Les Echos. April 06, 2020_wrapper

(Steven Felgate) #1

L


a mondialisation des approvi-
sionnements et des déplacements
vacillait à peine sous la pression
de l’écologie, et à la santé au travail se
substituait la qualité de vie au travail.
Mais les cartes sont aujourd’hui rebat-
tues.



  • DIVERSIFIER
    SES SOURCES
    D’APPROVISIONNEMENT
    Par son caractère mondial, la pandémie
    de Covid-19 fait trembler les multinatio-
    nales sur leurs bases. Elles mettent en
    place des stratagèmes pour éviter
    d’éventuels blocages de leur chaîne de
    production, liés à l’indisponibilité sou-
    daine de certains de leurs fournisseurs
    essentiels. Une fois la crise passée,
    est-ce à dire qu’elles tenteront de reloca-
    liser ces activités qu’elles ont mis tant
    d’années à délocaliser? « Plus que de
    relocaliser, la stratégie de certaines entre-
    prises va probablement consister à diver-
    sifier leurs approvisionnements, par
    exemple, pour le secteur automobile, à
    aller voir au Maroc, où il y a une filière
    qui fonctionne plutôt
    bien », répond Julien Marcilly, chef
    économiste de Coface.
    Plus globalement, pour sécuriser leur
    chaîne logistique et avoir une meilleure
    visibilité sur leurs sous-traitants, les
    multinationales risquent d’abandonner
    le modèle de spécialisation régionale

  • qui les prive de toute alternative en cas
    de problème – pour s’orienter vers une
    logique multilocale, fondée sur une
    production à l’échelle d’un continent.
    Une occasion aussi de faire coup double
    et d’être davantage en phase avec les
    demandes des consommateurs, de plus
    en plus enclins à acheter des produits
    fabriqués non loin de chez eux, quitte à
    y mettre le prix. Dans tous les cas, ce


potentiel changement de pied se fera, à
chaque fois, selon une logique business
et une quête de valeur ajoutée supplé-
mentaire.


  • RATIONALISER SES
    VOYAGES D’AFFAIRES
    La mutation des voyages d’affaires, sous
    l’impulsion de l’économie collaborative
    et du Big Data, était déjà enclenchée
    avant la crise sanitaire liée au Covid-19.
    Cependant, cette pandémie présente un
    risque que, demain, il ne sera plus possi-
    ble d’ignorer. Les voyages d’affaires de la
    France vers l’étranger ont globalement
    baissé de 35 % sur les dix premiers jours
    de mars, dévoilait récemment le spécia-
    liste des notes de frais Expensya.
    L’Europe était alors la deuxième zone la
    plus touchée, avec un effondrement de
    55 % des voyages vers l’Italie et de 25 %
    vers l’Espagne. Depuis, tous les avions
    sont bloqués au sol pour une durée
    indéterminée et les frontières fermées.
    Après la crise, les entreprises vont
    devoir prendre en compte ce nouveau
    risque dans l’organisation de leurs
    voyages et déplacements, au même titre
    que les cyberattaques. Elles devront
    aussi réaliser d’importants efforts de
    trésorerie, bien des coûts pourront être
    évités grâce à l’intelligence artificielle.
    Les analyses prédictives – météo, conflit
    social ou épidémie – autoriseront
    davantage d’agilité. L’itinéraire d’un
    voyageur pourrait aussi être synchro-
    nisé avec les réservations de ses pairs,
    pour répondre à un objectif d’harmoni-
    sation des horaires de travail et des
    périodes de repos des uns et des autres.
    Si l’usage systématique du Big Data doit
    encore prendre quelques années, les
    entreprises auront a minima mis en
    place une politique structurée.

  • ENVISAGER LA SANTÉ
    AU TRAVAIL SOUS UN JOUR
    NOUVEAU
    Qui aurait cru il y a encore quelques
    semaines que la pandémie surgirait
    dans les dossiers de santé au travail des
    organisations? Il y a moins d’un an, à
    l’Institut national de recherche et de
    sécurité pour la prévention des acci-
    dents du travail et des maladies profes-
    sionnelles (INRS), les études prospecti-
    ves se penchaient sur les risques liés


aux données et à l’intelligence artifi-
cielle, à la perte d’identité profession-
nelle et plus généralement à la « santé
sociale » des travailleurs... L’actualité est
plus triviale. Pour autant, dès 2006, soit
après l’épisode de grippe aviaire, cet
organisme de référence avertissait les
entreprises que la menace de pandémie
constituait un nouvel enjeu de santé au
travail. Elle pourrait « provoquer dura-
blement des perturbations de la vie
sociale et économique », écrivait-il dans
une note recommandant par ailleurs le
port de différents types de masques, en
fonction du degré d’exposition.
Les grandes organisations ont-elles
sérieusement réfléchi à leur fonctionne-
ment en situation de pandémie? Elles
ont probablement toutes préparé un
« plan de fonctionnement en mode
dégradé ». Les organisations de taille
plus modeste ont, elles, subi de plein
fouet la secousse : « L’enjeu des moyens
mis en place pour la santé de nos collabo-

