devises du pays. Riyad avait déjà
tenté un pari équivalent en 2014,
sans grand succès tant le schiste
américain s’était montré résilient.
L’action combinée de la réduc-
tion de la demande mondiale et du
déplafonnement des exportations
saoudiennes devrait faire déraper
le déficit budgétaire, prévu à 6 % du
PIB pour cette année, avant même
le début de la crise. Le « point mort
budgétaire », le prix au-dessous
duquel le budget saoudien tombe
dans le rouge, est estimé à 83,6 dol-
lars le baril cette année. Or le prix
de l’or noir avoisine les 30 dollars le
baril aujourd’hui.
Recours à l’emprunt
L’Arabie saoudite pourrait afficher
un déficit commercial en 2020,
situation extrêmement inhabi-
tuelle. « Chaque semaine, Riyad perd
1,75 milliard de recettes en devises par
rapport à la situation d’avant la
crise », calcule Alexandre Kateb.
Tout ceci devrait peser sur la
croissance saoudienne, déjà médio-
cre depuis trois ans. L’ambitieux
agenda Vision 2030 de diversifica-
tion de l’économie porté par le
prince héritier Mohammed ben Sal-
réserves importantes et d’un fonds
souverain, dispose d’une bonne
signature sur les marchés finan-
ciers internationaux.
Fort d’une production actuelle de
9,7 millions de barils par jour (Mb/j)
au troisième rang mondial, mais qui
peut monter à 12,5 Mb/j, l’Arabie
saoudite devrait donc pouvoir sur-
monter la tempête grâce à
l’emprunt, mais pourrait devoir
retourner à la table des négociations
avec la Russie dans trois à six mois,
estiment les analystes.
Reste que la situation se compli-
que à Riyad par l’offensive en cours
de MBS pour succéder le plus vite
possible à son père, âgé de quatre-
vingt-quatre ans et malade. MBS a
fait arrêter ce week-end pour « tra-
hison et complot » trois membres
éminents de la famille royale, dont
le propre frère du roi. Une stratégie,
là aussi, à haut risque et qui suscite
une sourde colère au sein de la
dynastie, même si la peur l’emporte
pour l’instant. Pourrait s’y ajouter
un troisième danger : que se passe-
rait-il si l’épidémie de coronavirus
flambait dans le royaume, comme
elle le fait de manière très létale chez
l’ennemi et voisin iranien ?n
L’Arabie saoudite dans un tumulte auto-infligé
Yv es Bourdillon
@yvesbourdillon
Rudes temps pour Riyad. L’Arabie
saoudite est parmi les pays au
monde les plus dépendants des
exportations de pétrole et donc très
impacté p ar la chute des cours de ces
derniers jours. Chute que l’Arabie
saoudite a accentuée, lundi, en déci-
dant d’augmenter largement ses
exportations afin de défendre ses
parts de marchés face au pétrole de
schiste américain.
« Une stratégie très r isquée e t diffi-
cile à tenir à moyen terme », estime
Alexandre Kateb, économiste et
président du cabinet Compétence
Finance. Et pour cause : l’or noir
fournit les trois quarts des recettes
budgétaires et la quasi-totalité des
Riyad a provoqué
une guerre des prix qui,
conjuguée aux effets de
l’épidémie de coronavirus,
va lui coûter cher. Elle peut
tenir, mais devra recourir
à l’emprunt. Une situation
d’autant plus volatile que
le prince héritier accentue
l’élimination de ses rivaux.
A ce stade, le projet de budget
2020 table sur un cours moyen
de 50 dollars le baril et un déficit
de 7 % du PIB, déjà très substan-
tiel. I l est v rai q ue l’Etat a lgérien a
de très gros b esoins pour acheter
la paix sociale, via notamment
des subventions aux produits de
première nécessité, ainsi qu’en
infrastructures et éducation.
Les deux tiers des 40 millions
d’Algériens ont moins de 30 ans.
Le nouveau président, Abdel-
madjid Tebboune, a aussi pro-
mis des mesures pour les ména-
ges à faibles revenus qu’il devra
peut-être réviser.
La piste
de l’emprunt
La chute vraisemblable de ses
exportations, qui ne dépassent
pas 35 milliards de dollars,
devrait peser sur les réserves de
change de la banque centrale,
que le pouvoir pensait stabiliser
après cinq années de chute.
Les importations sont en effet
largement incompressibles : le
pays produit une faible propor-
tion de produits de première
nécessité, alimentation et phar-
macie notamment.
