8 |planète MERCREDI 11 MARS 2020
0123
Les EtatsUnis
et Wall Street
rattrapés par la
crise sanitaire
La panique qui a gagné l’Amérique
place Donald Trump dans une
situation inconfortable
Les banques au cœur de la tourmente
Le coup de froid sur l’économie fait craindre aux investisseurs une hausse des crédits douteux et des défaillances
L
a journée houleuse du
lundi 9 mars 2020 restera, à
n’en pas douter, dans la mé
moire des banquiers comme celle
d’un krach de l’industrie finan
cière. Sur un marché paniqué par
l’épidémie de Covid19 et la chute
des prix du pétrole, les titres des
grandes institutions se sont ef
fondrés en Bourse, clôturant en
baisse de plus de 17 % pour Société
générale et Natixis, de 12 % pour
BNP Paribas, de 16 % pour Crédit
agricole, de 13 % pour Deutsche
Bank ou de 9 % pour Barclays,
pour ne citer que les établisse
ments européens.
Certes, l’ensemble des grandes
places financières a lourdement
chuté, mais les valeurs bancaires
ont été particulièrement atta
quées. Les experts des marchés fi
nanciers diagnostiquent un flight
to quality (« fuite vers la qualité »),
les investisseurs se ruant sur les
bons du Trésor et préférant les va
leurs sans risque.
Cette hécatombe signifietelle
que les banques sont en danger, et
qu’une crise financière se profile?
« Nous sommes d’abord face à un
choc économique. Il ne s’agit pas
d’une crise financière, affirme Ni
colas Véron, économiste aux cen
tres de réflexion européen
Bruegel et américain Peterson
Institute. Mais ce ne sera pas sans
conséquences pour les banques.
Les risques dépendront de l’am
pleur de la crise économique. » Le
risque, cette fois, ne vient pas des
prêteurs, mais de la capacité des
acteurs économiques à rembour
ser. « Le problème est de l’autre
côté du manche, si l’on compare
avec la crise de 2008 », résume
M. Véron.
Les banques, qui ont prêté sans
compter au cours des dernières
années, sous l’impulsion de la po
litique monétaire accommo
dante de la Banque centrale euro
péenne (BCE), vont donc être con
frontées à l’incapacité de nom
breuses entreprises à rembourser
leurs crédits. En particulier les
établissements exposés au sec
teur de l’énergie, du tourisme et
des transports.
Dans l’immédiat, les difficultés
vont surtout concerner les petites
et moyennes entreprises, notam
ment dans l’événementiel ou la
restauration, « très impactées »
par la crise sanitaire du Covid19,
comme l’a assuré lundi Nicolas
Dufourcq, le directeur général de
Bpifrance, la Banque publique
d’investissement.
Spectre d’une récession
De grandes entreprises vont, elles
aussi, être affectées. C’est déjà le
cas pour celles qui empruntent
sur les marchés en émettant des
obligations, le marché obligataire
primaire étant « quasiment fermé
depuis deux semaines, également
en raison des très nombreuses
émissions du début d’année », ob
serve Jérôme Legras, directeur de
la recherche chez Axiom Alterna
tive Investments.
Les investisseurs anticipent par
ailleurs d’autres effets négatifs in
directs sur les banques, provo
qués par cette crise sanitaire. Pour
conjurer le spectre d’une réces
sion en zone euro, la BCE pourrait
en effet annoncer, jeudi 12 mars,
une nouvelle baisse de son taux
de dépôt. L’institut applique déjà,
depuis juin 2014, un taux d’inté
rêt négatif sur une large partie des
dépôts que les banques commer
ciales logent dans ses coffres,
pour les dissuader de laisser dor
mir leurs liquidités et encourager
les prêts. Les observateurs s’atten
dent à ce que ce taux passe désor
mais de – 0,5 % à – 0,6 %, ce qui pé
nalisera davantage la rentabilité
des établissements financiers.
Les banques, de leur côté, cher
chent à rassurer sur leur solidité.
Chez BNP Paribas, on souligne le
chemin parcouru par le secteur
depuis la crise de 2008 : des ni
Devant la Bourse de New York, lundi 9 mars. MARK LENNIHAN/AP
Trump, affublé du prénom d’un
des mafieux du Parrain, de Cop
pola, analyse le New York Times.
En réalité, M. Cuomo multiplie
les conférences de presse pédago
giques, invite ses administrés à ne
pas céder à l’hystérie et rappelle
que le coronavirus est essentielle
ment dangereux pour les person
nes âgées ou celles qui ont des an
técédents médicaux. La ville de
New York va octroyer des prêts à
taux zéro pour les entreprises de
moins de 100 salariés connais
sant un recul d’un quart de leur
chiffre d’affaires.
