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PLANÈTE
VENDREDI 13 MARS 2020
0123
Trump met l’Europe en quarantaine
Le président américain ferme son pays aux ressortissants de l’espace Schengen, mais épargne les Britanniques
washington correspondant
A
près l’avoir longtemps
relativisée, Donald
Trump a fini par pren
dre la mesure de la me
nace représentée par le coronavi
rus. Mercredi 11 mars au soir, il
s’est donc exprimé dans le cadre
le plus solennel : assis derrière le
Resolute Desk du bureau Ovale de
la Maison Blanche. Dans ce cadre
réservé aux événements les plus
dramatiques, le président des
EtatsUnis a déclaré la mobilisa
tion générale contre un phéno
mène dont il disait encore une se
maine plus tôt qu’il finirait par
disparaître « comme un miracle ».
« Je suis convaincu qu’en prenant
et en continuant à prendre ces me
sures dures, nous réduirons consi
dérablement la menace qui pèse
sur nos citoyens, et nous finirons
par vaincre ce virus rapidement et
définitivement », atil assuré.
M. Trump a commencé par dési
gner des responsables. Il a mis en
cause l’Union européenne (UE),
une institution qu’il aime stigma
tiser et qui a « échoué » face au vi
rus, à ses yeux. C’est selon lui parce
que cette dernière s’est montrée
passive, alors qu’il avait interdit le
31 janvier l’accès du territoire amé
ricain aux étrangers venant de
Chine, qu’il a pris une mesure
drastique. « Pour empêcher de nou
veaux cas de pénétrer dans notre
pays, je vais suspendre tous les
voyages en provenance d’Europe
vers les EtatsUnis pour les trente
prochains jours », atil déclaré.
Il a précisé que le RoyaumeUni
ne serait pas concerné par la me
sure visant l’espace Schengen qui
entrera en vigueur dans la nuit de
vendredi à samedi, même si le
pays compte plus de cas que de
nombreux autres pays de l’UE.
Les ressortissants américains
ne seront pas concernés, pas plus
que les échanges commerciaux.
Le président a également an
noncé une éventuelle révision
des restrictions déjà appliquée vi
sant l’Asie. « L’Amérique d’abord »,
le slogan qu’il s’est fixé depuis son
entrée en politique, est donc
appliqué à la lettre. Il n’a d’ailleurs
pas eu un mot de compassion ou
de soutien envers les pays les plus
touchés par le virus.
Baisse des impôts
La mesure visant l’Europe, specta
culaire, a été accompagnée de
rappels de précautions élémen
taires pour ses concitoyens, les
plus âgés étant les plus menacés,
ainsi que par l’annonce de mesu
res de soutien pour l’économie
après une nouvelle journée noire
à Wall Street. « J’appelle le Congrès
à rapidement offrir aux Améri
cains une baisse des impôts sur les
salaires », a assuré Donald Trump.
Il a défendu cette proposition à
l’occasion d’une visite aux élus ré
publicains, mardi. Elle n’a cepen
dant pas été reçue très favorable
ment, y compris au sein de son
parti. Le président n’a pas rencon
tré, par ailleurs, de démocrates à
cette occasion alors qu’il a besoin
du feu vert à la Chambre des repré
sentants, où ils sont majoritaires.
Donald Trump a également an
noncé le report de la date butoir
de paiement des impôts pour les
individus et les entreprises tou
chées par le ralentissement de
l’économie. « Ce n’est qu’un mo
ment temporaire dans le temps
que nous surmonterons en tant
que nation », atil ajouté.
Donald Trump a terminé son
allocution par un inhabituel appel
à dépasser les divisions partisanes.
« Nous sommes tous concernés.
Nous devons mettre la politique de
côté, mettre fin au sectarisme et
nous unir en une seule nation et
une seule famille », a assuré celui
qui, au début de la crise, avait ac
cusé les démocrates d’avoir voulu
instrumentaliser la pandémie.
A peine avaitil achevé son
discours que la National Basket
Association (NBA) annonçait la
suspension jusqu’à nouvel ordre
de son championnat, après la
découverte d’un cas positif, le
pivot français des Utah Jazz Rudy
Gobert. Puis l’acteur Tom Hanks,
en déplacement en Australie,
disait être atteint par le virus,
ainsi que sa femme.
Un peu plus tard, Donald Trump
a fait savoir qu’il annulait un
déplacement prévu vendredi
dans le Nevada. La veille, son
équipe de campagne avait an
noncé sa participation à un ras
semblement prévu dans le Wis
consin le 19 mars, un Etat déter
minant pour sa réélection.
