08 // MONDE Mercredi 11 mars 2020 Les Echos
EUROPE
Derek Perrotte
@DerekPerrotte
—Bureau de Bruxelles
Le cap des 100 jours vient d’être
passé mais le temps des annonces
est loin d’être fini pour la nouvelle
Commission européenne. Mardi,
elle a dévoilé à Bruxelles sa nouvelle
« stratégie industrielle », un plan
d’action visant à aider le cœur de
l’économie européenne à faire face à
la « double transition » qui l’attend :
les r évolutions numériques et clima-
tiques, priorité du mandat de la pré-
sidente Ursula von der Leyen.
Chasse à la
surréglementation
« Cela nécessite des efforts radicaux
qui doivent démarrer dès à présent » ,
a insisté le commissaire à l’Industrie
et au Marché unique, Thierry Bre-
ton. Mais pas question pour lui
d’imposer d’entrée le chemin à sui-
vre et les mesures à prendre
pour parvenir à la neutralité climati-
que d’ici 2050, grand objectif du
« green deal » européen. Grand
défenseur de la « soft l aw », il promet
et promeut une approche souple,
« par écosystème » et intégrant plei-
nement les entreprises et les autres
parties prenantes (chercheurs, syn-
dicats, Etats, etc.) à la réflexion ces
prochains mois.
« Nous sommes là pour aider les
entreprises, sans en oublier aucune » ,
a-t-il insisté. Charge ensuite pour
Bruxelles de tirer de cet état des lieux
d’éventuelles conclusions législati-
ves puis de faciliter l’accès aux plans
de soutien au verdissement et à la
digitalisation de l’économie.
Alors que les débats récents ont
beaucoup tourné autour des gran-
des entreprises et du besoin de
champions européens plus solides,
la Commission prend ici garde
de remettre l’accent sur les PME,
« épine dorsale de notre économie » ,
avec un plan d’action dédié. Elle
promet de renforcer le fonctionne-
ment du marché intérieur, encore
trop laborieux aux yeux d ’une l arge
majorité d’entre elles. Bruxelles
annonce des « guichets uniques »
dans chaque Etat et veut lancer une
nouvelle chasse aux règlements
inutiles et aux barrières insidieuse-
ment érigées par les Etats mem-
bres. Un groupe de travail va être
lancé avec ces derniers, mais son
issue reste incertaine tant ce dos-
sier constitue un serpent de mer
européen.
Les autres mesures du plan PME
font également écho à des difficul-
tés récurrentes : Bruxelles a ppelle à
renforcer leur accès aux marchés
publics et à fluidifier et diversifier
leur financement. Là aussi, les pro-
messes sont louables mais déjà
entendues par le passé.
La Chine dans le viseur
Si la stratégie dévoilée est globale-
ment saluée, elle sonne toutefois
encore creux. D’autant que les sujets
clés pour l’avenir de l’industrie,
comme la réforme des règles de
concurrence, pour favoriser l’émer-
gence de champions mondiaux, e t la
création d’une contribution c arbone
aux frontières, pour contrer le dum-
affronter la concurrence sur le mar-
ché international », appuie-t-il.
Après la décision de refuser la
fusion d’Alstom et Siemens dans le
rail, beaucoup d’explications sont
attendues, notamment en France
et en Allemagne, sur l’évolution de
cette politique et sur les mesures
envisageables. Plusieurs pays
(France, Italie, Allemagne, Pologne)
ont manifesté leur impatience et
leurs envies dans une lettre à la com-
missaire sur un assouplissement
des règles de fusion. Cela passe
notamment par la révision de ce
qu’est un marché pertinent, qui
se cristallise d’abord sur les parts
de marché des entreprises.
Mais il y a aussi une analyse plus
subjective qui est menée. « La défi-
nition du marché se base sur une
enquête auprès des entreprises qui
vous expliquent ce qu’est la réalité de
leur capacité à arbitrer entre des four-
nisseurs alternatifs. Et évidemment,
il y a un hiatus entre la perception de
l’univers concurrentiel par le fournis-
seur et par le client » , expliquait
récemment Olivier Guersent, à
l’European American Press Club à
Paris. Selon lui, « le marché retenu
pour son analyse par la Commission
était exactement celui qui avait été
défini par Siemens et Alstom. Donc,
il faut objectiver tout ça, se rappeler
que le droit de la concurrence sert à
protéger les alternatives de nos clients
en Europe, entreprises et particuliers,
et de nos sous-traitants qui sont bien
souvent des PME ».