A Washington dimanche, la pré
sidente démocrate de la Chambre
des représentants, Nancy Pelosi, et
le leader des démocrates au Sénat,
Chuck Schumer, ont demandé à
l’administration Trump d’accor
der des congés maladie – quasi
inexistants aux EtatsUnis – aux
salariés confinés, de décider de la
gratuité des tests de dépistage et
d’étendre la couverture santé lors
qu’elle s’avère insuffisante. Les ad
ministrations – poste, contrôleurs
aériens, services fiscaux – se pré
parent à fonctionner en dépit de la
contamination. Le Congrès a voté
une rallonge de 8,3 milliards de
dollars pour contrer l’épidémie,
dont l’usage n’a pas encore été
détaillé.
arnaud leparmentier
Dans l’Etat de New York, les visi
teurs en provenance d’Italie, de
Corée du Sud et du Japon sont in
vités à s’autoimposer une qua
rantaine de quatorze jours. Les
cours sont suspendus, pour deux
jours au moins, à l’université Co
lumbia, après qu’un enseignant a
été exposé au virus.
Le gouverneur, Andrew Cuomo,
a accusé les CDC d’avoir tardé à
donner leur feu vert pour que des
laboratoires privés puissent faire
des tests de prévention. Ceuxci
étaient effectivement en grave
pénurie, mais ce reproche a sus
cité l’ire de Donald Trump. « Il n’y
a pas de message ambigu, juste
une instrumentalisation à des fins
politiques de gens comme toi et
ton frère Fred. » L’allusion vise le
frère de M. Cuomo, journaliste sur
CNN, chaîne violemment anti
bonds », ces obligations risquées
à haut rendement, dont on ne sait
si elles passeront le cap de la crise.
Politiquement, l’affaire tourne à
la foire d’empoigne. Donald
Trump avait décidé, dès le 2 fé
vrier, de fermer les portes des
EtatsUnis aux étrangers venus de
Chine, mais il est accusé d’avoir
agi trop tard, alors que le virus
était déjà sur le sol américain. Le
président n’a cessé d’avoir des
propos lénifiants.
Selon la presse, la Maison Blan
che se serait opposée à des recom
mandations invitant les person
nes âgées, particulièrement sen
sibles au virus, à ne pas voyager
en avion. Mais ce lundi, Nancy
Messonnier, responsable des cen
tres chargés du contrôle et de la
prévention des maladies (CDC), a
officiellement invité les seniors à
éviter les voyages inutiles et à
stocker des provisions pour pou
voir rester chez eux. La veille, An
thony Fauci, directeur de l’Institut
national des allergies et des mala
dies infectieuses, n’avait pas ex
clu que les EtatsUnis doivent re
courir à des blocus locaux pudi
quement rebaptisés « mesures
d’atténuation ». « Je ne pense pas
que ce serait aussi draconien que
“personne n’entre, personne ne
sort” », a précisé M. Fauci, diman
che 8 mars, sur Fox News.
veaux beaucoup élevés de capi
taux propres et une réserve de li
quidité de 309 milliards d’euros (à
fin 2019).
« Poussées par la BCE, les ban
ques ont par ailleurs fait un travail
colossal pour réduire le poids des
crédits douteux [les prêts présen
tant des retards de paiement] »,
ajoute Jérôme Legras. Les derniers
tests de résistance menés par
l’Autorité bancaire européenne
en 2018 s’étaient révélés rassu
rants, alors que les institutions
européennes avaient été confron
tées à des scénarios de stress éco
nomique sévère, cumulant une
chute de 2,7 % du PIB européen,
une montée du taux de chômage
de 3,3 points ou encore une chute
des prix de l’immobilier.
L’accumulation par les banques
de fonds propres et de coussins de
sécurité exigés par le superviseur
bancaire européen après la crise
de 2008 a été conçue pour faire
face à des chocs tels que celui pro
voqué par l’épidémie de Covid19.
« Heureusement, le temps de la su
pervision n’est pas le temps des
marchés : les autorités de sur
veillance vont laisser aux banques
le temps de réagir », estime Nico
las Véron.
