20 |culture DIMANCHE 23 LUNDI 24 FÉVRIER 2020
0123
S É L E C T I O N
A L B U M S
J A C Q U E S O F F E N B A C H
Maître Péronilla
Chœur de Radio France, Orchestre natio
nal de France dirigé par Markus Poschner.
Le bicentenaire Offenbach s’achève sur
une éclatante réhabilitation, celle de
Maître Péronilla, opérabouffe de la matu
rité créé en mars 1878. L’œuvre était jus
qu’alors restée confidentielle dans l’uni
vers du disque. Une situation
incompréhensible à l’écoute de cette par
tition brillante, dont l’action, située en
Espagne, mêle boléros, malaguenas et séguedilles, au long du li
vret touffu d’Offenbach luimême. Au service, l’Orchestre natio
nal de France sous la direction subtile et enlevée de Markus
Poschner et une distribution idéalement francophone. A com
mencer par la Léona de Véronique Gens, grande dame capable
d’entorses à la bienséance, tandis que le baryton généreux de
Tassis Christoyannis fait merveille en Ripardos. Si Antoinette
Dennefeld campe un Frimouskino jeune et fougueux, Anaïs
Constans est une adorable et mutine Manoëla. Eric Huchet in
vestit le rôletitre avec la maestria teintée d’autosuffisance qui
convient, tandis que l’Alvarès de Chantal SantonJeffery a tout
d’une pile électrique. marieaude roux
2 CD-livre Palazetto Bru-Zane.
R O B I N M C K E L L E
Alterations
Chanteuse parfaitement à l’aise dans
le jazz, qu’elle a pratiqué en petite forma
tion aussi bien qu’en big band, et dans
la soul – notamment avec Heart of Mem
phis –, l’Américaine Robin McKelle rend
hommage à des chanteuses qui l’ont
« émue, changée ». Femmes du jazz et du blues (Billie Holiday,
Janis Joplin), de la country et du folk (Dolly Parton, Joni
Mitchell) ou de la pop (Amy Winehouse, Adele, Carole King...),
dont elle reprend dans Alterations des chansons connues ou
plus secrètes. Dans une ambiance jazz, plutôt acoustique, avec
ici et là une section saxophone ténor et trompette, elle est
l’arrangeuse des dix chansons, inventive dans son approche,
changeant souvent le tempo, les couleurs d’origine. Ainsi de
Rolling in the Deep, d’Adele, qui s’étend en une douce ballade,
ou Jolene, de Dolly Parton, qui perd toute référence country.
L’ensemble séduit par cette capacité de Robin McKelle à être
totalement ellemême en partant des autres. sylvain siclier
1 CD Membran/Sony Music.
D E S T R O Y E R
Have We Met
Le Canadien Dan Bejar, plus connu sous
le nom de Destroyer, a longtemps
semblé marcher sur les traces du David
Bowie glam rock d’Hunky Dory, surtout
pour sa voix nasale. Mais l’exNew Porno
graphers a su développer une identité
musicale singulière, reposant sur le charme d’une production
psychédélique artisanale et des textes cryptiques tourmentés.
En 2011, l’album Kaputt a amorcé un virage esthétique, Bejar se
présentant sous des apparats de crooner new wave façon Roxy
Music, à grand renfort de claviers analogiques. Après quelques
disques moins inspirés, ce douzième opus réactualise avec
brio cette facette « dandy synthétique », par le biais de boîtes
à rythmes et de sonorités plus sophistiquées – It Just Doesn’t
Happen et ses nappes triphop, ou l’exotique Cue Synthesizer.
Le chant de Bejar n’a jamais été aussi grave et intimiste
que sur le bouleversant Foolssong. franck colombani
1 CD Dead Ocean/PIAS.
M O R G A N E I M B E A U D
Amazone
Elément important du charme néofolk
de Cocoon, lors des deux premiers
albums de ce qui était encore un duo
(avec le chanteurguitariste Mark
Daumail), la pianiste Morgane Imbeaud
a longtemps flâné d’une collaboration
à l’autre – Julien Doré, JeanLouis Murat, Elias Dris... – avant
de se risquer en solo. Après un conte musical, Les Songes de Léo
(2015), d’une aérienne gravité, la Clermontoise revient en
guerrière mélancolique dans Amazone. Estce pour fuir le froid
boréal de la Norvège, où la jeune trentenaire s’est isolée pour
parfaire ses chansons? L’album donne l’impression d’avoir été
enregistré et chanté entre deux duvets, lové dans le moelleux
cristallin d’une guitare et la suavité d’un clavier Rhodes. Cette
délicate rondeur dessinée par la réalisation épurée de Renaud
Brustlein (luimême interprète d’un spleen laidback sous
le nom de HBurns) peut d’abord sembler trop confortable.
