Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

0123
SAMEDI 14 MARS 2020 économie & entreprise| 23


T


riste anniversaire pour
Boeing. Depuis le
13 mars 2019, le 737 MAX
est cloué au sol à la suite
de deux catastrophes aériennes
qui ont causé la mort de 346 pas­
sagers et membres d’équipage.
Après une année d’immobilisa­
tion, aucun calendrier n’est fixé
pour le retour en vol de l’appareil.
Ces derniers jours encore,
Boeing tablait sur un double feu
vert de l’Agence fédérale améri­
caine de l’aviation (FAA) et de
l’Agence européenne de la sécu­
rité aérienne (EASA) au prin­
temps avec un retour dans les
airs de son moyen­courrier à
l’été. Mais l’incertitude demeure
sur l’avenir du MAX. « Il y a plus
de chances qu’il revole un jour que
de risques qu’il soit définitive­
ment stoppé », veut croire Marc
Durance, associé au sein du cabi­
net de conseil Archery Strategy
Consulting (ASC).
Le rapport de la Commission
des transports du Congrès amé­
ricain, dévoilé vendredi 6 mars, a
porté un coup très dur à Boeing.
Selon elle, le MAX est un avion
« fondamentalement défectueux
et dangereux ». Pourtant, insiste
l’associé du cabinet ASC, « per­
sonne n’a intérêt à ce que le MAX
ne revole pas ». Avec près de
5 000 exemplaires en com­
mande, « le trou dans l’offre de
moyen­courriers serait gigantes­
que », s’effraie­t­il. Airbus a déjà
fort à faire pour produire les
6 800 exemplaires de son mo­
dèle A320 qui lui ont été com­
mandés. L’avionneur européen
« ne serait pas en mesure de pro­
duire cinquante appareils de plus
par mois » pour remplacer le
MAX de Boeing, précise M. Du­
rance. Aujourd’hui, une compa­
gnie cliente d’Airbus doit patien­
ter pendant cinq ans avant de
prendre livraison de son A320.
La crise du MAX se révèle un dé­
sastre économique pour Boeing.
Elle devrait lui coûter au bas mot
de « 20 à 25 milliards de dollars »
(de 17,7 à 22,1 milliards d’euros),
estime M. Durance. Et ce n’est
qu’une estimation provisoire.
Chaque mois qui passe ajoute
des milliards aux milliards. Pire
pour l’avionneur, les compa­
gnies clientes du MAX commen­
cent à annuler des commandes.
En février, Boeing a dû faire une
croix sur onze MAX supplémen­
taires, ce qui porte le total des an­
nulations pour le moyen­cour­
rier à 200. Ce mouvement de dé­
fiance a pesé sur le cours de
Bourse de l’entreprise qui s’est ef­
fondré, mercredi 11 mars, à Wall
Street, perdant 18,16 % à la clô­
ture. Une journée noire pour
Boeing qui a vu partir en fumée
plus de 20 milliards de dollars de
capitalisation boursière.

Restaurer les finances du géant
de l’aéronautique est d’ailleurs la
mission première du nouveau
PDG, David Calhoun, un finan­
cier de formation. Pas question
pour lui de lancer la production
d’un nouveau moyen­courrier
pour remplacer un MAX interdit
définitivement de vol. Trop long,
trop cher! « Cela coûterait 15 mil­
liards de dollars et cinq à six ans
de travail », souligne l’associé du
cabinet ASC.
Or, ce laps de temps est trop
long pour les compagnies qui at­
tendent leurs avions mais trop
court pour permettre à Boeing de
développer la nouvelle généra­
tion d’appareils. Selon Philippe
Petitcolin, directeur général de
l’équipementier Safran, cette
prochaine génération de mo­
teurs, indispensable pour les avi­
ons du futur, n’arrivera pas avant


  1. « Et ce sera difficile de tenir
    ces délais », prévient déjà le pa­
    tron du motoriste.


Au peigne fin
Les compagnies commencent à
envisager la vie sans MAX. Selon
nos informations, Air France­
KLM a déjà pris ses dispositions
pour acquérir, notamment
auprès des loueurs, des 737 d’an­
cienne génération pour accroître
sa flotte de moyen­courriers. Ces
appareils pourraient rejoindre la
filiale à bas coûts Transavia, qui
n’opère déjà que des 737.
Pour que le MAX reprenne les
airs, Boeing ne peut pas non plus
compter sur la mansuétude des
autorités de régulation. La FAA
passe depuis des mois l’avion au
peigne fin. Il faut dire qu’elle a été
sévèrement mise en cause pour
son laxisme lors de la première
certification de l’appareil, avant
les deux catastrophes.
L’agence américaine se veut dé­
sormais exemplaire. Pas ques­
tion de délivrer une certification
de complaisance. Le MAX pourra
voler de nouveau « seulement
quand la FAA estimera que tous
les problèmes de sécurité auront
été réglés ». Et « quand elle cher­
che, elle trouve », constate un
grand patron de l’aéronautique.
Récemment, elle a pointé du
doigt un défaut dans le câblage de
l’appareil : dans certaines cir­
constances extrêmes, il pourrait

