Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

4 |coronavirus SAMEDI 14 MARS 2020


0123


Fermeture générale, de la maternelle à l’université


Pour la première fois depuis 1968, l’exécutif renvoie élèves et étudiants chez eux « jusqu’à nouvel ordre »


C


omme l’Italie, la Grèce,
la Pologne, la Républi­
que tchèque, l’Ukraine
et le Danemark, la
France fermera donc ses crèches,
écoles, collèges, lycées et universi­
tés, à compter de lundi 16 mars.
Mais à la différence de bon nom­
bre de ces pays, elle le fait pour une
durée indéterminée. « Pour notre
intérêt collectif », a souligné Em­
manuel Macron, lors de son dis­
cours aux Français, jeudi 12 mars à
20 heures, et « jusqu’à nouvel or­
dre ». Pendant « au moins quinze
jours », a précisé le 13 au matin son
ministre de la santé, Olivier Véran.
« On parle forcément de semaines
qui peuvent devenir des mois », a
fait savoir le ministre de l’éduca­
tion, Jean­Michel Blanquer.
Ce sont ainsi 12,4 millions d’élè­
ves et 2,6 millions d’étudiants qui
vont marquer une pause. Pas leurs
enseignants : un grand nombre
d’entre eux sont appelés à se met­
tre en ordre de bataille pour assu­
rer la « continuité pédagogique »,
selon l’expression consacrée.
Une décision bien accueillie par
la communauté éducative, après
des semaines d’ordres et de con­
tre­ordres face à la propagation du
coronavirus, mais qui l’a prise de
court. Jeudi encore, Jean­Michel
Blanquer n’a cessé de défendre la
stratégie du « ciblage » et des fer­
metures « au cas par cas », plutôt
que celle de la mise à l’arrêt géné­
rale. Il l’a martelée sur Franceinfo
au petit matin, et répétée dans
l’après­midi à Poitiers, à l’occasion
d’un déplacement au CNED, l’opé­
rateur sur lequel l’« école à dis­
tance » devra s’adosser.

Un geste moins clivant
Volte­face à l’issue du discours pré­
sidentiel : devant la presse réunie
en urgence au ministère de l’édu­
cation, peu après 21 heures,
M. Blanquer a reconnu l’entrée
dans une « nouvelle étape de la
lutte contre le coronavirus ». « Cha­
cune des étapes a été inspirée par
les scientifiques. C’est en suivant
leurs recommandations que nous
avançons », a­t­il défendu.
« Jusqu’à aujourd’hui, nous avi­
ons envisagé que cela se passe par
étapes et, donc, que ce soit des terri­
toires qui soient ciblés ». Des terri­
toires comme l’Oise, le Haut­Rhin,
la Corse, une partie du Morbihan
et des communes de Montpellier,

successivement désignés depuis
la fin du mois de février comme
des foyers de l’épidémie et dont les
écoles ont fermé une à une. Pour
expliquer la « bascule », un argu­
ment et un seul est avancé : c’est
sous l’impulsion du conseil scien­
tifique installé par le ministre de la
santé que l’option s’est imposée.
Face à la crise sanitaire, il fallait
un geste fort de l’exécutif, et il
n’avait que deux options, souffle­
t­on dans les couloirs ministé­
riels : un report des élections mu­
nicipales ou une mise à l’arrêt des
écoles. La première piste, dont la
rumeur a enflé toute la journée de
jeudi, a finalement été écartée.
« On aurait pu reprocher à ce gou­
vernement de se défiler dans l’arène
politique », disent les analystes.
Fermer l’école constitue un geste
moins clivant. Une décision iné­
dite, de mémoire d’historien,
même si chacun a en tête le précé­
dent de Mai 1968, quand écoles et
universités avaient été emportées
dans le mouvement. « Même pen­
dant les guerres, l’éducation natio­
nale a toujours voulu fonctionner,
idem pendant les grandes épidé­

