VOILÀ DANS LES SALONS DE LA
MAIRIE DU 15e ARRONDISSEMENT DE PARIS,
une vieille dame qui erre comme une
âme en peine. « Je ne trouve pas ce que
je cherche... » Elle tourne de stand en
stand au Salon de la généalogie...
« Maman avait eu une enfance pas mar-
rante et elle n’en parlait guère... »
Pourrait-elle en trouver l’explication
ici? À en juger l’âge des visiteurs, il
semblerait que ce soit quand on s’ap-
proche de la fin qu’on ait besoin de
connaître le début. Un ancêtre mis à
l’Assistance publique, un secret,
quelque chose qui n’a pas été dit...
Certains cherchent désespérément une
réponse, parfois depuis plusieurs
dizaines d’années. « Je reste étonnée par
la souffrance des gens », observe Annie
Lecornec, présidente de l’association La
France généalogique. « Même deux ou
trois générations après... » « Retrouvez
un ancêtre postier » promet l’affiche
d’un stand. « Vos origines vont vous
étonner », assure celui d’un logiciel qui
semble avoir trouvé son slogan sur un
média en ligne.
Autour, des stands, parmi lesquels les
archives diplomatiques, les archives
nationales de Hongrie et l’Union généa-
logique de la Bretagne historique,
laquelle présente un arbre prouvant
que Mouloudji et Polnareff sont cou-
sins – on savait que la généalogie n’était
pas un hobby de jeunes.
Depuis une dizaine d’années, les adhé-
sions aux cercles généalogiques ont
fondu. Non pas que les gens s’inté-
ressent moins à leurs origines, mais la
discipline a été révolutionnée. Plus
besoin d’aller sur place courir les
registres d’état civil depuis l’avènement
d’Internet et la numérisation des
archives (le Gard est le dernier départe-
ment à l’avoir fait). Avec les bases de
données Filae et Geneanet, on peut s’y
mettre seul et remonter quelques
siècles sans difficulté.
« Quand on demande aux élèves de faire
leur arbre généalogique, il y en a tou-
jours pour demander : “je mets mon père
que je ne vois plus ou mon beau-père qui
vit avec ma mère ?” », raconte une ensei-
gnante. Qu’à cela ne tienne, les éditeurs
d’arbres généalogiques ont revu leurs
fonctionnalités pour que les familles
recomposées s’affichent facilement.
Une généalogiste de la société CDIP
s’enorgueillit d’avoir déjà adapté son
logiciel il y a une dizaine d’années pour
prévoir que les deux parents puissent
être du même sexe.
Et puis il y a la concurrence des tests
ADN dont tout le monde leur parle...
« Cet été, si on ne parlait pas d’ADN, on
était “has been”. » Les passionnés de
généalogie vous expliqueront qu’on ne
trouve pas la même chose, mais cer-
tains visiteurs du salon qui butent sur
des interrogations familiales explorent
les deux voies avec les mêmes espoirs.
À QUOI ON LES RECONNAÎT
On reconnaît les passionnés de généa-
logie à ce qu’ils mènent leurs recherches
au nom de la famille mais ont parfois du
mal à comprendre que leurs frères/
sœurs/enfants/cousins ne partagent
pas leur passion pour leurs découvertes.
On les reconnaît aussi à ce qu’ils sont
souvent convaincus d’avoir une histoire
familiale plus dense que les autres
– peut-être comptent-ils parmi les gens
qui sont nés quelque part que Maxime
Le Forestier chantait dans une ballade.
Ils savent aussi répondre sans hésitation
au jeu-concours qui demande la date de
l’ordonnance de Villers-Cotterêts sur la
création de l’état civil. On reconnaît
Anne-Noëlle Pluzanski à son tee-shirt
sur lequel on lit de loin « j’aime mes
enfants » et de plus près en plus petit
« j’aime que mes enfants me laissent
tranquille quand je fais ma généalogie ».
Quand elle rentre chez elle, le soir, à
l’heure où d’autres avalent des séries
télé, il lui arrive de se faire des balades
généalogiques. « La généalogie, il n’y a
pas de complétude, on n’a jamais fini... »
COMMENT ILS PARLENT
« ’état civil français c’est le plus bel état L
civil du monde. » « Je suis remonté
jusqu’à 1500, après je bute. » « Vous
avez pensé aux archives diocésaines? »
« On peut descendre d’un bagnard, l’im-
portant c’est de le savoir. » « Il y a beau-
coup de chaînons manquants dans les
familles nobles. » « Quel que soit le dis-
cours qu’on nous assène sur l’homme
universel qui appartient au monde
entier, on est enraciné. »
LEURS PONCIFS
Les Américains ne savent pas d’où ils
viennent. Les tests ADN, c’est beaucoup
de promesses et beaucoup de décep-
tions. La biologie est secondaire : on fait
la généalogie d’un nom patronymique,
on ne cherche pas à savoir qui a fauté.
LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES
Les passionnés de généalogie sont divi-
sés entre la ligne dure (« ceux qui font
des tests ADN aujourd’hui sont des délin-
quants », « Mon ADN c’est le mien mais
je le partage avec les membres de ma
famille. Si je diffuse mes tests, je distribue
ceux d’autres personnes sans leur
consentement ») et les pourquoi pas
(peut-être que ça peut solutionner
quelques énigmes...). Ils acceptent
qu’on les utilise pour calculer une
parenté, mais pas pour donner les ori-
gines géographiques puisqu’elles s’ap-
puient sur des statistiques de probabi-
lité à partir de données récoltées
aujourd’hui (« mes ancêtres ne sont pas
en Israël, ils viennent de Pologne! »).
LEUR GRAAL
Se lancer dans la généalogie des
demeures familiales. Organiser les plus
grandes cousinades possible. La confé-
rence « Comment reconnaître des uni-
formes et des décorations à partir des
photos de famille ».
LA FAUTE DE GOÛT
Ne s’intéresser qu’aux porteurs du
nom. « Dans le club de mon village, il
y a encore des hommes qui ne s’oc-
cupent que des hommes en généalo-
gie... » Non seulement une faute fémi-
niste, mais un non-sens généalogique,
fait remarquer une passionnée : « On
a favorisé documentairement l’ascen-
dance par les hommes alors que l’as-
cendance par les femmes est la seule
dont on est sûr... » Mais si on a recours
à cet argument, finalement, la biolo-
gie, ça compte ou pas?
ENTRE-SOI
Texte Guillemette FAURE
VIEILLES BRANCHES.
AVEC LES AMATEURS ET LES CURIEUX AU 6e SALON DE LA GÉNÉALOGIE QUI S’EST TENU
DU 5 AU 7 MARS À LA MAIRIE DU 15e ARRONDISSEMENT, À PARIS.