2 u Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020
«I
l y a quand même un pro-
blème à régler avec le désir
de l’homme. Qui est au mi-
lieu de tout, qui est comme normal
tout le temps. A un moment, il fau-
dra que ça dégage. Oui, il y a une
énorme colère.» 1998 : Virginie Des-
pentes a 29 ans, cheveux auburn lâ-
chés, aucun jeu de séduction. Elle
parle de son dernier livre, les Jolies
Choses (Grasset), sur le plateau
télé de Bouillon de culture. Face à
elle, Bernard Pivot. Autour d’elle,
Philippe Sollers, sourire narquois,
Michel Houellebecq, faussement
absent. En bon père de famille
émoustillé par la réputation de
celle qui a écrit Baise-moi quelques
années plus tôt, Pivot l’interroge sur
le milieu du rock qu’elle fréquente.
Alors, ce «monde de boîtes à par -
touzes et de sexe»? «C’est un monde
d’hommes, répond-elle, impavide.
Un monde d’hommes et de profit.»
Mais il y a des femmes, insiste Pi-
vot, quel est leur rôle? «En gros, de
faire les putes», dit-elle sans un
battement de cils. Les mots sont à
peine articulés, énoncés à un ni-
veau de décibels très bas. Elle ne
parle jamais fort, même quand elle
s’emporte.
Vingt ans après, l’impassible colère
de Virginie Despentes est intacte.
Contre ce monde «des puissants» qui
Par
LAURENT JOFFRIN
Nuances
Un coup de poing et un geste
politique. La tribune de Vir-
ginie Despentes publiée par
Libération , cri de colère et
long réquisitoire contre «les
puissants» , vise à frapper,
à bousculer, à déranger un
ordre qu’on rejette, avec un
souffle incontestable, né de
la choquante consécration
d’un réalisateur en butte
à de graves accusations,
érigé en symbole de l’agres-
sion sexuelle. D’où la ferveur
des réactions positives,
innombrables, y compris
chez des gens exempts de
toute violence. D’où l’effroi,
aussi, des contempteurs.
Un signe ne trompe pas :
si cette philippique touche
juste, c’est qu’elle exprime
une révolte authentique,
celle des femmes soumises,
souvent en silence, à un
nombre immense d’agres-
sions petites et grandes,
à une condition seconde
qu’elles ne supportent plus.
Ceux qui récusent tout en
bloc feraient bien d’y réflé-
chir. Mais il est permis d’ex-
primer des réserves, non
sur la cause, évidemment,
mais sur la forme et le fond
politique. C’est ce que nous
faisons en ouvrant nos pages
à une série de tribunes aux
points de vue variés, certai-
nes favorables, d’autres qui
contestant la violence du
propos ou le fond de l’ana-
lyse politique. On peut faire
le parallèle, sur ce point,
avec la révolte des surréa -
listes contre la société bour-
geoise, toute de violence
verbale, de provocation et
de virtuosité littéraire, ce qui
leur a assuré une place dans
la grande histoire de la litté-
rature mais ne les a pas
exemptés de dérives poli -
tiques. Despentes dénonce
une injustice patente.
Fort bien. Faut-il pour autant
faire génuflexion devant une
description aussi simple du
théâtre social? Dominants
cyniques, violeurs, corrom-
pus, haïs, coalisés dans leur
maléfique complicité. Domi-
nés sanctifiés et, surtout,
unifiés dans une miracu-
leuse convergence. On peut
trouver plus nuancé. Les
réquisitoires enflammés
ont leur légitimité, leur per-
tinence, leur efficacité. Mais
comme ils sont aussi des
manifestes, on peut les sou-
mettre à la triviale logique de
la critique politique.•
ÉDITORIAL
ÉVÉNEMENT
Par
SIMON BLIN,
CÉCILE DAUMAS
et SONYA FAURE
DESPENTES «On
se lève et on se
barre», l’uppercut
Le texte de l’écrivaine paru dans «Libération» en
soutien à Adèle Haenel, qui avait quitté la cérémonie
des césars à l’annonce du prix attribué à Roman
Polanski, a été largement lu, partagé et commenté.
Retour sur le phénomène et une semaine de débats.
Le départ de l’actrice Adèle Haenel de la cérémonie des césars du 28 février, à l’annonce de la remise du prix de la meilleure réalisation à Roman