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VENDREDI 13 MARS 2020 culture| 23
Kaws fait flotter
ses figurines
virtuelles
L’artiste newyorkais lance
une première édition limitée
d’œuvres en réalité augmentée
à l’achat ou à la location
REPORTAGE
new york
S
on nom ne vous dit peut
être rien, mais il y a des
chances pour que vous
connaissiez ses créations.
Plus clivant que Banksy, qui a fait
s’autodétruire une œuvre chez So
theby’s, ou que Maurizio Cattelan
et sa banane scotchée à Art Basel
Miami, Kaws – de son vrai nom
Brian Donnelly – a été l’un des pré
curseurs des art toys, ces figurines
en plastique créées par des graf
feurs, dessinateurs ou illustra
teurs en éditions limitées à partir
de la fin des années 1990. Un phé
nomène venu du Japon que ce
NewYorkais de 45 ans a porté et
fait évoluer vers le monde de l’art
contemporain, en muant ces
« jouets design » en sculptures, de
boutiques en galeries, et de gale
ries en musées : la National
Gallery of Victoria de Melbourne
lui consacre actuellement une ré
trospective, d’autres suivront, à
Londres en octobre et au Brooklyn
Museum, à New York, en 2021.
Le tout, en multipliant les colla
borations avec le monde de la
mode, de la musique (une po
chette d’album pour Kanye West)
et du luxe (séries de teeshirts
chez Uniqlo, peluches pour
Dior...), ce qui lui a assuré une po
pularité internationale hors
norme auprès des 2045 ans, do
pée grâce aux réseaux sociaux.
Que l’on soit sensible ou pas à
son univers, l’ancien graffeur et
skateur est devenu un incontour
nable reflet de l’époque. Pour nou
velle preuve, le projet lancé jeudi
12 mars, qui vient à point nommé
ouvrir son champ de création à la
réalité augmentée avec des
œuvres virtuelles accessibles à
tous et sans risque de confine
ment dans des lieux très fréquen
tés. En ces temps de crainte liée à
l’épidémie de Covid19, le timing
est parfait – et fortuit – pour un
projet en gestation depuis un an.
Mickey, clown et squelette
Le bâtiment est discret, la son
nette anonyme. Au rezdechaus
sée de son studio, situé dans le
quartier de Williamsburg, à Broo
klyn, les assistants de l’artiste s’af
fairent dans l’atelier de peinture.
Lui descend nous accueillir et
nous mène à l’étage dans son bu
reau aux murs recouverts
d’œuvres sur papier de son im
portante collection d’art. Sur les
tables, sols et étagères prolifèrent
ses personnages : son iconique
Companion, hybride entre
Mickey, un clown et un squelette,
créé il y a vingt ans, mais aussi
Accomplice, Chum, Astro Boy, JPP,
le Companion disséqué... Tous, en
résine, bois ou bronze, ont de sim
ples croix à la place des yeux, sa si
gnature, et incarnent par leurs at
titudes une certaine fragilité.
Mais ce sont d’autres prototypes
que l’artiste nous présente, une se
maine avant leur lancement offi
ciel. Et ceuxlà ne sont pas visibles
à l’œil nu. L’artiste, tout de noir
vêtu, casquette vissée sur le crâne,
se prête de bonne grâce à la dé
monstration : en un clic sur l’écran
de son smartphone, il place et dé
place ses Companions autour de
nous. Dans les airs, l’un flotte, al
longé sur le ventre, les mains de
vant les yeux, comme intimidé
d’être le centre de l’attention ; sur
le sol ou les meubles, des modèles
plus petits, debout ou nomades à
l’envi. La navigation est intuitive,
le rendu immersif bluffant. Kaws
s’est amusé à tester les possibilités
des photos et des films avec ses
comparses virtuels dans des con
textes très différents : dans le mé
tro, à la plage, en famille avec ses
deux petites filles...
Ses personnages virtuels font
partie d’une édition de vingtcinq
« sculptures », de 1,8 mètre de long
pour le Companion des airs, à ache
ter (10 000 dollars, 8 866 euros)
sur le site Internet d’Acute Art, en
treprise spécialisée dans la réalité
augmentée qui a déjà collaboré
avec de nombreux artistes, dont
Marina Abramovic ou Olafur
Eliasson. Cette fois, elle va plus
loin, avec le lancement d’une ap
plication développée avec Kaws,
où les amateurs peuvent louer les
Companions de plus petite taille
(45 cm de hauteur), avec une édi
tion illimitée consistant en trois
sculptures (le même personnage
en trois coloris dans son tradition
nel dégradé de gris). La location
s’élève à 6,99 dollars par sculpture
pour une semaine, et à 29,99 dol
lars pour les trois pour un mois.