mies de grippe », rappelle l’histo­
rien Claude Lelièvre.
La décision a aussi un avantage
technique, selon les directeurs
d’école : fermer au cas par cas per­
turbe le calendrier national. Tout
fermer simultanément permet
aussi plus facilement de tout rou­
vrir en même temps.
Ce geste « protecteur », bon nom­
bre d’enseignants et de parents le
réclamaient. En quarante­huit
heures, la pression est montée
d’un cran sur le terrain de l’école,
noyée sous un flot de questions.
Pourquoi fermer ici une classe, là
tout un établissement? Pourquoi
tester tel enfant et pas tel autre?
Qu’est­ce qui est « cluster » (foyer),
qu’est ce qui ne l’est pas? Com­
ment croire que les « gestes barriè­
res » sont intégrés à 5 ans? Où trou­
ver gel et savon?
Idem dans les universités, où de­
puis plusieurs jours, l’inquiétude
montait chez les étudiants, mais
aussi parmi les personnels. Que
faire lorsqu’un étudiant est mis en
quarantaine, avec des symptômes,
mais qu’il n’est pas testé? Faut­il
poursuivre les activités sportives,

propices à des contacts rappro­
chés? « Cette annonce nous permet
d’avoir des mesures claires pour or­
ganiser la suite », estime Nathalie
Dompnier, présidente de l’univer­
sité Lyon­II, qui compte quelque
30 000 étudiants.
« Je suis soulagé », réagit aussi
Georges Haddad, président de
l’université Paris I­Panthéon Sor­
bonne. Il a pris les devants, jeudi,
en fermant le site de Tolbiac, qui
accueille plus de 7 000 personnes
à la suite de la contamination
d’une enseignante­chercheuse.
« La Tour de Tolbiac est une mar­
mite à virus et à microbes, ce n’était
pas possible de laisser les universi­

tés gérer ça au cas par cas », dit­il.
La décision de fermeture natio­
nale a le mérite de clore ces débats.
Et d’apaiser le sentiment de « caco­
phonie » des directives de l’Etat.

Inquiétudes pour les examens
D’aucuns dans le monde ensei­
gnant ont tout de même le senti­
ment d’avoir perdu des « jours pré­
cieux » qui auraient permis, di­
sent­ils, de se former, d’informer,
de préparer au mieux un ensei­
gnement à distance. « Combien de
temps ça va durer? Que doit­on
faire? Les collègues portent de nou­
velles questions, souligne Frédéri­
que Rolet, du SNES­FSU. Dans les
collèges et les lycées, la « conti­
nuité pédagogique » s’annonce un
peu moins problématique qu’au
primaire. « Il va falloir qu’on donne
des petits exercices à des enfants
mais il ne faut pas, à cet âge, aller
au­delà de trois heures d’exposition
par jour aux écrans », observe
Francette Popineau du SNUipp­
FSU. Un peu partout, les provi­
seurs s’interrogent sur la tenue
des conseils de classe, l’interrup­
tion des voyages scolaires... Les pa­

rents d’élèves, eux, questionnent
les inégalités d’accès, de temps, de
moyens pour des familles
contraintes du jour au lendemain,
d’accompagner l’école à la maison.
Les classes à examen – la 3e, la 1re,
la terminale – concentrent déjà les
inquiétudes. Les réactions des élè­
ves, jeudi soir, oscillaient
d’ailleurs entre la joie de l’école
buissonnière, et la crainte de voir
le baccalauréat reporté. « On tra­
vaille sur plusieurs scénarios », a
déclaré M. Blanquer vendredi,
sans cacher sa préférence pour le
maintien de l’examen.
Reste à gérer les inconnues. Un
service minimum assuré « par
l’éducation nationale » doit être
mis en place, a promis le ministre
pour que « tous les personnels soi­
gnants aient une classe près de
l’hôpital ». Ce devrait aussi être le
cas en crèche, et pour les person­
nels d’autres « institutions vita­
les ». Mais personne n’en connaît
encore les modalités. « Cela diffère
d’un territoire à l’autre, estime un
recteur. Là où se trouvent les hôpi­
taux, les besoins seront plus impor­
tants. On est vraiment dans la den­
telle du service public. » Seconde in­
connue de taille : l’organisation du
recrutement des enseignants,
dont les concours arrivent dans
quelques semaines. Outre les
concours, « on risque de ne pas
pouvoir réunir les jurys, s’inquiète
un inspecteur général. Or, si on ne
peut pas recruter les enseignants, il
en manquera, devant les élèves, en
septembre ».
« Il faut envisager dès mainte­
nant un plan B, quand bien même
on ne le déclenchera pas, estime
Franck Loureiro, représentant du
SGEN­CFDT, l’un des principaux
syndicats de l’enseignement supé­
rieur, qui ne s’alarme pas de l’en­
seignement à distance, dès lors
qu’il ne dure pas trop longtemps.
Les grandes écoles, dont les
concours d’entrée sont prévus
dans les mois qui viennent, réflé­
chissent également à la question
de l’organisation Tout le monde
est à pied d’œuvre. Syndicats d’en­
seignants, responsables d’univer­
sités et d’écoles, parents d’élèves
étaient conviés par leurs ministres
de tutelle vendredi, pour réfléchir
à une feuille de route.
mattea battaglia,
violaine morin
et camille stromboni