L’intervention du président des
EtatsUnis a visiblement pris de
court les institutions européen
nes. La présidente de la Commis
sion, Ursula von der Leyen, a dé
cidé d’annuler un voyage qu’elle
devait effectuer à Athènes pour
évoquer, en compagnie de la com
missaire à la migration, Ylva
Johansson, la situation à la fron
tière grécoturque. Son entourage
indiquait, jeudi matin, que les
réactions à la décision américaine
se feraient attendre car elles né
cessitaient un « calibrage précis ».
Le président du Conseil euro
péen (les Etats membres) a, lui,
réagi plus promptement, par le
biais de Twitter. Charles Michel a
invité à éviter les « perturbations
économiques » et assuré que l’UE
adoptait « toutes les mesures »
pour endiguer l’épidémie, limiter
le nombre de personnes infectées
et soutenir la recherche. Dans son
entourage, on relevait le ton « vio
lent » dont avait usé M. Trump. On
s’étonnait aussi de l’exemption
accordée aux citoyens britanni
ques. Après avoir soutenu le
Brexit, la Maison Blanche adresse
ainsi un autre signe clair à Lon
dres et à ses anciens partenaires
européens, juge un diplomate.
gilles paris, avec jeanpierre
stroobants (à bruxelles)
Donald Trump s’adresse à la nation depuis le bureau Ovale de la Maison Blanche, à Washington, le 11 mars. DOUG MILLS/AP
DONALD TRUMP
A ACCUSÉ L’UNION
EUROPÉENNE
D’AVOIR « ÉCHOUÉ »
FACE AU VIRUS
Des conséquences économiques en cascade
La décision de Trump d’interdire aux Européens de se rendre aux EtatsUnis va aggraver les difficultés des compagnies aériennes
new york correspondant
D
epuis quelque temps, on
sentait le vent venir. Le
2 février, Donald Trump
avait interdit de séjour aux Etats
Unis les étrangers ayant séjourné
depuis moins de quatorze jours
en Chine pour lutter contre le
coronavirus. On se rappelait aussi
de l’interdiction de séjour pour
les ressortissants d’une dizaine
de pays à majorité musulmane
début 2017. Une riposte allait
venir, désignant l’ennemi exté
rieur. L’Italie et, qui sait, l’Europe
tout entière?
Les expatriés les plus prudents
avaient annulé leur voyage en
Europe de peur de ne pouvoir re
venir aux EtatsUnis, telle cette
cadre d’un cabinet de conseil
français renonçant à se rendre à
Paris. Mercredi soir 11 mars, après
la décision de Donald Trump
d’interdire pour trente jours les
arrivées en provenance des pays
de l’espace Schengen, les Français
s’échangeaient des SMS. En Eu
rope ou aux EtatsUnis? « Aux
US », répond Nathalie Kosciusko
Morizet, dirigeante à New York
d’une filiale de Capgemini.
Les compagnies aériennes, con
tactées dans l’aprèsmidi, ne vou
laient pas y croire, alors qu’elles
prenaient déjà de plein fouet la
baisse du trafic aérien. La décision
est un coup dur pour les entrepri
ses comme Air France, qui réali
sent une part substantielle de
leur marge sur le trafic transatlan
tique. Il sera encore plus doulou
reux pour les entreprises endet
tées comme Norwegian qui ont
fait du low cost transatlantique
leur spécialité.
Plus de 70 millions de passagers
traversent chaque année l’Atlanti
que. Les compagnies n’ont plus
que deux jours pour transporter
vers le territoire des EtatsUnis
leurs passagers européens. Il n’est
pas clair que le service sera com
plètement interrompu. Les res
sortissants américains ainsi que
les titulaires de carte verte pour
ront rejoindre le pays via des aé
roports spécifiques ayant la capa
cité de faire des tests médicaux, a
indiqué la Maison Blanche. Le
Canada peut aussi faire figure de
porte d’entrée sur le continent
nordaméricain et le Royaume
Uni, épargné par l’embargo trum
piste, de porte de sortie de l’Eu
rope. On ne sait pas non plus si les
Européens trouveront des avions
pour repartir vers le Vieux Conti
nent. Les représentants de LVMH,
qui devaient réaliser jeudi soir à
Manhattan le lancement mon
dial de la nouvelle montre
connectée de Tag Heuer, en pré
sence de Frédéric Arnault, direc
teur de la stratégie et du digital de
l’horloger, sont théoriquement
dans les délais pour repartir.
