20 |france SAMEDI 14 MARS 2020
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A Marseille, la succession incertaine de Gaudin
Martine Vassal, la candidate LR et favorite des sondages, ne distance pas le RN et une liste d’union à gauche
marseille correspondant
L
e sondage était fébrile
ment attendu par tous les
étatsmajors de campa
gne depuis la mijanvier,
date de la dernière étude officielle
auscultant les élections munici
pales marseillaises. Rendu public
mardi 10 mars par La Provence, il
n’a finalement éclairé personne.
A quelques jours du premier tour,
l’étude réalisée auprès de 704 per
sonnes du 2 au 6 mars par IFOP
Fiducial confirme le flou qui
flotte depuis quelques mois sur le
résultat des élections dans la
deuxième ville de France.
Traditionnellement à Marseille,
le scrutin est rendu complexe par
sa structure. Ici, on élit huit mai
res de secteurs, dans des territoi
res à la sociologie totalement dif
férente. Historiquement, la gau
che convoite le centre et le nord
de la ville, plus populaires. La
droite capitalise, elle, sur le sud et
l’est. La majorité à la mairie cen
trale ne s’obtient qu’en décro
chant un minimum de 51 con
seillers municipaux sur l’ensem
ble du territoire.
A cette arithmétique alambi
quée, s’ajoute cette fois un éclate
ment inédit du paysage politique.
Avec le départ du maire Les Répu
blicains (LR) JeanClaude Gaudin,
vingtcinq ans de règne absolu, la
droite s’est déchirée en deux lis
tes. L’apparition de La République
en marche (LRM) dans le jeu local
et la décision d’Europe Ecologie
Les Verts (EELV), d’une part, et de
l’exsénatrice socialiste Samia
Ghali, d’autre part, de faire cava
liers seuls tandis que le reste de la
gauche cherchait à s’unir, fractu
rent encore les candidatures.
Durant cette dernière semaine
de campagne, la crise du corona
virus n’a fait qu’accentuer les in
terrogations. Comme partout en
France, les meetings ont été an
nulés et le doute plane sur le taux
de participation au premier tour.
Traits fatigués par plusieurs
mois de visites de terrain inten
ses, la candidate investie par LR,
Martine Vassal, affiche ses ambi
tions. Jeudi 12 mars, elle s’est lan
cée dans un marathon de 48 heu
res pour arpenter les huit secteurs
de la ville. « Je veux faire le grand
chelem. Robert Vigouroux [maire
de 1986 à 1995] a prouvé que c’était
possible en 1989 », affirme la prési
dente de la métropole AixMar
seilleProvence et du départe
ment des BouchesduRhône.
Dans le récent sondage, l’élue,
57 ans, arrive en tête sur l’ensem
ble de la ville avec 24 % des inten
tions de vote, devant le Rassem
blement national (22 %) et le Prin
temps marseillais, rassemble
ment à gauche « écologiste et
citoyen » (18 %). Un trio qui dis
tance le reste des sept candidatu
res en lice. Mme Vassal se détache
même dans le 4e secteur où elle se
présente personnellement (37 %).
Mais, dans un cas comme dans
l’autre, la candidate LR reste très
loin des scores réalisés en 2014 par
son mentor JeanClaude Gaudin.
Le maire de Marseille, qui sou
tient Mme Vassal mais a été tenu
soigneusement à l’écart de la cam
pagne par celleci, cumulait à
l’époque 37 % des voix. Et n’avait
pas eu besoin d’un second tour
pour être élu sur ses terres du
4 e secteur (51 %).
Campagne bulldozer
« Je ne vois personne remporter
quatre secteurs et avoir la majorité
des conseillers municipaux. L’élec
tion du maire de Marseille risque
de se passer dans des alliances de
troisième tour », s’inquiète un im
portant cadre de LR, habitué des
joutes locales. Après plusieurs se
maines d’une campagne bulldo
zer, où elle utilise à plein la puis
sance des deux collectivités
qu’elle dirige et fait tapisser la
ville de son portrait, Mme Vassal
n’a pas éliminé le doute qui règne
dans son propre camp.
Preuve de cette fébrilité, la plu
part des conseillers de la majorité
sortante ont demandé à être rapa
triés dans les secteurs tradition
nellement à droite. Les 4e, 5e et 6e
accueillent l’essentiel des anciens
élus de M. Gaudin, qui pensent y
trouver une assurance de réélec
tion. Le renouvellement – « Je pré
sente 70 % de nouveaux candi
dats », insiste Mme Vassal – con
cerne les territoires où sa victoire
est loin d’être acquise.