« Airbus des batteries »
La Commission observe d’un œil
beaucoup plus indulgent les rappro-
chements industriels pour créer de
nouveaux marchés. C’est le cas dans
les batteries, où Français et Alle-
mands ont mis leurs forces en com-
mun. « Sur le plan du bilan carbone
c’est un peu mieux de les produire en
Europe que de les importer de Chine.
Cela a aussi des avantages de compéti-
tivité. Tout est dans tout : politique de
concurrence, compétitivité/politique
industrielle, “new green deal” et digi-
tal, ce sont les facettes d’une même
question » , note Olivier Guersent.
« Tous les problèmes de concur-
rence ne se résolvent pas dans le droit
de la concurrence » , observe-t-il
Pour soutenir la nouvelle impulsion
donnée à la stratégie industrielle
européenne, la Commission Von
der Leyen veut, en parallèle, conti-
nuer à parfaire le marché intérieur,
encore très hétérogène selon les sec-
teurs, et moderniser sa politique de
la concurrence. C’est l’un des grands
chantiers engagés cette année par la
vice-présidente Margrethe Vestager
alors qu’une grande partie des textes
juridiques qui encadrent son exer-
cice arrivent à maturité.
Il devrait prendre une douzaine
de mois, selon le directeur général
de la Concurrence, Olivier Guersent.
La politique de la concurrence « a
un rôle important à jouer dans une
stratégie industrielle qui est de veiller
à ce que l’on maintienne une compéti-
tion efficace sur le marché domesti-
que, qui prépare nos entreprises à
Les entreprises européen-
nes attendent avec impa-
tience la révision des règles
de politique de concurrence
de la Commission.
Un chantier qui prendra
au moins une année.
Benjamin Quénelle
— Correspondant à Moscou
A maintes reprises, Vladimir
Poutine avait répété qu’il ne le
ferait pas. Mais, mardi, les dépu-
tés de la Douma ont finalement
autorisé le président russe à se
représenter. Un vrai coup de
théâtre dans la réforme de la
Constitution que le chef du
Kremlin a lui-même lancée par
surprise le 15 janvier dans son
Discours à la nation.
En apparence, il devait s’agir
d’un simple toilettage institu-
tionnel, dont l’objectif final était
déjà clair : trouver un moyen de
prolonger le pouvoir de Vladi-
mir Poutine au-delà de 2024, fin
de son mandat non renouvela-
ble après déjà un quart de siècle
au pouvoir. Diverses options
étaient depuis envisagées.
Un événement rare
Lorsque, en pleine deuxième
lecture par la Douma des amen-
dements proposés par le
Kremlin, la doyenne des députés
s’est levée, mardi, pour prendre
la parole, tout s’est soudaine-
ment éclairci. « Pourquoi tour-
ner autour de la question? » s’est
interrogée Valentina Tere-
chkova, quatre-vingt-trois ans,
première femme dans l’espace,
célèbre cosmonaute peu con-
nue jusque-là pour ses coups
d’éclat parlementaires. « Pour-
quoi imaginer des constructions
artificielles? Si la situation l’exige
et si les gens le veulent [...], il faut
RUSSIE
A la surprise
générale, la réforme
de la Constitution
a été accélérée
à la Douma, mardi,
rendant possible
la réélection du
président pour deux
nouveaux mandats.
Les députés russes
autorisent Poutine
à se représenter
à la présidence
permettre au président de se pré-
senter à ce poste de nouveau. »
La Douma a donc elle-même
demandé à Vladimir Poutine de
changer l’actuelle interdiction
constitutionnelle sur un troi-
sième mandat de suite en lui
permettant, à l’occasion de la
réforme, de remettre les comp-
teurs à zéro. Une fois la proposi-
tion faite, le scénario s’est accé-
léré.
Le speaker a levé la séance,
prétextant de nécessaires
consultations avec le président.
Une heure plus tard, Vladimir
Poutine est arrivé dans l’hémicy-
cle. Un événement rare. Très à
l’aise, le chef du Kremlin a joué
les modestes, reconnaissant
« possible » de « réinitialiser »
son compteur. Mais, a-t-il
insisté, à condition que « les
citoyens soutiennent » cet amen-
dement et que « la Cour constitu-
tionnelle c onfirme que ce n’est p as
contraire à la loi fondamentale ».
Puis, le vote de la Douma a été
rapide, sans débat ni suspens : la
proposition de Valentina Tere-
chkova et l’ensemble des amen-
dements ont été adoptés p ar une
vaste majorité (382 députés
pour, 44 abstentions, zéro
contre). La suite, y compris la
décision de la Cour constitution-
nelle et le vote aux allures de
référendum annoncé pour le
22 avril, devrait être une forma-
lité. Vladimir Poutine pourrait
rempiler pour deux mandats au
Kremlin. Jusqu’en 2036.n
La décision
de la Cour
constitutionnelle et
le vote aux allures
de référendum,
annoncé
pour le 22 avril, ne
devraient plus être
qu’une formalité.
en bref
ping climatique, restent en suspens.