Le président des EtatsUnis a
aussi indiqué, dans son discours,
que l’embargo de trente jours con
cernait les marchandises venues
d’Europe. En réalité, sa langue a
fourché et la Maison Blanche a
rétropédalé dans la soirée pour
expliquer qu’il n’en était rien.
Cette décision avait des côtés ab
surdes : le coronavirus n’est plus
contagieux au bout de plusieurs
jours, un temps comparable à ce
lui pris pour traverser l’Atlantique,
charger et décharger les marchan
dises sur un porteconteneurs.
Si Donald Trump a décidé de
mettre en pause ses guerres com
merciales, après les armistices
signés avec la Chine, le Canada et
le Mexique, on sait qu’il rêvait d’en
découdre avec les Européens. Des
mesures sur les marchandises
étaient l’occasion rêvée, sans
doute illégale eu égard à leur faible
justification sanitaire. « Le com
merce ne sera nullement affecté.
Les restrictions frappent les person
nes, pas les biens », a dû tweeter
Donald Trump mercredi soir.
L’affaire conduit aussi à l’annu
lation des réunions américano
européennes et des échanges étu
diants, dont la plupart avaient
déjà été reportés avec les mesures
de confinement décidées en
Europe et aux EtatsUnis.
L’épidémie va priver l’Europe de
ses touristes américains, mais
l’inverse est aussi vrai. Les Euro
péens en voyage ne voulaient
déjà pas prendre le risque de se
retrouver hospitalisés dans un
pays où la journée est facturée des
milliers de dollars.
« Pas une crise financière »
L’Europe avait déjà été coupée des
EtatsUnis dans la foulée des
attentats du 11 septembre 2001,
lorsque l’espace aérien américain
fut fermé pendant quelques
jours. Mais c’est la première fois
qu’une mesure d’une durée aussi
longue est prise.
La réaction de Donald Trump
confirme l’impossibilité pour les
Occidentaux, désormais en pre
mière ligne, d’avoir une réponse
coordonnée à la crise. Les Euro
péens n’ont pas été informés, en
dépit des rumeurs. L’Agence
FrancePresse avait tweeté dès
15 heures, heure de New York, que
l’embargo était envisagé par la
Maison Blanche.
Les échanges officieux sur les
marchés boursiers américains
laissaient prévoir une nouvelle
baisse de Wall Street de l’ordre de
4 %. En Asie, les indices étaient en
nette baisse jeudi matin. Ce dévis
sage intervient après la journée
noire de mercredi 11 mars – le Dow
Jones s’est effondré de 5,86 % –
provoquée par l’incapacité des di
rigeants de la planète à se coor
donner et celle de Trump à s’en
tendre avec le Congrès pour déci
der d’un plan de soutien à l’écono
mie américaine.
Pour l’instant, Donald Trump n’a
pu annoncer que le report du paie
ment de l’impôt sur le revenu dû le
15 avril et des prêts à taux zéro aux
PME. « Ce n’est pas une crise finan
cière, atil déclaré. C’est juste un
épisode limité dans le temps que
nous allons surmonter, en tant que
nation et sur la planète entière. »
Une épidémie que le président
américain transforme en crise fi
nancière sans s’en apercevoir.
arnaud leparmentier
P A N D É M I E D E C O V I D 1 9
PLUS DE 70 MILLIONS
DE PASSAGERS
TRAVERSENT CHAQUE
ANNÉE L’ATLANTIQUE
L’Inde se barricade à son tour
L’Inde a suspendu jusqu’au 15 avril l’attribution de tous les visas
de tourisme et décidé d’imposer une quarantaine de quatorze
jours aux voyageurs provenant ou ayant visité la Chine, l’Italie,
l’Iran, la Corée du Sud, la France, l’Espagne et l’Allemagne après
le 15 février, a indiqué le gouvernement, mercredi 11 mars. Le
gouvernement indien a également « fermement mis en garde » les
Indiens contre tout voyage non essentiel à l’étranger. Aux frontiè-
res terrestres du pays, le trafic « sera restreint à des points de con-
trôle désignés et équipés de moyens de contrôle efficaces ». L’Inde
compte pour l’instant soixante cas de personnes atteintes du
Covid-19. Ce nombre a doublé au cours des quatre derniers jours.