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INTERNATIONAL
VENDREDI 13 MARS 2020
0123
new york correspondant
L
e jury avait rendu, le
24 février, un verdict me
suré, ne retenant pas l’ac
cusation d’agressions
sexuelles en série qui aurait pu va
loir à Harvey Weinstein la perpé
tuité. Mais la lourdeur de la peine
prononcée mercredi 11 mars par
le juge James Burke a fait l’effet
d’un coup de tonnerre : le produc
teur de cinéma déchu a été con
damné à vingttrois ans de prison
à l’issue de son procès à New York
pour viol et agression sexuelle.
A 68 ans, Harvey Weinstein se
voit infliger vingt ans de prison
pour agression sexuelle avec vio
lence contre l’ancienne produc
trice de cinéma Mimi Haleyi, à la
quelle il avait imposé un cunni
lingus alors qu’elle avait ses règles
en 2006. Il a eu droit à une peine
supplémentaire de trois ans pour
viol envers une personne incapa
ble de donner son consentement
(viol au « troisième degré ») à l’en
contre en 2013 de Jessica Mann,
qui rêvait de devenir actrice.
Ainsi le producteur qui faisait
la loi à Hollywood, lauréat 1989
de la Palme d’or à Cannes pour
Sexe, mensonges et vidéo, de
Steven Soderbergh, et récipien
daire de nombreux Oscars pour
Pulp Fiction (1994) et Shakes
peare in Love (1998), pourraitil
finir ses jours en prison.
Le juge Burke a fixé seul la peine
avec le verdict du jury, comme c’est
l’usage à New York et dans de nom
breux Etats américains. Il a estimé
qu’elle reflétait le comportement
général de M. Weinstein : « Bien
que ce soit la première condamna
tion, ce n’est pas la première infrac
tion, a asséné M. Burke, qui avait
pourtant expliqué à l’ouverture du
procès qu’il ne s’agissait pas d’en
faire un référendum sur le mouve
ment #metoo. J’ai devant moi des
preuves d’agressions sexuelles
impliquant d’autres femmes. »
Il a suivi le parquet, qui avait
réclamé une peine longue
- M. Weinstein encourait un
maximum de vingtneuf ans de
prison (vingtcinq plus quatre
pour les deux crimes dont il a été
reconnu coupable). La procureure
Joan IlluzziOrbon a dénoncé un
homme « ivre de pouvoir » et est
remontée jusqu’aux années 1970,
citant le cas d’une victime disant
avoir été violée en 1978 lors
d’un voyage d’affaires.
Juste avant le verdict, la victime
Mimi Haleyi avait de nouveau ac
cablé son agresseur : « Il a violé ma
confiance et mon corps ainsi que
mon droit à refuser des avances. »
La deuxième victime, Jessica
Mann, qui avait été malmenée par
la défense lors du procès, a rap
pelé que « le viol, ce n’est pas juste
un moment de pénétration. L’im
pact dure toute la vie ». Elle a de
mandé que la peine la plus lourde
soit prononcée, déplorant par
ailleurs que son cas soit moins pé
nalisé que le trafic de drogue :
« Comment se faitil que je ne vaille
pas plus que de la cocaïne? »
« Remords »
Pour la première fois de son pro
cès, alors que le sort était jeté,
Harvey Weinstein a pris la parole
pendant une vingtaine de minu
tes. « Nous pouvons avoir des véri
tés différentes, mais j’ai des re
mords pour vous tous et ce que
vous avez enduré, a déclaré en
salle d’audience le magnat dé
chu, se tournant vers ses victi
mes. J’éprouve vraiment des re
mords pour cette situation. Je le
ressens vraiment du fond du
cœur, j’essaie vraiment de devenir
une meilleure personne. »
M. Weinstein a fait valoir qu’il ne
reverrait peutêtre jamais ses en
fants. Il a aussi estimé être traité
de manière inéquitable en raison
du mouvement #metoo, dressant
un parallèle avec le sort des com
munistes à l’époque du maccar
thysme : « Désormais, il y a des mil
liers d’hommes qui sont accusés de
choses qu’aucun de nous n’a com
prises. » Il a notamment assuré
qu’il avait eu le sentiment d’avoir
eu une relation consensuelle pen
dant cinq ans avec Jessica Mann.