Entreprises : mobilisation générale, « quoi qu’il en coûte »


En plus du chômage partiel pour les salariés et indépendants, et du report de cotisations pour mars, M. Macron a appelé à un plan européen


R


assurer, à tout prix. Si son
allocution a largement
porté sur la crise sanitaire
ouverte par la pandémie de Co­
vid­19, Emmanuel Macron n’a pas
manqué d’évoquer dans ses pro­
pos, jeudi 12 mars, ses conséquen­
ces économiques. « Le gouverne­
ment mobilisera tous les moyens
financiers nécessaires [...] pour
prendre en charge les malades,
pour sauver des vies quoi qu’il en
coûte », a­t­il d’abord martelé,
avant de promettre une « mobili­
sation générale sur le plan écono­
mique ». « Tout sera mis en œuvre
pour protéger nos salariés et nos
entreprises, quoi qu’il en coûte, là
aussi », a­t­il assuré.
Bruno Le Maire a été encore
plus clair, vendredi matin sur
BFM­TV et RMC. « Nous ferons
tout ce qui est nécessaire pour sou­
tenir les entreprises. [...] Cela coû­
tera des dizaines de milliards
d’euros », a asséné le ministre de
l’économie et des finances au mi­
cro de Jean­Jacques Bourdin.
La veille, le chef de l’Etat avait
confirmé la création d’un « méca­
nisme exceptionnel et massif de
chômage partiel ». « L’Etat prendra

en charge l’intégralité de l’indem­
nisation de tous les salariés placés
en chômage partiel, quelle que soit
leur rémunération [soit 85 % du
net pour tous les salariés]. Ce sera
probablement le dispositif le plus
coûteux, mais le plus efficace », a
précisé M. Le Maire. Objectif : que
les entreprises ne perdent pas
leurs salariés et puissent rebondir
plus rapidement après la crise,
comme cela avait été le cas en Al­
lemagne après celle de 2008, ex­
plique­t­on à Bercy. Depuis lundi,

l’Etat indemnisait déjà jusqu’à
hauteur d’un smic net (8,04 euros
par heure) les employeurs dont
les salariés sont contraints de res­
ter chez eux. Les indépendants
seront également concernés.
Par ailleurs, « toutes les entrepri­
ses qui le souhaitent pourront re­
porter sans justification, sans for­
malité, sans pénalité le paiement
des cotisations et impôts dus en
mars », a indiqué le président. Il
s’agit, en fait, de généraliser la
mesure en vigueur ces dernières

semaines, qui visaient essentiel­
lement les TPE­PME les plus fragi­
lisées. « Quels que soient la taille et
le secteur, on dit aux entreprises :
vous n’avez qu’à appeler la direc­
tion générale des finances publi­
ques et on reporte automatique­
ment vos échéances (cotisations
Urssaf, impôts...) », précise Bercy.
Vendredi, Bruno Le Maire a ajouté
que ce serait valable « jusqu’à la
fin de la crise ».

