Le Monde - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1
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VENDREDI 13 MARS 2020 planète | 7

Dans les écoles, des


fermetures « ciblées »


L’éducation nationale défend une gestion « au cas par


cas » des confinements d’élèves et d’enseignants


T


ous les établissements
scolaires sont désor­
mais fermés en Italie, en
Grèce, en Pologne, en
République tchèque, en Ukraine
et au Danemark. Alors que la
France se prépare au stade 3 de
l’épidémie, une question résonne
au sein de la communauté éduca­
tive : « Pourquoi pas nous? » Pour­
quoi le deuxième foyer épidémi­
que en Europe ne prendrait­il pas
une mesure de cet ordre?
« Ce n’est pas notre modèle », a
défendu le ministre de l’éduca­
tion, Jean­Michel Blanquer, sur
Franceinfo, jeudi 12 mars. « La
règle est définie par les autorités de
santé », a­t­il rappelé, et la liste des
écoles fermées va « nécessaire­
ment s’allonger ». Ce jeudi, le
nombre d’élèves confinés a
atteint 420 000, sur un total de
12,4 millions. Mais la stratégie
française est celle du « ciblage », et
non de la « fermeture totale » des
établissements, a martelé le
ministre de l’éducation. Lors d’un
déplacement dans une école

primaire d’Issy­les­Moulineaux
(Hauts­de­Seine) la veille, son
homologue à la santé, Olivier
Véran, avait lui aussi défendu la
continuité pédagogique en avan­
çant un autre argument : « Si les
écoles sont ouvertes, c’est parce
que mettre les enfants à l’école
n’est pas dangereux pour [eux] »,
même s’ils peuvent être « vec­
teurs » du virus, a­t­il expliqué. A
ses côtés, M. Blanquer a rappelé le
souci de maintenir une « unité de
vue dans la manière d’aborder
cette crise sanitaire ».

Courriers aux familles
C’est bien cette « unité de vue »
que les enseignants question­
nent, au fur et à mesure que l’épi­
démie s’étend : après l’Oise, le
Haut­Rhin et le Morbihan, la
Corse et seize communes du nord
et de l’est de Montpellier ont
annoncé, mercredi, la fermeture
de leurs établissements.
A Paris, qui concentre, en addi­
tionnant le public et le privé,
762 écoles et 349 collèges et ly­

cées, la plus forte concentration
de France, la tension est montée
d’un cran en dépit d’un faible
nombre de cas recensés : l’an­
nonce coup sur coup, le 9 mars,
d’au moins un personnel touché
à la cité scolaire Paul­Valéry, dans
le 12e arrondissement, puis d’une
fillette de CE2 à l’école Blomet,
dans le 15e, a marqué une étape.
« C’est devenu “le” sujet de discus­
sion en salle des maîtres, témoi­
gne Pauline Laby, enseignante
remplaçante dans le 18e et porte­
parole du SE­UNSA­Paris. Plus per­
sonne ne peut se sentir à l’abri. »
En Ile­de­France, la question a
rebondi avec l’envoi, mercredi, de
courriers à destination des
familles. Certains, qui émanent
de crèches, anticipent d’éventuel­
les fermetures. D’autres, envoyés
par des écoles, insistent plutôt
auprès des parents sur la possible
mise en place d’un enseignement
à distance. Une façon de se prépa­
rer, sans le dire, au confinement?
« Rien de tel ne se dessine pour
l’heure sur le front des écoles pari­

siennes », tempérait­on mercredi
soir au rectorat de Paris.
L’agence régionale de santé
(ARS) d’Ile­de­France a clarifié sa
position mercredi. Son directeur,
Aurélien Rousseau, a affirmé au
Parisien que toutes les écoles
maternelles où se présenterait un
cas d’enfant malade seraient
fermées. Pour les écoles primai­
res, la fermeture complète sera
également appliquée s’il y a
plusieurs cas, le confinement de
la classe étant toujours la norme
si un seul enfant est malade.
« C’est une ligne de conduite que
l’on s’est donnée, en estimant qu’en
dessous d’un certain âge on ne
peut ni évaluer les cas contacts ni
mettre en place les gestes barriè­
res », précise­t­on dans l’entou­
rage du directeur.
Mais, d’un territoire à l’autre, les
décisions varient : à Angers, plus
de 90 personnels et élèves du
lycée professionnel Henri­
Dunant sont confinés après un
cas confirmé. A Etampes (Es­
sonne), ce sont trois classes qui
sont confinées, pour un ensei­
gnant positif au Covid­19. A
Saumur (Maine­et­Loire), seuls
25 élèves sont isolés pour un cas.
La décision de fermer des
écoles est « partenariale », défend
l’ARS d’Auvergne­Rhône­Alpes.
L’ARS ne fait que « recomman­
der » des fermetures décidées
ensuite à l’échelon préfectoral. A
la différence de l’ARS Ile­de­
France, par exemple, celle
d’Auvergne­Rhône­Alpes n’a pas
mis en place de « limite d’âge » en
dessous de laquelle la fermeture