Le troisième volet de cette pre
mière collaboration, intitulée
Expanded Holiday (« vacances
augmentées »), est une exposi
tion publique « globale », avec
douze sculptures monumentales
placées par l’artiste sur des sites
de tous les continents, de l’Afrique
(Tanzanie) à l’Asie (Tokyo, Hong
kong, Séoul et Taipei), en passant
par l’Australie (Melbourne), l’Eu
rope (Londres et Paris, à la
Pyramide du Louvre), le Moyen
Orient (Doha), l’Amérique du
Nord (deux à New York) et l’Amé
rique du Sud (Sao Paulo). Cette
présence simultanée d’une ver
sion monumentale du Compa
nion flottant sur l’ensemble des
sites, grâce à une géolocalisation
des données, sera visible deux
semaines, du 12 au 26 mars.
Cette « exposition » est peu ou
prou ce qu’avait proposé, fin 2017,
Jeff Koons lors de sa collaboration
avec Snapchat, et neuf de ses
œuvres en réalité augmentée dis
séminées dans neuf grandes vil
les. Là où Acute Art innove, c’est
à travers la monétisation des
œuvres pour les particuliers. « Les
éditions de Kaws vont démontrer
que les œuvres d’art dans l’espace
virtuel peuvent être aussi précieu
ses et recherchées que les autres.
Pour les collectionneurs, cela signi
fie que leurs œuvres peuvent voya
ger avec eux, dans leur poche, où
qu’ils aillent », détaille Jacob De
Geer, directeur d’Acute Art.
Audelà de l’achat et de la loca
tion, l’entreprise a aussi conçu
une option de revente des
œuvres : l’acheteur peut les re
vendre, au prix qu’il souhaite,
moyennant une commission de
30 % (15 % payés par le revendeur,
15 % par l’acheteur). Une maîtrise
du second marché qui pourrait
s’avérer lucrative au vu de la cote
flamboyante de Kaws aux enchè
res : une de ses toiles s’est envolée
à 13,2 millions d’euros chez Sothe
by’s Hongkong en 2019, et les ven
tes dépassant le million de dollars
se multiplient.
Pour l’artiste, ce qui peut appa
raître comme un gadget devient
aussi décisif que la transition de
ses dessins et peintures à la 3D au
tournant des années 2000 : « C’est
le début d’une nouvelle phase dans
mon travail. Les possibilités de
lieux et d’échelles sont infinies, et je
veux utiliser ce médium pour faire
des choses que je ne pourrais pas
faire autrement. » L’artiste tra
vaille donc déjà à la suite, qui reste
encore top secret.
emmanuelle jardonnet
L’art de la manipulation à la québécoise
Au Mouffetard, à Paris, une adaptation du monologue « Ogre », de l’écrivain Larry Tremblay,
repose sur un habile dispositif scénique mêlant une marionnette géante et un comédien
SPECTACLE
M
oi, moi, moi. » Tel est le
seul credo de l’unique
personnage du court
texte théâtral du Québécois Larry
Tremblay, Ogre (1997), que les
compagnies de marionnettes le
Théâtre de la Tortue noire et le
Théâtre La Rubrique ont décidé
de porter sur scène en 2019. Un
spectacle hors normes et aux
échos très contemporains dont
Le Mouffetard Théâtre des arts
de la marionnette (Paris 5e) a pro
posé la première représentation
en Europe, mardi 10 mars, en
collaboration, entre autres, avec
la Délégation générale du Québec
à Paris, les conseils des arts de
Saguenay (la ville d’implantation
de « La Tortue noire »), du Québec
et du Canada.
C’est l’occasion de découvrir à la
fois l’écriture directe et efficace
d’un grand nom de la littérature
québécoise et le travail dramatur
gique et scénographique original
de ces artistes experts en mani
pulation « marionnettique », no
tamment Dany Lefrançois et Sara
Moisan qui ont cosigné la mise en
scène. Tous deux codirigent la
compagnie le Théâtre de la Tortue
noire, qui compte dix créations
originales à son répertoire, réu
nissant le jeu d’acteur, le théâtre
de formes et d’objets animés et
l’art des marionnettes. Ces der
nières reposent également sur
l’adaptation de textes contempo
rains, comme Kiwi (2007), de
Daniel Danis, ou Le Cercle de craie
caucasien (1945, publié en 1949),
de Bertolt Brecht.
