48 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Mars 2020
ROMANS
MARY GAITSKILL
FAITES-MOI PLAISIR
Traduit de l’américain
par Marguerite Capelle.
L’Olivier, 106 pp., 13 €.
Le point de vue en alternance
de deux vieux amis, Margot
et Quin. Quin est un éditeur
new-yorkais renommé pour
son flair. Il met beaucoup de
passion dans son métier, et
même de «sens moral». Entre
«flirt» et «véritable amitié», il
entretient des relations origi-
nales, intimes, tactiles avec
de nombreuses femmes. Il
tombe des nues le jour où une
décennie de jeux complices
devient dossier à charge, pro-
cès, une assistante qu’il a ai-
dée à trouver un poste inté-
ressant étant une des
accusatrices. Quin est viré.
Margot le défend, il est celui
qui calme et conseille.
«Quand tu parles, ça vient du
fond du clito !» lui a-t-il dit
lors de leur premier déjeuner.
«Et – comme si c’était la chose
la plus naturelle du monde –
il a glissé sa main entre mes
jambes.» Elle a dit «NON !» , il
a apprécié le ton, elle est de-
venue sa meilleure amie.
Margot : «C’est sa folie, son
humour, son obscénité qui
m’ont redonné goût à la vie.»
Dans ce bref roman à clés,
Gaitskill – dont Veronica re-
paraît en «Replay» – laisse le
lecteur juger. Quin est un
personnage unique. Cl.D.
GUILLAUME SIRE
AVANT LA LONGUE
FLAMME ROUGE
Calmann-Lévy,
336 pp., 19,50 €.
«N’êtes-vous pas marié à la
fille d’un colon et d’une bour-
geoise vietnamienne ?» La
question est posée à Vichéa,
un père de famille, à Phnom
Penh en 1971, par un partisan
du général Lon Nol, le Pre-
mier ministre qui a déposé le
prince Norodom Sihanouk.
Vichéa et son épouse ont une
Clinica, Jean-Michel Lon-
gneaux ne pense guère que
la philosophie puisse «rendre
raison» du deuil, mais es-
time que c’est le deuil qui
pousse à la philosophie, qui
peut animer la pensée de fa-
çon telle que, par elle, ap -
paraisse une chance de «se
réapproprier cette vie et la
faire nôtre, afin que nous ne
demeurions pas étrangers
à nous-mêmes». Une médita-
tion profonde. R.M.
MUSIQUE
JEAN-FRANÇOIS
BOUKOBZA
GYÖRGY LIGETI,
ÉTUDES POUR PIANO
Contrechamps Poche,
264 pp., 12 €.
Evoquer György Ligeti, c’est
remonter de longs sentiers de
randonnée musicale : atona-
lité, avant-gardisme, postmo-
dernisme et leur critique... Le
chemin compositionnel du
Hongrois est si fluctuant et
en même temps si réfléchi
qu’il synthétise aussi l’his-
toire de la musique du
XXe siècle, et une partie de
celle des idées (notamment
sur les théories du chaos ap-
parues dans les années 60 et
qui nourrissent son corpus).
En prenant pour pivot les
quintessentielles Etudes pour
piano (1985-2001), le musico-
logue Jean-François Bou-
kobza plonge dans le tissu de
ces œuvres, jusqu’à préciser
leur moelle musicale, tout en
remettant en contexte leur
importance au sein de la mu-
sique moderne, dans l’ombre
de leur auteur visionnaire et
désabusé, sans cesse en mou-
vement créatif, qui par exem-
ple déclarait en 1993 : «Avec
l’effondrement de l’utopie so-
cialiste et l’évolution de la ci-
vilisation technologique par
la diffusion de la micro-infor-
matique, le temps de l’avant-
garde artistique est révolu.»
Ne perdons pas courage non
plus. G.Ti.
tant à la révolution de 1789,
de retrouver les sources so-
ciales et économiques qui ont
motivé les migrations, afin de
montrer l’inanité des dis-
cours «nationalistes» et de
présenter un visage plus réa-
liste de la situation de la
France d’aujourd’hui. R.M.
PHILOSOPHIE
JEAN-MICHEL
LONGNEAUX
FINITUDE, SOLITUDE,
INCERTITUDE.
PHILOSOPHIE DU DEUIL
Puf, 320 pp., 22 €.
On ne sait pas si l’être humain
a assez de force en sa cons-
cience pour arriver à séparer
le deuil de la mort de l’ami, de
l’aimé, de l’autre – événement
chaque fois singulier qui ne
laisse en soi que douleur, et
tue même souvent l’envie de
survivre. Pourtant, même s’il
est difficile de l’accepter,
«identifier le deuil à la mort
de nos proches est pour le
moins réducteur». D’abord
parce que le deuil «n’est pas
seulement l’affaire des survi-
vants» : «celui qui se sait ar-
rivé à la fin de sa vie – qui ne
meurt donc pas de mort sou-
daine – est lui aussi amené à
vivre un processus de deuil :
deuil de ceux qu’il laisse dans
la vie, deuil de ses attaches, de
ses projets...». Ensuite parce
que chacun, sa vie durant,
se trouve devoir «faire le
deuil» de quelque chose :
«Perdre un emploi, voir ses
enfants devenus grands par-
tir, vivre une séparation
amoureuse, déménager ou
s’exiler, tomber malade,
échouer dans un projet ou ne
pas le réaliser aussi bien qu’es-
péré, etc., sont autant de
deuils à surmonter.» Plus gé-
néralement encore : «Il n’est
pas un seul moment vécu qui
ne soit aussitôt perdu à tout
jamais.» Docteur en philoso-
phie, chargé de cours à l’uni-
versité de Namur, rédacteur
en chef de la revue Etica
place au roman psychologi-
que, sans pour autant oublier
la part de suspense et de se-
crets, jusqu’à la fin. Cl.D.