tirer le nez de l’avion vers le bas et
provoquer un crash. Un nouveau
coup dur pour Boeing.
Si la FAA le décide, l’avionneur
devra modifier le câblage des près
de 800 MAX déjà produits, les
370 déjà livrés aux compagnies
aériennes avant l’immobilisation
et les plus de 400 autres qui, de­
puis un an, s’entassent sur des
parkings autour des usines des
constructeurs. Une opération au
coût estimé à plusieurs centaines

de millions de dollars. Un mon­
tant qui s’ajoutera à celui consa­
cré à la formation des 8 000 pilo­
tes nécessaires pour opérer les
800 MAX déjà sortis des chaînes,
indique Marc Durance. Il en coûte
100 000 euros, en moyenne, pour
former un pilote au maniement
d’un nouvel avion...
Paradoxalement, la pandémie
due au coronavirus pourrait offrir
un peu de répit à Boeing. De fait,
avec la baisse drastique du nom­
bre des passagers, « le besoin d’avi­
ons est moins fort », signale
M. Durance. Mais l’accalmie ne
devrait être que de courte durée.
Passagers et pilotes accepte­
ront­ils de remonter à bord d’un
MAX? « Boeing travaille à la façon
de regagner la confiance du public
et des navigants », révèle un spé­
cialiste du secteur. « Ils ont besoin
d’avoir les pilotes avec eux », ajou­
te­t­il, et, notamment, « la très res­
pectée Association des pilotes

américains ». Pour remplir de
nouveau les MAX, les compa­
gnies devront faire des efforts sur
les prix des billets.
Sur le plan industriel, Boeing
n’est pas près d’effacer de sitôt ce
désastre. La remontée des caden­
ces de production pour retrouver
le niveau d’avant la crise sera
lente et ne devrait ainsi pas inter­
venir avant la fin de 2022 ou dé­
but 2023, estiment les experts.
Un calendrier qui s’appuie no­
tamment sur les prévisions de
Spirit AeroSystems, une société
américaine qui fournit les fusela­
ges du MAX.
Un délai qui devrait permet­
tre au rival Airbus d’accroître
son avance sur concurrent amé­
ricain. L’A320 Neo, best­seller de
l’avionneur de Toulouse, détient
déjà 70 % de part de marché sur le
secteur très porteur des moyen­
courriers.
guy dutheil

Pour que le MAX
reprenne les airs,
le groupe ne peut
pas compter sur
la mansuétude
des autorités de
régulation

Un an après les crashs, le 737 MAX en sursis


Pour Boeing, dont le moyen­courrier est toujours cloué au sol, cette crise est un désastre économique


A L L E M A G N E
Le taux d’inflation
se stabilise à 1,7 %
Le taux d’inflation en Allema­
gne s’est bien stabilisé en fé­
vrier, atteignant 1,7 % sur un
an, selon les chiffres définitifs
publiés vendredi 13 mars par
l’institut Destatis. Ce niveau
de prix intervient après deux
mois de forte augmentation,
qui avaient mis fin à plusieurs
mois de baisse. Le taux d’in­
flation était tombé à 1,1 % en
novembre 2019 avant de re­
monter à 1,7 % en janvier cette
année. Cette valeur définitive
est conforme aux attentes des
analystes cités par le fournis­
seur de services financiers
Factset. Elle s’approche, mais
reste en deçà, de l’objectif de
la Banque centrale euro­
péenne d’une inflation « pro­
che mais inférieure à 2 % »
dans la zone euro. – (AFP.)

E - C O M M E R C E
Showroomprivé creuse
encore ses pertes
en 2019
Le site français de déstockage
en ligne Showroomprivé
a annoncé jeudi 12 mars
avoir creusé ses pertes
en 2019 à 70,5 millions
d’euros (contre 4,4 millions
en 2018), à la suite de « diffé­
rentes restructurations et
d’importantes opérations sur
nos stocks, qui étaient deve­
nus trop importants, ce qui a
eu comme conséquence ponc­
tuelle de fortement dégrader
nos comptes ». La baisse de
8,4 % du chiffre d’affaires,
à 615,6 millions d’euros,
a été justifiée par un « envi­
ronnement économique
morose tout au long de l’exer­
cice » et « des décisions
stratégiques visant à restau­
rer la rentabilité ». – (AFP.)

LES  CHIFFRES


200 
C’est le nombre d’annulations
de commandes du 737 MAX
depuis le 13 mars 2019

20  À  25  MILLIARDS
C’est, en dollars, le coût provi-
soire (de 18 milliards à 22 mil-
liards d’euros), pour Boeing,
d’un an de crise du 737 MAX

15  MILLIARDS
C’est, en dollars, le coût
de lancement d’un nouveau
programme de moyen-courrier,
et cinq à six ans de travail

Restaurer les
finances du géant
aéronautique
est la mission
première
du nouveau PDG
de Boeing

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