Ce nid douillet abrite pourtant quelques confidences qu’il fait
bon réécouter pour mesurer les désirs d’escapade (Au nord)
et d’indépendance (Gressholmen, Amazone), portés par des
mélodies entêtantes (la guitare déliée de Let You Down et de
Je ne vous oublierai jamais, écrite par Mickaël Furnon, de Mic
key 3D) et de tendres pulsions (Afterglow). stéphane davet
1 CD Roy Music.
P H I L O & L E S V O I X D U TA M B O U R
Lanzdifou
Philo, c’est Philippe GouyerMontout,
chanteur et tanbouyé martiniquais,
auteurcompositeur et conteur,
né en 1976 à FortdeFrance et grandi
à l’AnseDufour, au sudouest de l’île.
Une sacrée nature, dont le timbre, le ton
ne sont pas sans rappeler Eugène Mona, surnommé « le rebelle
des mornes », figure du patrimoine musical local, mort
en 1991. Philo ne chante pas, il fait claquer le créole, martèle les
mots comme il frappe son tambour, enflamme chaque syllabe,
tel un prêcheur exalté. Il perpétue la mémoire des « voix
enfouies dans le temps » et le bèlè, le chant de la terre de Marti
nique qui remonte au temps de l’esclavage. Un bèlè qu’il ouvre
à tous les vents (bugle, trombone, sax ténor, clarinette basse,
flûte des mornes, corne de lambi) en invitant une palette de
musiciens pas timorés (Franck Nicolas, Nicolas Genest, Dédé
SaintPrix, Xavier Sibre...). Mario Canonge ajoute son piano sur
un titre, dans lequel Philo conte en créole et en français « la
fierté des marinspêcheurs de Lanzdifou ». patrick labesse
1 CD Aztec Musique/PIAS.
« La Dame blanche » revient
hanter l’OpéraComique
Le blockbuster de Boieldieu peine à entrer dans le XXI
e
siècle
OPÉRA
L
a dernière Dame blanche
de Boieldieu était appa
rue à l’OpéraComique
en 1997. Aux manettes, le
metteur en scène JeanLouis Pi
chon et le chef d’orchestre Marc
Minkowski, qui en gravera une
version remarquée pour EMI,
avant la reprise de 1999. L’œuvre
coïncide avec la vogue littéraire
en France du roman noir de
Walter Scott, qui inspira via Guy
Mannering, son Monastère et La
Dame du lac le livret d’Eugène
Scribe : une histoire d’amour et
d’enfants perdus, sur fond de
château écossais hanté.
Créé en 1825 à l’OpéraComique,
le 26e opéra de Boieldieu est censé
porter un coup à la suprématie
rossinienne. Il récoltera cepen
dant les faveurs du Cygne de
Pesaro (Rossini y vit un « tour de
force »), tandis que Weber le com
parait aux Noces de Figaro et que
Wagner y voyait la marque du gé
nie français. Immense succès pu
blic aussi, puisque La Dame blan
che fut le premier titre à atteindre
les mille représentations. Classé
« patrimoine national », l’ouvrage
valut à son auteur de donner son
nom à la place Boieldieu où est sis
l’OpéraComique.
Plateau vocal équilibré
C’est peu de dire que le retour
d’exil de La Dame blanche en son
domaine était attendu. Elle fut
d’abord accueillie par une cohorte
de techniciens, dont le discours li
minaire passablement redondant
en cette journée de grève natio
nale déclencha l’ire d’un fâcheux
impatient, avant de se terminer
sous des applaudissements nour
ris dont on ne sait s’ils saluaient
l’intervention colérique du qui
dam, le réquisitoire des intermit
tents du spectacle contre la ré
forme des retraites ou l’espoir
d’un début de spectacle, que rien
ne devait perturber.
Pas même la mise en scène de
Pauline Bureau, qui semble
n’avoir pas résisté au vertige de la
page blanche, produisant une
série d’ébauches, dont aucune
n’ira à son terme. Entre décors à
l’ancienne revisités, costumes
pseudoHighlander, facéties arti
ficières et direction d’acteurs
convenue, le temps, qui oscille
entre fantastique de farces et at
trapes et comique de boulevard,
semble parfois s’allonger aux
limites du décrochage.