Un fonds de solidarité
Jeudi, à l’issue d’une rencontre
avec des chefs d’entreprise à Co­
lombes (Hauts­de­Seine), le mi­
nistre de l’économie avait déjà
musclé le dispositif de soutien
aux entreprises. A travers la BPI,
l’Etat va désormais garantir les
prêts des banques aux PME, mais
aussi aux entreprises de taille in­
termédiaire, à hauteur de 90 % et
non plus 70 %. De plus, les moda­
lités d’un fonds de solidarité « ré­
servé aux entreprises les plus mo­
destes, les plus petites, qui sont à
court de trésorerie » devraient être
annoncées lundi.
De son côté, le gouvernement
travaille à « un plan de relance na­

tional et européen », a indiqué,
jeudi soir, le chef de l’Etat, assu­
rant que « nous ne laisserons pas
une crise financière et économi­
que se propager » et évoquant une
coordination avec les pays mem­
bres du G7 et du G20. Alors que les
ministres des finances de la zone
euro doivent se réunir lundi
16 mars, notamment pour évo­
quer la souplesse nécessaire dans
l’application des règles budgétai­
res européennes, la France ap­
pelle depuis plusieurs jours à une
initiative commune.
Pour Geoffroy Roux de Bézieux,
président du Medef, tout cela est
« positif ». « La santé des Français
passe avant toute chose mais le
président de la République a beau­
coup insisté sur l’impact économi­
que de la crise, déclare­t­il au
Monde. Il ne laissera pas tomber
les entreprises. » Il salue aussi la
volonté annoncée jeudi par le mi­
nistre de l’économie de créer un
fonds de solidarité pour « les sec­
teurs qui sont vraiment en diffi­
culté, victimes des mesures sani­
taires qui sont prises ».
Seul bémol : les conséquences de
la fermeture des écoles, qui sera ef­

fective à partir de lundi. « Qui va
garder les enfants? », s’interroge
M. Roux de Bézieux, qui rappelle
que « 50 % des salariés ont des en­
fants » et que « le télétravail ne per­
met de couvrir que 25 % des pos­
tes ». « Il faut trouver d’urgence un
moyen de régler ça dans les boîtes »,
estime­t­il, indiquant sa volonté
de se tourner vers la ministre du
travail, Mme Pénicaud, pour élabo­
rer « un système de compensa­
tion » via « la solidarité nationale ».
En écho à la phrase de M. Macron
affirmant que tout sera fait « quoi
qu’il en coûte », le numéro un du
Medef juge que la règle des 3 % de
déficit « ne peut pas être un débat
quand le monde s’écroule ». Et de
citer la phrase de l’ancien prési­
dent de la Banque centrale euro­
péenne, Mario Draghi, « whatever
it takes » – tout ce qui sera néces­
saire » – utilisée lors de la crise de
l’euro, en 2012. Un état d’esprit ra­
dicalement nouveau, désormais
partagé jusqu’à Bercy. Interrogé
vendredi matin sur les critères de
Maastricht, M. Le Maire a rétorqué
que « ce n’est plus le sujet ».
raphaëlle besse desmoulières
et audrey tonnelier

Le ministre
de l’éducation
a reconnu
l’entrée dans une
« nouvelle étape
de la lutte contre
le coronavirus »

La CFDT, FO et l’UNSA saluent
le discours de Macron
Plusieurs leaders syndicaux réagissent favorablement aux annon-
ces d’Emmanuel Macron, jeudi 12 mars. Laurent Berger, secrétaire
général de la CFDT, y voit un « engagement à prendre des mesures
de soutien à l’économie et aux travailleurs ». « Il faudra des déclinai-
sons par le dialogue social dans les entreprises », ajoute-t-il, saluant
« un report bienvenu des expulsions locatives ». Le discours « rompt
avec la logique budgétaire et comptable qu’on a trop longtemps
entendue », observe Yves Veyrier, le numéro un de FO. « Il faut une
crise sanitaire majeure pour que l’exécutif se rende compte que les
services publics (...) peuvent être vus comme un investissement con-
courant à la préservation de l’unité nationale », poursuit-il. « L’appel
à la solidarité du président a été entendu par [notre organisation] »,
enchaîne Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA.

Une école
fermée,
à Ajaccio,
le 13 mars.
PASCAL POCHARD-
CASABIANCA/AFP
Free download pdf