M. Weinstein n’a toutefois pas
présenté d’excuses ni reconnu
avoir commis quoi que ce soit de
répréhensible et il n’a pas infléchi
le juge. Les six femmes qui
avaient témoigné au procès se
sont retrouvées ensemble à
l’audience, avec le procureur de
New York, Cyrus Vance, fort criti
qué par le passé pour avoir tardé à
poursuivre M. Weinstein. Elles
ont fini la séance en pleurs.
La sévérité de la peine a surpris
les observateurs. « C’est une sen
tence très, très dure », a commenté
l’avocate pénaliste Rikki Klieman,
consultante de la chaîne CBS
News. Debra Katz, l’avocate d’une
des témoins au procès, déclarait
avant le verdict au Wall Street
Journal qu’une peine de moins de
quinze ans enverrait un mauvais
message, signalant en creux
qu’elle n’en attendait pas tant.
Les avocats d’Harvey Weinstein
ont subi un immense camouflet,
notamment la star du barreau de
Chicago, Donna Rotunno, spécia
liste de la défense des hommes ac
cusés de viol et qui n’avait jusqu’à
présent perdu qu’un seul procès.
Ils avaient demandé une peine ré
duite au minimum, cinq ans, en
raison de la santé, de l’âge de leur
client et de ses réalisations passés.
« Compte tenu de son âge, toute
peine supérieure au minimum lé
gal équivaudrait à une condamna
tion à perpétuité. » En vain.
Devant le palais de justice de
Manhattan, Donna Rotunno a dé
noncé pêlemêle l’« absence
d’équité », une sentence « lâche »,
un procès biaisé depuis le début,
avec un juge, selon elle, partial et
« sous pression », une sélection des
jurés mise en cause, les interféren
ces avec l’inculpation d’Harvey
Weinstein par le parquet de Los
Angeles alors que s’ouvrait le pro
cès newyorkais. « Bien sûr que
c’est trop dur, c’est terrible », s’est af
fligée Mme Rotunno. La défense en
tend faire appel de la sentence. Elle
assure que les peines prononcées
à New York dans des cas similaires
sont trois fois moins sévères. Cette
allégation n’a pas pu être vérifiée.
Puis ce fut le tour de l’avocate de
Mimi Haleyi, Gloria Allred, de dire
aux journalistes sa satisfaction,
brandissant un papier sur lequel
était inscrit « 20 + 3 ». « Les femmes
savent désormais que, si elles en
ont le courage, il y aura des consé
quences pour leurs agresseurs », a
telle déclaré, se réjouissant de ce
que « les femmes ne vivront plus
dans le silence ». Elle a rappelé que
les poursuites allaient se poursui
vre à Los Angeles, où M. Weinstein
pourrait être transféré.
« Je prie qu’il y ait un enfer »
L’affaire marque un tournant sur
la poursuite des criminels
sexuels. Le procureur de New
York luimême, Cyrus Vance, avait
été fortement critiqué pour ne
pas avoir poursuivi M. Weinstein
en 2015 à la suite de la plainte
d’une mannequin italienne. La
condamnation qu’il a obtenue lui
permet de redorer son blason et
de devenir le fer de lance de la
défense des femmes.
Il serait faux toutefois de dire
que l’impunité complète régnait
aux EtatsUnis : avant les affaires
Weinstein et le mouvement #me
too, l’acteur Bill Cosby a été pour
suivi et condamné en avril 2018
en Pennsylvanie à une peine com
prise entre trois et dix ans de
prison tandis que le médecin de
l’équipe de gymnastique améri
caine Larry Nasser a été
condamné à une peine comprise
entre quarante et cent soixante
quinze ans de prison : « J’ai signé
votre arrêt de mort », lui avait si
gnifié la juge en janvier 2018.