Ces réserves de change ne
dépasseraient pas plus de
62 milliards de dollars, l’équiva-
lent de dix-huit mois d’importa-
tion, contre 1 94 milliards en 2013.
Ce qui augmentera les pressions
à la dévaluation du dinar.
Autre piste, évoquée mi-fé-
vrier par le Premier ministre,
Abdelaziz Djerad : le recours
à des financements extérieurs
à long terme.
Si elle a dilapidé une grande
partie de sa rente des hydrocar-
bures, évaluée à mille milliards
de dollars sur les vingt dernières
années, l’Algérie dispose en effet
d’un atout : elle est très peu
endettée.
— Y. B.
Un deuxième front s’ouvre
contre le pouvoir algérien. Ce
dernier, toujours confronté au
mouvement de contestation
sociale lancé il y a treize mois,
doit désormais faire face à la
chute dramatique du prix de
l’or noir, qui entraîne dans son
sillage celui du gaz.
Un désastre pour un pays dont
les hydrocarbures fournissent la
quasitotalité d es recettes en devi-
ses et la moitié des recettes
budgétaires via le monopole
public, la Sonatrach, cinquième
exportateur mondial de gaz.
Risque de dérapage
budgétaire
Le pouvoir fait pourtant montre
de flegmatisme. Officiellement,
le Conseil des ministres de
dimanche dernier n’a même pas
évoqué le danger que l’épidémie
de coronavirus faisait peser sur
les cours des hydrocarbures.
Ceux-ci avaient pourtant com-
mencé à fortement dévisser les
jours précédents.
Le « point mort fiscal », le prix
en dessous duquel le budget est
dans le rouge, se situe à 109 dol-
lars le baril pour l’Algérie, soit
l’un des plus hauts niveaux
au monde. Si le prix ne remonte
pas substantiellement au-dessus
des 29 dollars touchés lundi soir,
le déficit public algérien risque
de déraper de manière vertigi-
neuse.
La chute des prix
des hydrocarbures
va faire exploser le déficit
budgétaire algérien,
déjà prévu à 6 % du PIB
en 2020. Le pouvoir,
confronté à une contesta-
tion toujours vivace,
devra sans doute réviser
certaines promesses
en direction des ménages
modestes.
L’Algérie va devoir
se serrer la ceinture
l’augmentation de l’offre de pétrole se
combine à une immense incertitude
sur l’évolution de la demande à cause
de l’épidémie » , souligne Marc-An-
toine Eyl-Mazzega, directeur du
Centre énergie de l’Ifri. « En 2015,
l’économie mondiale était dans une
phase de reprise, alors que nous som-
mes aujourd’hui en période de ralen-
tissement » , ajoute Catharina Hillen-
brand-Saponar, chez l’assureur-
crédit Euler Hermes.
Situations déjà explosives
Pa rmi les pays les plus touchés, cer-
tains sont déjà en difficulté parce
qu’ils pâtissent depuis l’an dernier
de la chute des cours du gaz. C’est le
cas de l’Algérie, du Nigeria et de
l’Angola. « Ce sera très dur pour
eux » , déplore Marc-Antoine Eyl-
Mazzega.
Pour d’autres Etats, la chute de la
rente pétrolière accentuera une
situation sociale et politique déjà
explosive. C’est le cas singulière-
ment de l’Irak, l’un des principaux
membres de l’Opep, qui a besoin
d’un baril à 60 dollars pour équili-
brer son budget. « Bagdad aura du
mal à financer des services publics
essentiels comme la santé et l’éduca-
tion » , estime Fatih Birol, le direc-
teur général de l’Agence internatio-
nale de l’énergie. « Devenu un lieu
d’affrontement entre sunnites et chii-
tes et un enjeu pour l’Iran et l’Arabie
saoudite, l’Irak est particulièrement
instable , poursuit le chercheur de
l’Ifri. Daech p ourrait en profiter pour
revenir en force. »
La plupart des pays producteurs
n’ont pas réussi à réduire leur dépen-
dance aux hydrocarbures. « Beau-
coup d’entre eux sont minés par des
conflits ou dirigés par des régimes
sclérosés qui n’ont aucune stratégie
économique » , reprend Marc-An-
toine Eyl-Mazzega. D eux seulement,
la Russie et les Emirats arabes unis,
peuvent équilibrer leur balance des
paiements avec un baril autour de
30 dollars, selon Euler Hermes.
