iStock