ALAIN BERTHIER
NOTRE LÂCHETÉ
Le Dilettante, 125 pp., 15 €.
«Je suis en prison dans mes
tendances, dans la vie que j’ai
vécue. On n’est borné que par
soi.» Le narrateur, élève in-
discipliné, fils insuppor -
table, amant sans senti-
ments, confesse toutes ses
faiblesses. Son récit est celui
de la descente aux enfers
d’un couple aux secrets in-
avouables, qui ne s’aime pas
et dont la fin signifie la mort
de l’autre. On est frappé par
la franchise du ton, la noir-
ceur du trait, la véracité de
cette âme aux abois. C’est le
seul roman publié en 1931
par Alain Berthier, alias
Alain Lemire, briochin et
ami de Louis Guilloux, de
Jean Grenier. F.Rl
DOCUMENT
ALEXANDRE DEBOUTÉ
et VÉRONIQUE RICHEBOIS
PIERRE BERGÉ
LE PYGMALION
Kero, 384 pp., 20,50 €.
Personnage fringant, liber-
taire et péremptoire, Pierre
Vital Georges Bergé a tra-
versé le siècle dernier (et une
partie de celui-ci) à toute vi-
tesse, créateur d’empire, mé-
cène de multiples causes,
collectionneur d’œuvres
d’art, d’expériences et
d’amants. Véronique Riche-
bois et Alexandre Debouté
retracent la trajectoire aussi
tortueuse que trépidante
d’un gamin rochelais monté
à la capitale à la fin des an-
nées 40. Il se rêve journaliste,
il va diriger des journaux. Il
se veut écrivain, il fait le né-
goce d’éditions originales. Il
entame une relation avec
Bernard Buffet mais Yves
Saint Laurent sera la grande
affaire de sa vie, sur les cat-
walks comme dans les back-
stages. A travers de nom-
breux témoignages, les deux
auteurs nous plongent dans
l’intimité d’un homme de
l’ombre jamais loin de la lu-
mière, de ceux qui comptent
(politique, médias, création
artistique, économie). Pierre
Bergé n’a pas accompli ses
rêves mais il a su les trans-
cender. M.Bel.
SOCIOLOGIE
LAURENT MUCCHIELLI
LA FRANCE TELLE
QU’ELLE EST. POUR
EN FINIR AVEC
LA COMPLAINTE
NATIONALISTE
Fayard, 224 pp., 18 €.
Pourquoi les discours de dé-
fiance, «de rejet, parfois de
haine à l’égard des immigrés
et des musulmans» rencon-
trent-ils un tel succès, en
France et ailleurs, et «bien
au-delà des cercles de pensée
nationalistes et racistes»? Si
encore ils proposaient «un
diagnostic pertinent» sur les
problèmes de la société fran-
çaise! Mais non! Ils sont sou-
vent fondés sur des fantas-
mes, des calculs politiques
cyniques ou des abîmes
d’ignorance... Pourquoi donc
«tiennent»-ils, alors qu’ils
tiennent si peu aux faits, aux
statistiques, à la vérité histo-
rique? Directeur de recher-
che au CNRS, enseignant à
l’université d’Aix-Marseille,
Laurent Mucchielli se pro-
pose dans cet essai histo rique
et sociologique de revisiter le
«roman national», en remon-
fille et un fils, Saravouth, âgé
de 10 ans. La guerre civile a
commencé lorsque s’ouvre le
livre. Une nuit, Saravouth
prend la fuite tandis qu’avec
les siens, il est conduit dans
une forêt sous la menace de
fusils. Envoûtant bien que
dénué d’effets d’écriture,
dense, émouvant, docu-
menté, le remarquable ro-
man de Guillaume Sire suit la
trajectoire de cet enfant
perdu, qui se confond avec
l’histoire du Cambodge. Les
bûchers allumés sur ordre de
Lon Nol coexistent avec les
égorgements et les extermi-
nations dirigés par les
Khmers rouges. A partir
d’avril 1975, ils ferment
Phnom Penh. Avec d’autres
enfants, in extremis, Sara-
vouth est emporté par des
soldats américains d’abord à
Manille, ensuite à Washing-
ton. Guillaume Sire retrouve
Saravouth dans les an-
nées 2000 au Canada. V.B.-L.
ARMEL JOB
LA DISPARUE DE L’ÎLE
MONSIN
Laffont, 292 pp., 20 €.
Un loueur de pianos croise
une jeune femme, sur un
pont, par une nuit de tem-
pête de neige aux environs de
Liège. Le lendemain, il rentre
chez lui comme si de rien
n’était. Quand la mère de la
jeune femme lance un avis de
disparition, la police a d’évi-
dents soupçons. Mais que
s’est-il passé la fameuse nuit?
Et si c’était le couple de l’ac-
cordeur qui s’en trouvait pul-
vérisé? Par un habile effet de
bascule, le thriller cède la
SUR LIBÉRATION.FR
La semaine littéraire Lisez un peu de poésie le lundi, par exemple un
poème de Victor Blanc tiré de Filigrane (Le Temps des cerises, «les Lettres
françaises») ; vivez science-fiction le mardi avec le Temps fut de Ian McDonald
(traduit de l’anglais par Gilles Goullet, le Bélial) ; feuilletez les Pages jeunes le
mercredi, avec Je me demande , un album de Corinne Le Monze et David Cren
(Glénat Jeunesse) ; le jeudi, c’est polar : Donbass de Benoît Vitkine (Les Arènes
«Equinox») ; vendredi, recommandations de Libération et coups de cœur
des libraires sur le site Onlalu.