De cet ogre, on n’entend d’abord
que la voix, comme surgie de
nulle part, emplissant la scène et
la salle plongées dans le noir. Puis
se dessine peu à peu la silhouette
massive d’une marionnette en
mousse aux dimensions impo
santes, près de 45 kilos pour une
longueur totale de 5 mètres (des
pieds à la tête, soit 3 mètres assis),
comme on peut en voir quelques
spécimens dans les spectacles de
rue (avec Royal de Luxe à Nantes
notamment) mais beaucoup plus
rarement sur un plateau comme
celui du Mouffetard.
Ego surdimensionné
Pour la manipuler et lui donner
vie, ils sont trois comédiens ma
rionnettistes virtuoses : Vicky
Côté, Martin Gagnon et Sara
Moisan. Auxquels s’ajoute Eric
Chalifour (excellent), qui lui prête
sa voix pour ce long monologue
de plus d’une heure. Cet ingé
nieux dispositif scénique néces
site une parfaite coordination en
tre ces quatre artistes pour syn
chroniser au mieux gestes et paro
les de cet être surdimensionné.
Chez lui tout est démesuré
d’ailleurs. Sa taille, mais aussi son
ego. Persuadé d’être le centre de
l’univers autour duquel tout gra
vite, s’imaginant sans cesse filmé
par les caméras d’une émission de
téléréalité baptisée « Souris sou
ris » (vision prémonitoire pour un
texte écrit dans les années 1990),
il ne vit que dans l’excès : il humi
lie sans pitié sa femme qu’il sur
nomme « l’orangoutan », il croit
avoir noyé sa maîtresse dans l’eau
de son bain, il entretient une rela
tion incestueuse avec sa fille et
pousse son fils au suicide, en dé
nigrant constamment son travail
de jeune cinéaste juste avant la
première de son film. Le tout ra
conté dans un flot de paroles inin
terrompu, sans cesse à la lisière de
la folie (des grandeurs).
De quoi cet ogre venu du
Québec estil la métaphore? Des
maux de la surconsommation?
Des dérives d’une société surmé
diatisée? Des excès de la téléréa
lité? Des perversions des préda
teurs sexuels à l’ère #metoo?
D’un virus devenu incontrôlable
qui menace de tout engloutir
sous son propre poids? A cha
cun(e) de se faire sa propre opi
nion en allant découvrir, jusqu’au
dimanche 15 mars, cette création
originale au Mouffetard, dans le
cadre d’un focus consacré à cette
troupe venue d’outreAtlantique,
depuis la fin février, par ce lieu
emblématique des arts de la ma
rionnette à Paris.
cristina marino
Ogre, une coproduction le Théâtre
de la Tortue noire/le Théâtre La
Rubrique. D’après un texte de Larry
Tremblay (Lansman Editeur, 1997,
réédité en 2019). Mise en scène
de Dany Lefrançois avec Sara
Moisan. Avec Eric Chalifour, Vicky
Côté, Martin Gagnon et Sara
Moisan. Marionnette conçue
par Mylène LebœufGagné.
Le Mouffetard Théâtre des arts de
la marionnette, 73, rue Mouffetard,
Paris 5e. Jusqu’au 15 mars, de
mercredi à vendredi à 20 heures, le
samedi à 18 heures et le dimanche
à 17 heures. Tarifs : 13 €, 16 € et 20 €.
Une marionnette
en mousse aux
dimensions
gargantuesques,
45 kilos pour une
longueur totale
de 5 mètres
« Companion (Expanded) » (2020), en réalité augmentée, à Paris. KAWS AND ACUTE ART
« Pour les
collectionneurs,
leurs œuvres
peuvent voyager
avec eux, dans
leur poche »
JACOB DE GEER
directeur d’Acute Art
CRISE
LE CHANT DUCYGNE
LES MÉFAITS DUTABAC
UNE DEMANDE EN MARIAGE
Jacques Weber
Photo© Maria Letizia Piantoni - Création graphique L'œil
carré - Licence 2-1122889
24MARS
21h.[Dimanche 15h.]
À partir du
place
Charles Dullin
75018 Paris
Théâtre
de
l'
A
te
li
e
r
Direc
tion
Mar
cLe
sag
e
ABBESSES / Anvers TextefrançaisAndré Markowicz etFrançoise Morvan
ScénographieFerd inandWoegerbauer// CostumesAnna Maria Heinreich
Assistante à la mise en scèneNikolitsa Angelakopoulou
ProductionThéâtre del’AtelierCoproductionThéâtre Montansier,Versailles
Horatio Productions // Le Radiant – Bellevue, Caluire –Lyon
AvecManon CombesetLoïc Mobihan
3 farcesde
enscèneMisePeterStein
3 far ces de
Peter SteinPeter SteinPeter Stein
TCHEKHOV
Anton P.