rateurs est un sujet, témoigne Anne-So-
phie Panseri, dirigeante de PME. Et la
crise nous rappelle qu’il y a une distor-
sion des risques entre les collaborateurs
qui peuvent bénéficier du télétravail et
ceux qui doivent être présents physique-
ment. »
La question de la mise en sécurité des
collaborateurs présents sur les installa-
tions se révèle à la lumière de l’urgence.
Il faudra en tirer des enseignements.
L’expérience devra conduire, au-delà
des dispositions et consignes face à la
propagation de la maladie, à identifier
les postes, les activités et les collabora-
teurs exposés et à, éventuellement,
organiser leurs déplacements. Il faudra
en outre ne pas sous-estimer l’évalua-
tion des besoins en matériel de protec-
tion – quitte à organiser des sessions de
formation pour une bonne utilisation,
et à vérifier leurs modalités de stockage
et dates de péremption.
—Les Echos Executives

Du choix des fournisseurs à la


santé des salariés, en passant par


les voyages d’affaires, la crise liée


à l’épidémie de coronavirus risque


de pousser les sociétés à


réenvisager leur organisation au


quotidien. Et probablement leur


stratégie à plus long terme.


Ce que le virus va radicalement


changer pour les entreprises


MANAGEMENT


Delphine Iweins
@DelphineIweins


C


ertaines entreprises, soucieuses
de leur pérennité, s’interro-
geaient déjà sur leur raison
d’être au-delà de leur simple activité
économique, la crise du Covid-19 accé-
lère et sophistique leur réflexion. Les
comportements que les organisations
auront eus durant cette crise sanitaire
envers leurs clients, leurs prestataires,
leurs salariés laisseront des traces.
« D’ici 2030, les entreprises auront maté-
rialisé leurs réponses aux exigences de
contrat social formulées actuellement »,


Dans dix ans, les entreprises


ne tiendront plus seulement des


discours sur leurs valeurs, elles


auront été contraintes et forcées



  • notamment suite à la pandémie


du Covid-19 – de les mettre en


œuvre d’une façon concrète.


Et les RH seront au cœur de cette


réalisation.


La question de la mise en sécurité des collaborateurs présents sur les installations se
révèle à la lumière de l’urgence. Photo Patrick Allard/RÉA

I


l y a des « leaders » dans toutes les
organisations parce qu’il y a des
« followers » à motiver et diriger
pour atteindre un objectif collectif.
Pour qu’une organisation progresse, il
faut que des hommes ou des femmes
sortent du rang pour entraîner les
autres en leur communiquant leur
vision, en leur expliquant pourquoi il
faut viser tel but, en leur donnant
l’envie et les moyens de l’atteindre et
en récompensant les progrès. Il s’agit
là des fondamentaux d’une démarche
d’accompagnement du changement
que Bruce Henderson, le fondateur
du BCG, avait en tête lorsqu’il disait :
« Le leadership, c’est la capacité à
motiver une organisation pour
qu’elle transforme son ambition de
performance. » Yvan Allaire, le
fondateur canadien de Sécor
s’exprimait d’une autre façon : « Deux
habiletés sont nécessaires
au leader stratégique : la pensée
stratégique et le leadership stratégique,
qui est l’habileté de changer
l’organisation pour exécuter cette
stratégie. »

Leadership et créativité
Le professeur de psychologie
cognitive et psychométricien
américain Robert Sternberg
affirmait que le leadership et la
créativité étaient intimement liés. Le
grand public a toutefois tendance à
réduire le leadership à une seule de
ses dimensions essentielles : la
capacité du dirigeant à penser
différemment, hors des contraintes
habituelles, pour créer une nouvelle
façon de faire. Cette vison du leader
charismatique s’est imposée
par contraste avec l’observation
quotidienne d’un leadership (ou
peut-être management) focalisé sur
des tâches à accomplir et l’obtention
de résultats (« Command &
Control »), par opposition à un style
« Engage & Create » plus soucieux
des hommes et de leur créativité.
L’ADN du leader de demain n’aura
nul besoin d’une modification
génétique pour s’adapter
aux nouvelles formes du travail.