La dissidence du sénateur
Bruno Gilles, crédité de 10 % des
intentions de vote lors du son
dage du 9 mars, ampute claire
ment son score. L’ancien patron
de la fédération départementale
LR, qui espère toujours être réélu
dans son fief du 3e secteur, a été
privé par l’épidémie due au coro
navirus de son meeting de der
nière semaine où, selon ses équi
pes, plus de 2 000 personnes
étaient inscrites. Dans un dis
cours diffusé sur Internet,
M. Gilles a encore affirmé qu’il
« ne se rallierait pas ». Parmi ses
proches, on insiste pour dire que
« la phrase vaut pour le premier,
comme pour le second tour ».
Dans ce contexte incertain, le
camp Vassal durcit sa campagne.
Il y a quelques semaines, ses criti
ques ciblaient prioritairement
Yvon Berland, le candidat LRM. Ce
dernier étant englué à 7 % des in
tentions de vote, les attaques ci
blent désormais le Printemps
marseillais. Une liste « d’ultragau
che » pour Mme Vassal et ses colis
tiers. « Ce n’est pas le Printemps
marseillais, c’est l’hiver de Sta
line », ose sur les réseaux sociaux,
la députée LR Valérie Boyer.
Des tracts associant des photos
de manifestations de black blocs
et le nom de la liste de gauche sont
diffusés. Les Républicains se sont
également emparés de ce qu’ils
appellent le « Rubirolagate » : la
mise en cause de la tête de liste du
Printemps marseillais, Michèle
Rubirola, accusée d’avoir fait une
partie de sa campagne en congé
maladie, ce qu’elle dément. « Cela
montre que nous sommes devenus
la force à abattre », se convainc Mi
chèle Rubirola, dans un murmure.
Assise au milieu des sept autres
têtes de listes de secteur dans sa
permanence du boulevard Baille
(6e), la médecin de 63 ans, suspen
due par EELV, a perdu sa voix au
pire moment. « Une vilaine tra
chéite », expliquetelle. C’est son
porteparole, le socialiste Benoît
Payan, candidat dans le 2e secteur,
qui, comme souvent, prend le re
lais. « Ce sondage montre que nous
avons creusé l’écart à gauche. Nous
sommes désormais la seule force
alternative au RN et aux héritiers
du système », assure le conseiller
départemental.
Mélange de citoyens
Comme ses colistiers, il lit le recul
de Debout Marseille, le pôle éco
logiste porté par EELV, estimé à
10 %, et le score de son ancienne
camarade au PS Samia Ghali (9 %)
comme des signes positifs. Il note
aussi que le sénateur JeanNoël
Guérini, ancien patron du conseil
départemental renvoyé devant le
tribunal correctionnel, apporte
son soutien aux listes de Martine
Vassal. « Le système se défend. Fa
briquer une équation majoritaire
au second tour passera par une
discussion avec les copains
d’EELV », calculetil déjà.
« On bénéficie de notre amateu
risme, de notre impréparation, de
notre campagne joyeuse... Il y a un
courant de sympathie qui nous
surprend nousmêmes », sourit
une des chevilles ouvrières de
cette alliance qui a connu des
débuts chaotiques. Le mélange de
citoyens et de membres de onze
organisations politiques dont le
PS, le PCF, La France insoumise
- qui ne soutient pas officielle
ment la liste –, Génération.s ou
encore Place publique, apparaît
toujours fragile. « Si l’on gagne, ce
sera la victoire des antihéros »,
concède Benoît Payan.
« Il y a quelques mois, tout le
monde disait que les conséquen
ces de la catastrophe de la rue
d’Aubagne, le départ de Gaudin,
l’émergence des collectifs citoyens
allaient provoquer un grand chan
gement. En fait, on ne note pas
d’évolution des équilibres électo
raux de la ville. On retombe sur un
jeu classique d’opposition entre
droite et gauche, où l’hypothèse
d’une victoire de Mme Vassal reste
la plus probable, malgré la forte
présence du RN », analyse le poli
tologue Joël Gombin.
Pour ce spécialiste des scrutins
marseillais, « le RN est comme un
éléphant dans un magasin de por
celaine. Personne ne veut en perce
voir le poids réel ». « A cause de la
grande fragmentation de ses
rivaux, il est en capacité d’être en
tête au premier tour dans tous les
secteurs périphériques de la ville
et de conserver son 7e secteur »,
soulignetil.
Devant Marine Le Pen, venue en
personne le soutenir le 6 mars, le
sénateur Stéphane Ravier s’est
permis une prédiction : « Nous
sommes au bord du plus gros coup
de tonnerre politique qu’a connu la
France... Au moins depuis le
21 avril 2002. » La possibilité de
triangulaires, voire de quadran
gulaires, dans certains secteurs
de Marseille au second tour, pour
rait aider le chef de file du RN à la
rendre plausible.
gilles rof
Une fin de campagne houleuse dans la cité phocéenne
Annulation de débat, crise du coronavirus et coups bas entre candidats, les derniers jours ont été mouvementés à Marseille
marseille correspondant
D
ébat télévisé annulé,
plaintes croisées, crain
tes de fraude... Dans ses
dernières semaines, la campagne
marseillaise a pris un tournant
nauséabond. Mercredi 11 mars,
un vent de colère a soufflé parmi
les candidats lorsque le débat
prévu sur France 3 ProvenceAl
pesCôte d’Azur s’est vu dépro
grammé. « Rapt de la démocratie »
pour l’exLR Bruno Gilles, « vol de
l’élection » pour le candidat LRM
Yvon Berland, « triste image pour
Marseille » selon Samia Ghali.