Cependant, la parole s’est libérée.
La chute de Weinstein fut scellée
lorsque des femmes ont enfin ac
cepté de témoigner à visage dé
couvert, dans le New York Times
puis le New Yorker, en octobre 2017,
après des années de rumeurs.
On a appris, par des scellés,
qu’Harvey Weinstein avait à l’épo
que demandé le soutien des mil
liardaires Michael Bloomberg,
l’ancien maire de New York, et Jeff
Bezos, le patron d’Amazon, sans
que l’on sache si les intéressés
avaient réagi. Surtout, on y trouve
un courriel lapidaire écrit par son
frère Bob Weinstein en 2017 : « Tu
mérites un prix d’honneur pour ta
pure sauvagerie, ton inhumanité,
ton immoralité, pour les actes que
tu as commis. Je prie qu’il y ait un
enfer. C’est là qu’est ta place. »
En attendant, la place du
condamné est à l’hôpital Bellevue
de Manhattan, où il a été transféré
pour des problèmes cardiaques
après sa condamnation. D’ici
à dix jours, il est censé être trans
féré dans un centre de détention
de l’Etat, à Fishkill, à 100 kilomè
tres au nord de New York.
La protection du condamné est
décisive, alors que sa célébrité
peut l’exposer à la violence de ses
codétenus et qu’il faut éviter tout
suicide, sept mois après la
pendaison du prédateur sexuel
de mineures Jeffrey Epstein.
M. Weinstein est censé avoir le
traitement réservé aux détenus
violents. Le condamné a engagé
un consultant spécialiste de la
prison pour le préparer à ce que
les spécialistes appellent pudi
quement son « voyage ».
arnaud leparmentier
L’avocate
Gloria Allred,
qui représentait
plusieurs
victimes
du producteur,
tient une feuille
sur laquelle a été
inscrite la peine
infligée à Harvey
Weinstein
par un tribunal
de Manhattan,
le 11 mars à New
York. CARLO
ALLEGRI/REUTERS
« Les femmes
savent désormais
que, si elles en
ont le courage,
il y aura des
conséquences
pour leurs
agresseurs »
GLORIA ALLRED
avocate de Mimi Haleyi
Weinstein condamné à 23 ans de prison
La condamnation du producteur, coupable de viol, marque une victoire pour le mouvement #metoo
LE CONTEXTE
#METOO
Pour le mouvement #metoo,
la peine de vingt-trois ans de pri-
son infligée à Harvey Weinstein
constitue un tournant : depuis
les premières révélations d’octo-
bre 2017, plus de 90 femmes ont
accusé l’ex-magnat hollywoo-
dien de les avoir harcelées
ou agressées sexuellement.
Un an après sa chute, plus de
deux cents hommes « puissants »
des médias, du divertissement
ou de la politique ont été tour
à tour accusés d’agression
sexuelle ou de comportement
déplacé, relevait en octobre 2018
le New York Times.
Mais rares sont les personnalités
publiques à avoir été jugées jus-
qu’ici. Outre la difficulté que ren-
contre parfois le système judi-
ciaire américain à matérialiser
les faits et les délais de prescrip-
tion, l’une des principales expli-
cations est l’utilisation d’accords
financiers, souvent assortis de
clauses de confidentialité,
comme ceux qu’Harvey Weins-
tein a conclus en décembre 2019
avec certaines de ses accusatri-
ces pour mettre fin aux poursui-
tes judiciaires. Dans la foulée
de cette affaire, plusieurs Etats
ont d’ailleurs adopté des lois vi-
sant à interdire l’utilisation de ce
type d’accords de non-divulga-
tion pour de tels cas.