Le Haut Conseil de stabilité fi
nancière, l’instance chargée de li
miter les risques du système fi
nancier, qui rassemble notam
ment le ministère de l’économie
et la Banque de France, se réunira
la semaine prochaine. Il devrait
étudier la possibilité d’alléger le
« coussin de fonds propres contra
cyclique », un matelas supplé
mentaire de capital dont les auto
rités financières avaient de
mandé la constitution aux ban
ques à partir de la mi2018, pour
éviter que le crédit cavale trop
vite. Il s’agissait alors de profiter
de l’embellie pour constituer des
réserves. Le temps est certaine
ment venu de les utiliser.
véronique chocron
LES AUTORITÉS
AMÉRICAINES
ONT EXHORTÉ LES
PERSONNES LES PLUS
À RISQUE À FAIRE DES
STOCKS DE NOURRITURE
ET DE MÉDICAMENTS
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
new york correspondant
C
ela a été une journée
noire, jusqu’au bout. Wall
Street a ouvert, lundi
9 mars, en chute libre de 7 %. Et, au
bout de quelques minutes, les
transactions ont été interrom
pues pendant un quart d’heure
pour limiter les dégâts, pour la
première fois depuis 1997. La
séance s’est achevée sur un recul
de 7,8 % de l’indice Dow Jones (le
Nasdaq reculait de 7,3 %), alors
que les EtatsUnis sont violem
ment touchés par l’épidémie de
coronavirus.
Le déclencheur est, bien sûr, le
krach pétrolier qui a vu le cours
du brut de West Texas Interme
diate s’écrouler de 25 %, à 31 dol
lars le baril, du jamaisvu depuis
la première guerre du Golfe,
en 1991. L’effondrement a été pro
voqué par un double choc : la
baisse de la demande chinoise et
mondiale due à l’épidémie de co
ronavirus et à un hiver doux, et
l’augmentation de l’offre en rai
son du refus de l’Arabie saoudite
de s’entendre avec la Russie, ven
dredi 6 mars, pour contrôler la
production de brut.
Mais s’y ajoutent le blocus de la
Lombardie en Italie, confirmant
que l’épidémie aura une inci
dence massive sur l’économie
européenne, et la multiplication
des cas aux EtatsUnis, qui laisse
entendre que ceuxci pourraient
suivre le même destin que le reste
du monde. Le tout, sur fond de
polémique sur la manière dont
l’administration Trump gère
l’épidémie.
Le président des EtatsUnis s’est
agacé sur Twitter, lundi matin.
« [En 2019], 37 000 Américains sont
morts de la grippe. Rien n’est fermé
et l’économie continue de tourner.
Actuellement, il y a 546 cas confir
més de coronavirus, avec 22 morts.
Réfléchissez à cela! », s’est em
porté Donald Trump, attribuant la
chute des marchés au désaccord
russosaoudien sur le pétrole et
aux fausses informations : « C’est
bon pour le consommateur, les
prix de l’essence vont baisser. »
Des « mesures d’atténuation »
En réalité, c’est la panique, et le
président, qui a passé le weekend
des 7 et 8 mars dans son golf de
MaraLago, en Floride, a eu une
réunion, lundi, à la Maison Blan
che, pour examiner la réponse
économique à la crise. Les annon
ces précises ne seront faites que
mardi 10 mars aprèsmidi, mais
Donald Trump a laissé entendre
devant la presse qu’il baisserait
les impôts, aiderait les PME et
prendrait des mesures de soutien
sectorielles, notamment pour le
tourisme, l’hôtellerie et l’aviation.
Le président américain a aussi
invité les patrons de grandes insti
tutions financières américaines à
une réunion à la Maison Blanche
mercredi 11 mars pour discuter des
réponses à donner l’épidémie. Et
les autorités sanitaires américai
nes ont exhorté, lundi, les person
nes les plus à risque – âgées de plus
de 60 ans et souffrant de maladies
chroniques – à faire des stocks de
nourriture et de médicaments.
Ce lundi est le jour où la crise est
devenue complète, menaçant de
faire plonger l’économie améri
caine en récession, en pleine an
née électorale. Les taux d’intérêt
sans risque à dix ans se sont ef
fondrés, pour atteindre un plus
bas de 0,38 %, avant de remonter
autour de 0,59 %. Les investis
seurs sont pris de panique et cher
chent la sécurité en achetant des
actifs sans risques, des bons du
Trésor américain, quitte à renon
cer à une bonne rémunération.
Dans ce contexte d’aversion au
risque généralisée, la Réserve fé
dérale (Fed, banque centrale amé
ricaine) a décidé d’assurer la liqui
dité du système et d’augmenter le
montant des fonds à court terme
qu’elle offre aux banques pour se
financer du jour au lendemain (le
« Repo ») : les montants proposés
ont été augmentés lundi, passant
de 100 milliards à 150 milliards de
dollars (de 87 milliards d’euros à
131 milliards d’euros).
Mardi 3 mars, la Fed avait baissé
par surprise d’un demipoint ses
taux directeurs, qui oscillent dé
sormais entre 1 % et 1,25 %, sans
réussir à enrayer la crise moné
taire. Les opérateurs s’inquiètent
pour les entreprises très endet
tées, financées par les « junk