Tous les autres pays du Golfe et les
anciennes républiques soviétiques
sont en déficit budgétaire quand le
baril passe sous la barre des 45 dol-
lars. Si les cours restent au niveau
actuel, Bahreïn, Oman et le
Kazakhstan verraient leurs déficits
extérieurs grimper « à des niveaux
susceptibles de perturber les investis-
seurs et de mettre leurs devises sous
pression » , estime l’assureur-crédit.
L’Amérique latine
touchée aussi
Bahreïn et Oman pourront comp-
ter sur un soutien financier de leurs
alliés du Golfe, soucieux d’éviter
« une contagion pour leurs propres
devises qui sont indexées sur le dol-
lar ». Le Kazakhstan, en revanche,
pourrait être forcé de dévaluer sa
monnaie, comme en 2015. Pour les
autres pétromonarchies et la Rus-
sie, les déficits seront « gérables »,
selon Euler Hermes, même si Mos-
cou subit une forte dépréciation du
rouble.
En dehors des grands produc-
teurs, des « petits » du pétrole seront
durement frappés eux aussi, bien
que leur économie soit plus diversi-
fiée. L’Equateur et la Colombie per-
draient plus d’un point de PIB si le
prix du baril restait à ce niveau pen-
dant un an, estime Euler Hermes. Le
Mexique abandonnerait un demi-
point de richesse nationale. « Con-
trairement à l’Arabie saoudite, aux
Emirats ou à la Russie, ces pays ne
peuvent pas compenser la baisse des
prix par une hausse de leur produc-
tion » , explique Catharina Hillen-
brand-Saponar.n
lDéficits budgétaires, devises sous pression, services
publics affectés... avec la chute des cours du brut,
les pays dépendants du pétrole entrent dans une zone
de turbulences.
lAvec le risque d’accroître une instabilité sociale
et politique déjà endémique pour certains.
Les pays producteurs
de pétrole
dans la tourmente
Vi ncent Collen
@VincentCollen
La guerre des prix qui fait rage
depuis lundi sur le marché du
pétrole plonge la planète énergie
dans l’incertitude. Au point que
Donald Trump s’e st entretenu au
téléphone avec le prince héritier
saoudien lundi pour évoquer la
chute des cours. Les prix du brut se
sont nettement ressaisis mardi. Le
brent gagnait plus de 5 % dans
l’après-midi, repassant la barre des
36 dollars le baril. Mais personne
ne se risque à prédire une remon-
tée durable, tant les forces déclen-
chées par Riyad et Moscou sont
puissantes.
L’Arabie saoudite, troisième pro-
ducteur mondial, a fait savoir qu’elle
augmentait sa production de 25 % à
partir du 1er avril, passant à 12,3 mil-
lions de barils par jour, un record.
Ces volumes sont même supérieurs
aux capacités du Royaume, ce qui
signifie que la compagnie nationale,
Aramco, va puiser dans ses stocks
pour mettre le plus de volumes pos-
sible sur le marché.
Pire qu’en 2015
La Russie a répliqué quelques minu-
tes plus tard. Le pays peut augmen-
ter sa production de 500.000 barils
par jour, a annoncé le ministre de
l’Energie, Alexandre Novak. La Rus-
sie passerait ainsi à 11,8 millions de
barils, un record là aussi.
Sous le choc, les pays producteurs
commencent à évaluer l’impact,
sans doute durable, sur leur écono-
mie. « La situation est encore plus
compliquée que lors du précédent
effondrement des cours en 2015, car
ÉNERGIE
Il a dit
« L’Irak est
particulièrement
instable. Daech
pourrait en profiter
pour revenir
en force. »
MARC-ANTOINE
EYL-MAZZEGA
Directeur du Centre énergie
de l’Ifri
Photo Ifri
man, dit « MBS », fournit des résul-
tats décevants. La porte d’une
relance monétaire est fermée, puis-
que le riyal saoudien est lié au dollar.
Ne reste que l’arme d’une relance
budgétaire, que Riyad actionnera
vraisemblablement. Dans une
situation équivalente, en 2016-2017,
MBS avait imposé une cure d’austé-
rité, vite remisée au placard devant
les protestations d’une population
saoudienne habituée aux largesses
de l’Etat. L’Arabie saoudite, dotée de
L’action combinée
de la réduction de
la demande mondiale
et du déplafonnement
des exportations
saoudiennes devrait
faire déraper le déficit
budgétaire.
Celui-ci était prévu
à 6 % du PIB pour
cette année avant
le début de la crise.
avec Les Echos
150 BONNES RAISONS
Vladimir Poutine et Mohammed ben Salmane à Riyad, en octobre 2019. Al eksey Nikolskyi/Sputnik
MONDE
Mercredi 11 mars 2020 Les Echos