Même la caractérisation annon
cée de la jeune orpheline, Anna,
en femme libre, se soldera par
une scène de domination, il est
vrai assez savoureuse, tandis que
celle qui n’est autre que la Dame
blanche, cravache en main et
sousvêtements de cuir noir sous
la mousseline de sa robe blanche,
arrache le serment d’obéissance
et de fidélité au jeune soldat
qu’elle aime en secret. Lequel
Georges Brown n’est autre que
l’héritier amnésique du château
d’Avenel, dont il faut sauver le
patrimoine des griffes roturières
de l’ancien intendant devenu
riche. Ce que fera.
Le plateau vocal, équilibré, rend
justice à la musique, même si
d’aucuns semblent parfois limi
tes. A commencer par le Georges
de Philippe Talbot, épatant rôle
titre dans Le Comte Ory, de Ros
sini, monté en 2017 sur ce même
plateau, dont le caractère joyeux
peine à relever le défi vocalique
de la partition, se révélant nette
ment plus touchant dans la
cavatine « Viens, gentille dame ».
A ses côtés, Elsa Benoit campe
une Anna explosive et détermi
née, dont le joli soprano livrera
sans doute les meilleurs mo
ments de la soirée, comme dans
l’air de souvenir (« Enfin je vous
revois, séjour de mon enfance »).
Si le couple de paysans, Yann
Beuron en Dixton des familles et
Sophie MarinDegor en Jenny sé
ductrice, tire (assez pénible
ment) son épingle du jeu, la voix
tragique d’Aude Extrémo trans
forme la vieille nourrice du châ
teau, Marguerite (au rouet), en
Norne wagnérienne. Dans le rôle
du méchant Gaveston, le
bouillant Jérôme Boutillier aura
beau disparaître, tel Don Gio
vanni, dans une trappe rou
geoyante, il aura bien du mal à
passer pour un vrai caractériel.
Comme à l’accoutumée, l’im
peccable chœur Les Eléments se
révélera quasi irréprochable, tan
dis que, dans la fosse, l’Orchestre
national d’IledeFrance, em
mené par le talentueux Julien
Leroy, baguette précise et expres
sive, porte à bout de bras une
orchestration sans originalité
quoique d’une grande efficacité
dramaturgique.
marieaude roux
La Dame blanche, de Boieldieu.
Avec Philippe Talbot, Elsa Benoit,
Sophie MarinDegor,
Aude Extrémo, Pauline Bureau
(mise en scène), Emmanuelle Roy
(décors), Chœur Les Eléments,
Orchestre national d’Ilede
France, Julien Leroy (direction).
OpéraComique, Paris 2e.
Jusqu’au 1er mars.De 6 € à 145 €.
Opéracomique.com
Philippe Talbot (Georges Brown) et Elsa Benoit (Anna). CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
G A L E R I E S
H E R V É G U I B E R T
Galerie Les Douches
Dans ses textes comme dans ses images, l’écrivainphotogra
phe Hervé Guibert, mort en 1991 à 36 ans, jouait avec le « je ».
Et ses autoportraits, exposés en tirages d’époque à la galerie
Les Douches, sont comme un voyage en luimême. On y
retrouve son visage d’ange aux yeux cristallins, mais
qui toujours se dérobe derrière une vitre, un drap, une ombre,
un bandeau qui bouche la vue. Des images rarement
frontales, qui dessinent une présence bien plus qu’un visage.
Après avoir montré un versant plus morbide et fantastique du
disparu, la galerie revient avec « De l’intime » sur des photos
plus connues, délicates et rêveuses. Moins incisif en images
que dans ses mots, Guibert montre son univers personnel et
littéraire, en disposant soigneusement êtres et objets
dans un autoportrait mélancolique ; entre les livres,
la machine à écrire, les manuscrits, les amis, les tableaux
et le temps toujours compté, que tracent les aiguilles
de la montre posée sur le lit. claire guillot
« De l’intime », Hervé Guibert, Galerie Les Douches, 5, rue de Legouvé,
Paris 10e. Tél. : 01-78-94-03-00. Jusqu’au 14 mars.
Lesdoucheslagalerie.com
HORS -SÉRIE
UNEVIE,UNE ŒUVRE
BorisVian
L’écritureheureuse
Unjeunehommepressé,parPhilippeBoggio
ÉDITION
2020
Un hors-série du«Monde»
124pages-8,50€
Chezvotremarchand de journaux
et surlemonde.fr/boutique
BORIS VIAN
L’ÉCRITURE HEUREUSE