Libération - 11.03.2020

(lily) #1

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ça a beaucoup changé. Même le spa de notre
hôtel a fermé.»
Désormais, les voyageurs s’inquiètent de ne
pas pouvoir rentrer chez eux. «Nous avons
longuement discuté sur le fait de repartir chez
nous en Calabre, indiquent Giulia et Fran-
cesco, deux étudiants. D’un côté, nous vou-
lions respecter la consigne de ne pas se dépla-
cer, mais de l’autre nous avions déjà nos billets
pour rentrer dans nos familles dans le Sud.»
Ils ont finalement opté pour le retour dans
le Mezzogiorno. Même si la fuite de dizaines
de milliers de personnes depuis le Nord, avec
le risque d’exporter la maladie, est l’un des
motifs qui a poussé le gouvernement à mettre
tout le pays en quarantaine.

«Le temps de la fermeté»
Depuis mardi matin à Termini, la principale
gare de Rome, les quais sont quasiment
déserts. Les rares passagers doivent se sou-
mettre au contrôle des policiers à l’entrée qui
vérifient les déclarations sur l’honneur des
voyageurs. Ceux-ci doivent expliquer s’ils
ont des raisons valables pour se déplacer.
«Nous avons refoulé certaines personnes dont
les justifications n’étaient pas convaincantes,
assure un jeune agent derrière son masque.
Dans l’ensemble, cela se passe bien. Les gens
ont compris l’urgence.»
A 200 mètres de là, les chauffeurs de taxi
romains ne sont pas de cet avis. Disposés en
cercle, ils pestent contre la décision gouver-
nementale : «C’est du bidon ce virus», lance
l’un d’eux. «Comment on va faire pour aller

acheter à manger? Pas un seul client depuis
7 heures du matin !» s’énerve un autre dans un
accès de toux. Même récrimination chez cer-
tains restaurateurs qui se plaignent de devoir
fermer à 18 heures. «Ces fascistes de policiers
m’ont obligé à retirer des tables pour mainte-
nir des distances entre les clients», s’indigne
Ettore, cafetier près de Saint-Jean-de-Latran.
Pour l’heure, le gouvernement n’a pas prévu
de prendre de nouvelles mesures. Mais pour
le président de la région, Attilio Fontana,
«c’est le temps de la fermeté. Les demi-mesures
ne suffisent pas à contenir l’épidémie». Il n’ex-
clut plus d’ordonner dans les prochains jours
la fermeture provisoire de tous les bureaux,
de toutes les administrations et de tous les
magasins, à l’exception des commerces ali-
mentaires, et de réduire au strict minimum
les services de transports publics.
ÉRIC JOZSEF
Correspondant à Rome

(1) Le prénom a été modifié.

Le décret gouvernemental a été adopté moins
de quarante-huit heures après une mesure
similaire qui ne concernait que la Lombardie,
principal foyer de l’épidémie, et quatorze
provinces du Nord dont Parme, Venise et Pa-
doue. L’extension de la quarantaine à tout le
pays a été rendue nécessaire par la propaga-
tion jusqu’à présent inexorable du Covid-19 :
1 600 nouveaux cas d’infection entre diman-
che et lundi et 463 décès (auxquels il faut
ajouter les 168 morts supplémentaires pour
la seule journée de mardi).

«Choisir les patients»
«Le virus est extrêmement contagieux et les
services de soins intensifs sont saturés, détaille
Monica (1), cardiologue dans un hôpital de
Milan. Les plus gravement malades doivent
être placés sous respirateur artificiel. Le pro-
blème, c’est que nous n’avons plus assez de res-
pirateurs pour tout le monde. Depuis quelques
jours, on nous a demandé de choisir les pa-
tients, de privilégier les jeunes sans autres pa-
thologies. Dans un autre hôpital de Milan, ils
ne placent plus en thérapie intensive les per-
sonnes de plus de 60 ans...» En clair, ces mala-
des sont sacrifiés. D’où la décision radicale
prise sur tout le territoire, y compris à Rome,
où il y a pour l’instant moins de 100 cas. Dès
mardi matin, la capitale s’est mise à fonction-
ner au ralenti. Nombre de commerces
ont baissé le rideau. Les transports publics
continuent d’assurer le service mais ils sont
aux deux tiers vides. Devant les banques et les
supermarchés, les gens rentrent au compte-

gouttes, faisant la queue à l’entrée à un mètre
de distance les uns des autres. «Je n’ai jamais
vu la fontaine de Trevi aussi déserte, c’est effa-
rant, s’exclame Renato, un employé du glacier
situé au coin de la place. Déjà ces derniers
jours, il y avait eu une baisse de l’activité. Mais
là c’est l’effondrement, au moins 70 % de chiffre
d’affaires en moins. Je préférerais rester chez
moi, mais nous continuons à travailler parce
que notre employeur nous y oblige. Je crois que
les touristes n’ont pas encore tous compris la
gravité de la situation.»
Rosa, une sexagénaire espagnole de Bilbao en
vacances à Rome avec 20 copines qui grigno-
tent des bouts de pizzas côte à côte, soupire :
«Cela m’inquiète un peu bien sûr, mais la qua-
rantaine, je trouve ça vraiment excessif.» Cer-
tains touristes ne savent pas encore que toute
l’Italie a été mise sous cloche. «Je croyais que
cela ne concernait que le nord du pays»,
s’étonne Afaf, une jeune Algérienne, à proxi-
mité de l’église Saints-Vincent-et-Anastase-à-
Trevi dont les portes sont grandes ouvertes.
«Le cardinal vicaire nous a simplement dit que
la sainte messe et les communions étaient sus-
pendues, dit une sœur philippine. Je n’ai pas
besoin de masque et ne suis pas préoccupée. On
prend nos distances et on lave partout, sans
arrêt.» Venus du Pas-de-Calais jusqu’à Rome
pour courir le semi-marathon qui a finale-
ment été annulé, Michael Sibu et son épouse
ont assisté au baisser de rideau sur la ville :
«Quand on est arrivés il y a une semaine, la
vie était à peu près ordinaire, on ne se rendait
pas compte de la situation. Depuis lundi,

l’extérieur de l’hôpital de Brescia, dans le nord de l’Italie. CLAUDIO FURLAN. LAPRESSE. AP


Sur le quai du métro, à Milan, le 10 mars. MIGUEL MEDINA. AFP

A Rome, les Italiens observent une distance minimale entre eux. PIZZOLI. AFP

LIBÉ.FR

«Les malades du coronavirus occupent
presque toutes nos unités de soins inten-
sifs» Dans une Italie totalement confinée
pour tenter de contenir la propagation de
l’épidémie, trois habitants, dont une méde-
cin, racontent l’ambiance autour d’eux.
Lire leurs témoignages sur Libération.fr
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