La Commission ne prévoit de pré-
senter ses projets en la matière qu’au
deuxième semestre au mieux. La
réforme de la concurrence, en parti-
culier, ne devrait pas être lancée
aussi vite que ne l’exigent Paris et
Berlin. La Commission ne s’atta-
quera aussi qu’en 2021 aux cas des
entreprises subventionnées par des
pays tiers et opérant sur le territoire
européen.
Un plan pour renforcer la pro-
priété intellectuelle et les brevets
européens va en outre être lancé. La
Chine n’est pas nommée mais bien
visée par ces projets.
D’ici là, la Commission continue
de promouvoir son dispositif de
« projet d’intérêt européen commun »
(IPCEI), le récent lancement par
Paris et Berlin d’une « alliance des
batteries » étant érigé en exemple à
suivre. Ce dispositif permet de fait à
Bruxelles d’impulser une forme de
politique industrielle commune en
autorisant les aides d’Etat dans des
domaines clés et d’avenir. Il sera
révisé pour être plus simple et faire
plus de place aux PME, a annoncé
Thierry Breton, appelant à lancer
rapidement de telles alliances dans
l’hydrogène, l’Internet des objets et
le cloud industriel.n
lLa Commission européenne a dévoilé sa stratégie pour l’industrie.
lElle promet une approche sur mesure pour aider les entreprises dans leur
transition verte et numérique. Et un accès renforcé des PME au marché unique.
Bruxelles guidera l’industrie
dans la « double transition »
néanmoins. Ouverture réciproque
sur les marchés publics, subven-
tions d’entreprises par des pays tiers,
acquisitions étrangères sont autant
de sujets de préoccupation pour
l’environnement concurrentiel des
entreprises. « Pourquoi devrait-on
autoriser, dans des juridictions où nos
entreprises ne peuvent pas acquérir le
contrôle d’entreprises locales, à pren-
dre le contrôle d’entreprises européen-
nes? Il y a des visions extrêmement
divergentes en Europe sur cette ques-
tion-là », souligne Olivier Guersent.
La France est plutôt protection-
niste quand d’autres doutent de
« notre intérêt de bâtir de hauts murs
autour de l’Europe ». Pour sa part, le
directeur général de la Concurrence
estime « qu’il faut se donner les
moyens d’agir là où c’est nécessaire,
non pas tant pour fermer nos mar-
chés qu’ouvrir ceux des autres. Il n’y
a pas d’inconvénient à se doter d’un
arsenal et à annoncer que, le cas
échéant, on pourra l’utiliser d’une
manière plus ou moins graduée, et
cela pourra inciter nos partenaires
commerciaux à changer de politi-
que. » — Virginie Robert
Po litique de la concurrence : le chantier est lancé
« Des efforts radicaux doivent démarrer dès à présent » pour réussir la transition écologique et numérique, a insisté Thierry Breton.
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L’ ONU met à nouveau en garde
contre le réchauffement climatique
ENVIRONNEMENT Les niveaux de g az à effet de serre c ontinuant à
augmenter, le réchauffement climatique va se poursuivre. Un nou-
veau record annuel de température est probable au cours des cinq
prochaines années, prévient l’Organisation météorologique mon-
diale. 2019 s’est achevée avec une température moyenne de 1,1°C au-
dessus des niveaux de l’ère préindustrielle. Ce qui en fait la
deuxième année la plus chaude jamais enregistrée après 2016 (une
année hors norme car elle avait été marquée par le phénomène cli-
matique El Niño).
L’ Union européenne doit redoubler
d’efforts pour réduire ses émissions
CLIMAT Les pays de l’UE vont devoir doubler leurs efforts pour
réduire leurs émissions de gaz à effet de serre s’ils veulent atteindre
les objectifs fixés à l’horizon 2030, estime l’Agence européenne de
l’environnement. « A plus de la moitié de la période 2005- 20 30, l e total
des réductions réalisées dans les secteurs (ciblés) représente seulement
un tiers de la baisse nécessaire d’ici 2030 pour atteindre l’objectif de
30% de réduction comparé au niveau de 2005. »
« Nous sommes là
pour aider
les entreprises,
sans en oublier
aucune. »
THIERRY BRETON
Commissaire à l’Industrie
et au Marché unique
John Thys/AFP