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SAMEDI 14 MARS 2020 coronavirus| 15
Krach historique sur les Bourses
mondiales, les investisseurs paniquent
Après un lundi noir, les marchés ont connu, jeudi, un violent accès de fièvre
L
es mots sont importants. Leur
gradation aussi. L’épidémie de
coronavirus s’est transformée en
pandémie, selon l’Organisation mon
diale de la santé (OMS). La correction sur
les marchés a muté, jeudi 12 mars, en
krach boursier, admettent les puristes.
Après un lundi noir, les Bourses mon
diales ont connu, jeudi 12 mars, un vio
lent accès de fièvre malgré l’interven
tion des banques centrales. « Il faut re
monter à 2008 pour essuyer deux ses
sions de Bourse aussi négatives en une
seule semaine », souligne Laurent Bou
doin, responsable de la gestion obliga
taire de Sanso Investment Solutions.
Christine Lagarde, la présidente de la
Banque centrale européenne (BCE), se
souviendra de son baptême du feu. Mal
gré les mesures de soutien annoncées
jeudi par l’institution de Francfort, le
CAC 40 a plongé de 12,3 % pour clôturer à
4 044 points : jamais l’indice vedette de
la Bourse de Paris n’avait subi un tel
écroulement sur une séance, même
pendant le mois d’octobre 1987 de sinis
tre mémoire. Le CAC 40 abandonne près
de 31 % depuis le début de l’année. A la
mifévrier, porté par l’euphorie des in
vestisseurs, il caracolait encore audes
sus des 6 000 points. Les montants sont
vertigineux : ces 2 000 points effacés en
trois semaines équivalant à quelque
100 milliards d’euros de capitalisation
boursière évaporés pour les actionnai
res de LVMH, Total et Renault.
Les Bourses européennes, de Londres
(– 10,9 %) à Madrid (– 14 %), en passant
par Francfort (– 12,2 %), ont aussi subi
des dégringolades record. Mais, sans
surprise, c’est la place de Milan qui s’est
avérée la plus pénalisée, alors que la
pandémie liée au coronavirus con
traint l’économie italienne à l’arrêt.
L’indicephare des actions transalpines
a plongé de près de 17 %. Le taux d’em
prunt à dix ans de l’Etat italien s’est, lui,
tendu de 50 points de base.
Dans la soirée, la Réserve fédérale
américaine (Fed, banque centrale) n’a
pas plus réussi que sa consœur euro
péenne à rassurer les salles de « tra
ding ». Elle a pourtant annoncé l’injec
tion de 1 500 milliards de dollars
(1 340 milliards d’euros) de liquidités
sur le marché monétaire. « Un pas très
important », a salué James Knightley,
économiste en chef chez ING.
Cela n’a pas empêché, à Wall Street,
l’indice S&P 500 de lâcher 9,5 % pour
clôturer sous les 2 500 points. A ce ni
veau, « cela veut dire que les investis
seurs anticipent une récession
aux EtatsUnis. C’est exagéré, mais il y a
beaucoup de nervosité, car l’incertitude
reste très grande », souligne Philippe
Müller, responsable des thématiques
d’investissement chez UBS Wealth
Management.
Signe de stress majeur, la montée en
flèche de l’indicateur VIX – surnommé
aussi « l’indice de la peur » –, qui me
sure la volatilité des actions américai
nes. Autre phénomène inquiétant,
même l’or, sacrosainte valeur refuge, a
perdu de son éclat. « Jeudi, le métal
jaune a commencé, dans un premier
temps, par s’apprécier avant de chuter.
Cela montre qu’il y a des vendeurs for
cés, qui sont obligés de couper leurs po
sitions même si ce n’est pas leur intérêt »,
analyse M. Müller.
« Les marchés s’effondrent, comme
en 2008, mais la situation n’a rien à voir,
car la liquidité est loin d’être aussi dégra
dée que pendant la crise des subprimes.
Nous ne sommes pas dans un environ
nement systémique », insiste Benjamin
Melman, directeur des gestions chez
Edmond de Rothschild Asset Manage
ment (Edram), qui ajoute : « Il y aura un
choc économique mais peutêtre atil
été surestimé. »
Le choc est bien réel : le transport aé
rien, le tourisme, l’hôtellerie, les cen
tres commerciaux, la culture..., des sec
teurs entiers de l’économie voient leur
activité freinée par la mise en place de
mesures destinées à limiter l’expan
sion du virus.
Dispositifs de soutien
Les pétroliers, eux, souffrent de la glis
sade du prix du baril depuis dimanche
8 mars, après la décision de l’Arabie
saoudite d’augmenter sa production et
de réduire ses tarifs pour écouler plus de
brut. Les banques, enfin, apparaissent
doublement pénalisées par la chute des
marchés et par la montée potentielle
des défaillances d’entreprises.
Faute de pouvoir prévoir la durée de
la crise sanitaire, les investisseurs s’en
remettent aux Etats et aux banques
centrales pour éviter que la lutte contre
la pandémie ne provoque des domma
ges irréversibles sur l’économie mon
diale. Déjà, des dispositifs de soutien
aux PME ou aux banques ont été an
noncés ici et là, mais, à mesure que
l’Italie ferme ses commerces, les Etats
Unis ses aéroports et la France ses éco
les, les attentes se font plus pressantes.
« La peur du coronavirus chez les inves
tisseurs augmente plus vite que ne par
viennent les informations sur les stimuli
fiscaux et monétaires », résume
M. Müller. « Les mesures annoncées par
la BCE sont très bonnes, mais il ne s’agit
pas d’un bazooka, ajoute M. Melman.
[Surtout,] on aurait pu espérer une coo
pération monétaire et budgétaire plus
marquée, au moins au sein de l’Europe. »
Après le « pschitt » des banques cen
trales, les investisseurs espèrent une in
tervention déterminante des Etats.