est systématique. « La décision
dépend du nombre de cas, et de
leur évolution, y précise­t­on.
D’un département à l’autre, les
décisions peuvent être très diffé­
rentes, selon les préfectures et les
configurations locales. »

« Pas de mode d’emploi parfait »
En attendant, les établissements
touchés naviguent à vue. Le lycée
Blaise­Cendrars de Sevran (Seine­
Saint­Denis) tourne ainsi au
ralenti depuis lundi, après la
découverte de deux cas de Co­
vid­19 chez des élèves de termi­
nale. Toutes les classes de ce ni­
veau ont été placées en « quator­
zaine » samedi 7 mars, mais les
autres élèves, inquiets, se sont
massivement absentés depuis. « Il
fallait soit confiner tout le monde,
soit ne confiner que leur classe »,
juge un personnel de l’établisse­
ment. Plusieurs enseignants et
agents d’entretien se sont mis en
arrêt maladie pour la semaine.
« Il nous faut des consignes clai­
res pour ne pas ajouter à une situa­
tion sanitaire délicate », fait valoir

Elisabeth Kutas, du SNUipp­FSU­
Paris, syndicat majoritaire au pri­
maire. A l’annonce de la mise en
« quatorzaine » d’enfants et d’en­
seignants de retour d’Italie, il y a
quinze jours, nombre d’ensei­
gnants ont eu le sentiment que
« l’éducation nationale patinait un
peu », raconte­t­elle. La levée des
quatorzaines, lors du passage du
stade 1 au stade 2 de l’épidémie,
n’a pas réduit l’inquiétude, au
contraire. « En attendant le pas­
sage au stade 3, chacun s’interroge
sur la cohérence ou l’incohérence
de la réponse sanitaire, souligne
aussi Pauline Laby. C’est difficile
d’admettre qu’on ne sait pas com­
ment cela doit se passer, et qu’il n’y
a pas de mode d’emploi parfait.
Mais soit on fait confiance au sys­
tème, soit on cède à la panique. »
« On nous répète que la situation
est extrêmement évolutive, et que
ce qui est valable un jour ne l’est
pas forcément le lendemain, souli­
gne Jean­André Lasserre, de la
fédération de parents FCPE Paris.
Cette façon de communiquer peut
donner l’impression d’un manque
de logique. » Et cela n’échappe pas
aux élèves. « Sur les réseaux
sociaux, on fait des pronostics sur
la date à laquelle on sera confiné »,
témoigne Amélie, 15 ans, collé­
gienne à Paris. Sa meilleure amie,
Manon, scolarisée à Auray (Mor­
bihan), dans l’un des premiers
clusters (foyers) identifiés, expéri­
mente déjà l’école à la maison.
« La rumeur court que ça va
durer », confie­t­elle.
mattea battaglia
et violaine morin

« IL NOUS FAUT 


DES CONSIGNES CLAIRES


 POUR NE PAS AJOUTER 


À UNE SITUATION 


SANITAIRE DÉLICATE »
ÉLISABETH KUTAS
secrétaire départementale
du SNUipp-FSU-Paris

Les Français se ruent dans les rayons


des magasins pour faire des stocks


Pâtes, riz, conserves, papier toilette... les achats de produits
de grande consommation atteignent des niveaux record

U


ne commande de 36 kg
de pâtes alimentaires
passée le week­end des
7 et 8 mars dans un drive de
l’Ouest de la France ; un particu­
lier demandant de se faire livrer
une palette de bouteilles d’eau
minérale non loin de Mulhouse
(Haut­Rhin) par crainte d’une eau
communale contaminée... De­
puis quelques jours, chez Sys­
tème U, on fait la chasse
aux achats de précaution, en limi­
tant les commandes jugées anor­
males passées sur Internet, « car il
est inenvisageable qu’un seul
client récupère toutes les nouilles
que nous avons en stock », expli­
que­t­on à la direction de l’ensei­
gne de distribution alimentaire.
Dans un supermarché Carre­
four, situé dans le 13e arrondisse­
ment à Paris, un vigile surveille
les chariots à proximité des cais­
ses et limite le nombre de
packs d’eau que les clients
peuvent acheter. A la sortie,
une femme remplit une grande
valise de papier toilette et de bou­
teilles d’eau. En fin de journée,
plusieurs rayons de ce magasin
sont vides.