Quatre caractéristiques
feront la différence
1 – La richesse de la palette des
traits de personnalité fortement
corrélés avec la performance
managériale (l’analyse d’une base de
données de 7 millions d’évaluations
de cadres dirigeants dans le monde,
au cours des 10 dernières années,
a permis d’identifier 28 traits
de personnalités).
2 – La distribution équilibrée de
ces traits de personnalité sur les
quatre directions d’une boussole
équilibrée du leadership :
le contrôle, la compétitivité
du « Command & Control »,
la créativité et la collaboration
du « Engage & Create ».
3 – La stabilité émotionnelle du
leader, sous stress, qui lui permettra
de gérer les conflits qui ne
manqueront pas d’advenir
en évitant trois écueils : l’évitement
par la fuite, la confrontation non
constructive et l’obéissance aveugle
4 – La compatibilité culturelle
entre les comportements réellement
observés au sein de l’organisation
(et non pas ses valeurs proclamées),
d’une part ; et les motivations
profondes du leader, moteurs
de son action, d’autre part.n

Quel leadership


demain?


PHILIPPE
CAVAT
Client
Partner Board
Services &
Assessment
practice chez
Alexander
Hughes

ARRÊT SUR SOI


estime avec optimisme Gilles Verrier,
fondateur et directeur général d’Identité
RH.
Demain, ce n’est pas tant le statut du
salarié qui aura un impact que la pro-
tection sociale qui lui sera offerte. Les
organisations auront su mettre en
exergue leurs valeurs et se focaliseront
particulièrement sur ce que vivent les
collaborateurs. Les salariés s’attendront
à être traités de façon très personnali-
sée, au même titre que les consomma-
teurs.
« Le rôle du DRH va être de réussir à
couvrir l’ensemble des canaux de recours
à la main-d’œuvre pour l’entreprise dans
le respect de l’éthique et sans avoir à se
faire dicter son comportement par le
quotidien », insiste le coauteur de
l’ouvrage « Les RH en 2030 - 30 pistes
concrètes pour réinventer l’entreprise ».
Aux ressources humaines de former les
managers à d’autres postures d’accom-
pagnement et de se préparer à remettre
en cause... des processus de décision.
Les politiques internes seront d’ailleurs
probablement plus sophistiquées, avec
davantage de sur-mesure, mais aussi

une meilleure prise en compte de la
dimension collective et coopérative.

Maintenir un collectif stable
Toute la difficulté, pour le directeur des
ressources humaines, va consister
à maintenir un collectif stable et à insuf-
fler une culture de la confiance. Car,
l’enjeu sera alors de construire un nou-
veau mode d’autonomie, une organisa-
tion responsabilisante insérée dans un
processus industriel moins contrai-
gnant grâce à la quasi-systématisation
du télétravail et au développement de
l’intelligence artificielle dans tous les
pans d’activité. « Le temps de travail et
l’environnement ne poseront plus de
questions, le champ du possible s’élargira,
et nous aurons pris les précautions néces-
saires pour éviter un certain nombre
d’effets pervers que nous décelons
aujourd’hui », considère Gilles Verrier.
Et même s’il subsiste un grand nombre
d’emplois pour lesquels le temps restera
une des mesures de base de la contribu-
tion, « des moyens et des marges de
manœuvre d’organisation pourront alors
être donnés aux collaborateurs », estime

le spécialiste. L’autre grand enjeu
auquel les RH seront confrontés en
2030, et qui reste le cœur de leur métier,
est la gestion des talents avec... une
obsolescence quasi programmée. En
2030, l’industrialisation de l’intelligence
artificielle aura remplacé ou fait évoluer
bon nombre de postes et provoqué
l’émergence de bien d’autres, pour le
moment totalement inconnus. Jusqu’à
présent, le responsable RH recrutait
encore majoritairement sur les compé-
tences. Demain, il cherchera la capacité
d’un individu à rapidement acquérir de
nouvelles compétences. Il devra donc
s’autoriser des recrutements atypiques,
car les aptitudes métiers seront plus
faciles à développer. Les « soft skills »
auront pris toute leur place. A noter,
pour faire face à la pénurie de talents
dans des métiers très particuliers, cer-
taines entreprises – Intermarché, Oran-
gina, Korian, Soxedo, Accor – ont d’ores
et déjà créé leur propre école de forma-
tion. Dans dix ans, toute une génération
sera issue de ces établissements maison,
qui devraient être aptes à répondre aux
enjeux du marché du travail.n

Vers un contrat social remodelé pour 2030


RESSOURCES HUMAINES


Covid-19 : une
précarité nouvelle
pour les « divas
du digital »?
Réponse sur
echo.st/m336404

36 //EXECUTIVES Lundi 6 avril 2020 Les Echos

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