“CECI EST UNE PHOTOGRAPHIE DE
MA MÈRE, prise par ma grand-mère. Elle
était artiste et voulait faire une sculpture de
sa belle-fille, et avait donc réalisé une série
d’images préparatoires. Je connais cette
image par cœur, parce que le buste de
bronze a toujours été chez moi. Dans cette
photographie, où ma mère pose, concen-
trée, s’apprêtant à être sculptée, je vois
toute sa grâce, la finesse de ses traits, la déli-
catesse de sa posture. Ma mère a eu une
influence profonde sur mon idée de la
beauté. Enfant, je passais des heures dans
son placard, à organiser ses habits, ses
chaussures, à lui dire quoi porter – à chaque
fois, elle m’écoutait.
Dans l’album photo de...
Daniel
ROSEBERRY.
L’AMÉRICAIN A REPRIS EN AVRIL 2019
LA DIRECTION ARTISTIQUE DE LA MAISON
SCHIAPARELLI. IL Y CULTIVE UN PENCHANT
POUR L’ÉPURE ET L’ÉLÉGANCE QUI LUI
VIENT DE SA MÈRE.
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LE PODCAST
“LE GOÛT DE M”
SUR LEMONDE.FR
ET SUR TOUTES
LES PLATEFORMES.
L’INVITÉ :
L’ÉCRIVAIN
ÉDOUARD LOUIS.
Ce qui me touche dans cette photographie,
c’est qu’on voit son visage plein cadre. Ce
même visage qui a été si important pour
moi. De Matthew Barney à Jessica Rabbit,
d’Audrey Hepburn à Catwoman, tous les
êtres qui ont été importants pour moi ont
découlé de ce visage. Aujourd’hui encore,
quand je dessine une silhouette de mode, je
commence toujours par un visage, jamais
par le corps. Après tout, on tombe amou-
reux d’une tête, pas d’un corps.
J’ai grandi au Texas, à Dallas. Mon père
était prêtre anglican et a fondé une paroisse
l’année de ma naissance. Avec les années,
c’est devenu une communauté importante,
avec 4 0 00 fidèles. Mon père dirigeait l’of-
fice, et ma mère avait le rôle de l’épouse du
pasteur. Elle était sous le regard de tous et
devait être attentive à ce que chacun se
sente à l’aise, être chaleureuse mais pas
trop expansive. Dans mes souvenirs d’en-
fance, elle se tient toujours à la sortie de
l’église, présente et gracieuse.
Aujourd’hui, ma vie est très différente de
celle de mon enfance, religieuse et conser-
vatrice. Je suis homosexuel, je ne suis plus
chrétien, je ne vis plus au Texas... Et ma
relation avec mes parents a été un long
périple – aujourd’hui, ma mère est très
émue à chacun de mes défilés. Ce visage est
toujours là, il m’accompagne dans les chan-
gements de ma vie. Après l’adolescence, j’ai
été au Moyen-Orient pendant un an, pour
être missionnaire chrétien. Puis je me suis
installé à New York, où j’ai débuté dans la
mode. Aujourd’hui, je vis à Paris, et tout est
nouveau pour moi. Depuis que je suis arrivé
chez Schiaparelli, je suis pour la première
fois de ma carrière dans une position où les
gens me regardent, où je suis jugé en fonc-
tion de ce que je fais et de qui je suis. Alors,
j’essaie d’être comme ma mère autrefois
sur le perron de l’église, aussi attentif et
gracieux qu’elle l’était.
Propos recueillis par Clément GHYS
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LE GOÛT
Martha Thorson