« Nous, Européens, ne laisserons pas une
crise financière et économique se propa
ger. Nous réagirons fort et nous réagi
rons vite. L’ensemble des gouvernements
européens doit prendre les décisions de
soutien de l’activité, puis de relance, quoi
qu’il en coûte », a promis, jeudi soir, Em
manuel Macron lors de son allocution
télévisée. En 2008, il avait fallu la faillite
d’un établissement de crédit allemand
pour que la chancelière Angela Merkel
accepte l’élaboration d’un plan euro
péen de sauvetage des banques.
isabelle chaperon
Mario Draghi, le précédent président
de la Banque centrale européenne,
avait parfois l’âme bucolique.
En 2012, au cœur de la crise moné
taire qui secouait l’Europe, il avait
comparé l’euro à un bourdon. Vu sa
physionomie, un corps massif et de
toutes petites ailes, il ne devrait pas
voler... et pourtant il vole. Un être
étrange qui défie les lois de la pesan
teur. Et c’est pour défendre cette in
congruité qu’est la monnaie unique
européenne qu’il avait affirmé que
son institution était prête « à faire
tout ce qu’il faut pour préserver l’euro,
et, croyezmoi, ce sera suffisant ». Les
marchés qui aiment qu’on leur ra
conte de belles histoires ont immé
diatement capté le message et stoppé
la spéculation. Le banquier italien
avait sauvé l’euro.
12 mars 2020, le discours est tout
autre. Pas d’allégorie champêtre. La
nouvelle présidente de la BCE, Chris
tine Lagarde, assure que, dans la crise
actuelle, son institution n’est pas en
première ligne, que c’est aux Etats
d’agir et qu’elle se contentera de sou
tenir les banques prêteuses. Pas de
baisse de taux annoncée non plus.
Les marchés ont détesté et plongé
l’Europe dans la pire journée bour
sière de son histoire. Mme Lagarde
n’avait pourtant pas tort. D’ailleurs,
comme en miroir, un peu plus tard
dans la soirée, c’est le président fran
çais, Emmanuel Macron, qui a en
dossé l’habit draghien, en lançant
que « tout sera mis en œuvre pour
protéger nos salariés et pour protéger
nos entreprises, quoi qu’il en coûte ».
Défier la pesanteur
Macron et Lagarde jouent donc à
front renversé. Ce n’est pas étonnant.
En 2011 et 2012, la crise venait de la fi
nance, et menaçait de dévaster l’éco
nomie. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La
crise du coronavirus pousse les Etats
à geler l’économie pour limiter la
propagation du virus. Avec en tête le
souvenir de l’épidémie de grippe es
pagnole fin 1918, où l’Europe, au sor
tir de la guerre, a tout fait pour mini
miser la catastrophe avant qu’elle ne
s’impose (50 millions de morts dans
le monde dont 2,3 millions en Eu
rope). Mais ce progrès dans l’appré
hension de ce drame humain touche
d’un coup tous les ressorts de l’éco
nomie, celui de l’offre avec l’arrêt de
la production et celui de la demande
avec une consommation stoppée net.
Ce gel de l’activité remonte brutale
ment vers la finance. D’abord par l’ef
fondrement de la valeur des entrepri
ses les plus touchées. Puis, la correc
tion se fait panique au fur et à
mesure que les pays occidentaux en
trent dans la guerre contre le virus. Et
maintenant, c’est la partie la plus
profonde de la sphère financière qui
est attaquée. Le taux des obligations
des pays les plus fragiles, comme
l’Italie, repart vers les sommets,
transmettant le virus de la crise au
cœur des budgets étatiques. C’est évi
demment la limite du « quoi qu’il en
coûte macronien ». Les dettes des
Etats vont s’envoler, ce qui ne sera
supportable que si les taux restent
bas. Le facteur critique sera donc ce
lui du temps de sortie de crise.
Chacun retient son souffle et espère
qu’en dépit des vents contraires
le bourdon continuera à défier
la pesanteur.
PERTES & PROFITS|CRISE ÉCONOMIQUE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e
Le vol contrarié du bourdon
Cours du Cac 40,
en points
Cours du FTSE 100,
en points
Cours du Dow Jones
en points
Un effondrement généralisé
2 janvier
2020
12 mars
2020
2 janvier
2020
12 mars
2020
2 janvier
2020
12 mars
2020
2 janvier
2020
12 mars
2020
7 542,
6 011,
28 627,
Technipfmc
Renault
Société
generale
Crédit
agricole SA
Tota l
- 66,72 %
- 61,29 %
- 49,88 %
- 48,98 %
- 46,38 %
Sources : Boursorama ; Borsa Italiana Infographie : Le Monde
Cours du MIB en Italie
en points
2 janvier
2020
12 mars
2020
23 836,
5 237,
4 025,
21 154,
14 894,
LES CHIFFRES
0,8 %
C’est la croissance désormais atten-
due dans la zone euro en 2020,
contre 1,1 % jusqu’à présent. Et
encore, ces prévisions, arrêtées au
24 février, « ne sont plus à jour », a
souligné la BCE, et ne prennent pas
en compte les plus récents dévelop-
pements de la maladie.
0,4 %
C’est la croissance attendue des
investissements en 2020. Soit un
rythme nettement plus faible que
le 1,7 % estimé en décembre 2019.
− 0,50 %
C’est le taux de dépôt de la BCE,
qui reste inchangé.
120 MILLIARDS
C’est, en euros, le montant supplé-
mentaire du rachat d’actifs que va ef-
fectuer la BCE. Cette enveloppe vient
s’ajouter aux 20 milliards d’euros par
mois déjà en place.