Certains ont même tenté d’orga
niser un débat au débotté, sollici
tant des journalistes locaux.
Si l’annulation a été provoquée
par un bras de fer interne entre les
salariés de France 3 et leur direc
tion à propos de la présence sur le
plateau de l’éditorialiste de La Pro
vence FranzOlivier Giesbert, dont
la neutralité était contestée par les
syndicats, elle a aussi masqué le
refus de la candidate LR Martine
Vassal de participer au débat.
« Je ne vais pas me rendre sur un
plateau télé pour servir de
punchingball. Tous les candidats
vont m’attaquer et je n’aurai pas le
temps de parler de mon pro
gramme », se justifiait au Monde,
dès la semaine précédente, la fa
vorite des sondages, qui avait déjà
refusé un débat sur RTL et une
émission du site d’informations
Marsactu. Une attitude qualifiée
de « fuite » par ses adversaires.
« Moi, je n’ai pas peur de la con
frontation avec les citoyens ou
mes adversaires », remarque ainsi
Bruno Gilles.
Privée de débats entre têtes de
liste, la campagne marseillaise se
joue donc ailleurs, par presse et
réseaux sociaux interposés. L’af
faire du « Rubirolagate » a ainsi
déclenché le dépôt de plaintes
croisées. Accusée par ses adver
saires et le magazine Capital
d’avoir fait campagne en congé
maladie, notamment du 8 au
20 janvier, la candidate du Prin
temps marseillais, Michèle Rubi
rola, a publié, mercredi 11 mars,
un long communiqué où elle jus
tifie sa situation.
Son employeur, la Caisse pri
maire d’assurancemaladie des
BouchesduRhône, assure, de
son côté, n’avoir relevé « aucune
anomalie » dans ce dossier.
Mme Rubirola a déposé une
plainte contre Mme Vassal pour
« atteinte à la vie privée et viola
tion du secret médical », estimant
que la candidate LR est à l’origine
de la fuite de ses documents per
sonnels vers la presse. Mme Vassal,
elle, a entamé une procédure en
diffamation contre la tête de liste
du Printemps marseillais.
Dans une ambiance rendue sur
réaliste par la crise du coronavi
rus, les différentes listes alertent
aussi sur des craintes de fraude
lors des opérations de vote et des
collectes de procurations. Les
équipes de Martine Vassal avaient
adressé une lettre ouverte au pré
fet des BouchesduRhône et au
préfet de police dès le 28 février.
« Intimidations et menaces »
Jeudi, ce sont plusieurs de ses ad
versaires, dont les candidats du
Printemps marseillais et le dé
puté LRM Saïd Ahamada, qui ont
sollicité le préfet des Bouchesdu
Rhône Pierre Dartout. Les pre
miers ont demandé la présence
d’équipes de police à proximité
d’une série de bureaux de vote. Le
second, le détachement d’un offi
cier de police dans chaque bureau
du 8e secteur, où il est candidat.
« Tout au long de la campagne,
mes équipes ont subi de nombreu
ses intimidations et menaces. Je ne
veux pas que les vieilles méthodes
se répètent à nouveau », assure le
parlementaire.
Tête de liste RN dans le 6e sec
teur, Franck Allisio placera, lui,
deux assesseurs dans chaque bu
reau. « Je ne veux pas revivre ce qui
m’est arrivé en 2017, assure le con
seiller régional, où dans un bu
reau, j’ai constaté que le vote LR est
passé de 7 % à la présidentielle à
50 % aux législatives. Un écart que
l’on ne retrouve nulle part
ailleurs. » Concentré sur la mise
en place des mesures sanitaires
dans les lieux de vote, le préfet
Dartout rappelle que « la régula
rité des opérations de vote est à la
charge des présidents de bureau.
Tout électeur qui constate une irré
gularité peut la faire consigner sur
le procèsverbal à tout moment de
la journée ». Pour les contesta
tions, il renvoie vers la commis
sion de contrôle du vote, compo
sée de magistrats.
g. r.
Les différentes
listes alertent
sur des craintes
de fraude lors
des opérations
de vote et
des collectes
de procurations
A Marseille, le 21 janvier. GERARD JULIEN/AFP
« On ne note
pas d’évolution
des équilibres
électoraux
de la ville. On
retombe sur une
opposition entre
droite et gauche »
JOËL GOMBIN
politologue
« L’élection
du maire de
Marseille risque
de se passer dans
des alliances de
troisième tour »,
s’inquiète un
cadre de LR