« 105 euros par commande »
Depuis le passage au stade 2 de
l’épidémie due au coronavirus,
annoncé vendredi 28 février, les
consommateurs se ruent dans
certains magasins pour faire des
courses dites de précaution.
Depuis un pic atteint le samedi
29 février, où les ventes de pâtes et
de conserves de poisson ont dou­
blé, le rythme d’achat reste à un
niveau exceptionnel. Selon les
chiffres publiés, mercredi 11 mars,
par l’institut Nielsen, les achats de
produits de grande consomma­
tion ont encore progressé de 5,6 %
sur la semaine du 2 au 8 mars,

après le bond de 6,2 % enregistré
la semaine précédente.
Une razzia dans les magasins
mais aussi dans les drives. Depuis
le début du mois de mars, « on
constate une augmentation du
nombre de commandes au drive
de 39 %, et une progression du
montant moyen des achats, à
105 euros par commande », af­
firme Dominique Schelcher, PDG
de Système U. Contre 40 euros en
moyenne dans les supermarchés
de l’enseigne. Cela a conduit le
distributeur à réorganiser les
postes de travail pour absorber
ces commandes inhabituelles :
réaffectation du personnel en
magasin au drive, recrutement
d’intérimaires...
Chez Auchan, certains drives
ont vu leur chiffre d’affaires croî­
tre de 15 %, d’autres de 60 % de
manière totalement irration­
nelle. « Résultat, nous avons dé­
connecté les algorithmes qui nous
servent à gérer l’approvisionne­
ment logistique car, en raison de
ce pic de demande, ils ne nous
aident pas. On fait tout à la main »,
explique­t­on chez Auchan.
Dans ce contexte d’inquiétude
où les images de rayons vides cir­
culent sur les réseaux sociaux et
où les exemples de panic buying
se multiplient aux quatre coins

du monde, les industriels et les
pouvoirs publics tentent de cal­
mer le jeu.
« Les acteurs de l’alimentation
unis souhaitent rassurer les con­
sommateurs français en les assu­
rant qu’ils mettront tout en œuvre
pour leur permettre de continuer à
s’approvisionner normalement
sur tout le territoire », ont déclaré,
mercredi 11 mars, l’Association
nationale des industries agroali­
mentaires (ANIA), la Fédération
du commerce et de la distribution
(FCD) et la Fédération nationale
des syndicats d’exploitants agri­
coles (FNSEA) dans un communi­
qué commun. La veille, ils avaient
été reçus par Didier Guillaume,
ministre de l’agriculture et de
l’alimentation, et Agnès Pannier­
Runacher, secrétaire d’Etat
auprès du ministre de l’économie
et des finances.
A la FCD, on se veut rassurant.
« Il n’y a pas de pénurie de produits
et il n’y a pas de difficultés d’appro­
visionnement, donc, à ce stade, il
n’y a pas d’inquiétude à avoir sur
la disponibilité des produits », rap­
pelle Jacques Creyssel, son délé­
gué général.
Selon un sondage IFOP paru
lundi 9 mars, un Français sur qua­
tre (25 %) a déjà évité de se rendre
dans des lieux publics pour ses loi­
sirs ou ses achats à cause du coro­
navirus. Et presque autant (24 %)
ont envisagé de les éviter prochai­
nement. Les lieux les plus concer­
nés étant les bars (21 %), les lieux
d’activités de groupe ou encore les
restaurants asiatiques (14 %).
« Si les gens sortent moins, ils
font aussi davantage la cuisine à
domicile, et ils achètent aussi plus.
C’est un effet de report assez classi­
que », souligne M. Creyssel.
laurence girard
et cécile prudhomme

« IL N’Y A PAS 


DE PÉNURIE 


ET IL N’Y A PAS


DE DIFFICULTÉS 


D’APPROVISIONNEMENT »
JACQUES CREYSSEL
délégué général de la Fédération
du commerce et de la distribution
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