Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1
PHILIPPE

BARBARIN

LE 3 OCTOBRE 1998, LA PREMIÈRE FOIS QUE “LE MONDE” A ÉCRIT

LE 16 MARS, LE TRIBUNAL CORRECTION-
NEL DE LYON RENDRA SON JUGEMENT dans
le procès de Bernard Preynat. L’ex-prêtre
encourt au moins huit ans de prison pour avoir
abusé sexuellement de jeunes scouts pendant
plus de vingt ans. La décision du tribunal
marquera l’épilogue d’une affaire qui a secoué
l’Église bien au-delà du seul diocèse de Lyon.
Et entraîné avec elle la chute du primat
des Gaules. Le 6 mars, le pape François
a  finalement accepté la démission
du  cardinal Barbarin. Condamné
en 2019 dans cette même affaire pour
non-dénonciation de crime, il avait été relaxé
en appel mais avait tout de même remis son
sort entre les mains de Rome.
C’est par la rubrique Carnet que l’homme fait
son entrée dans Le Monde le 3 octobre 1998 :
« Le père Philippe Barbarin, curé de Bry-sur-
Marne (Val-de-Marne), a été nommé par le
pape, jeudi 1er octobre, évêque de Moulins
(Allier). » Une courte brève où l’on apprend
qu’il est jeune pour cette mission – 48 ans –
et qu’il est « doté d’une maîtrise de philosophie
et de théologie ». Quatre ans plus tard, le voici
bombardé à Lyon, dans un contexte particu-
lier : ses trois prédécesseurs sont décédés
prématurément. « Sans doute est-ce pour
tenir compte de ce trouble que, quatre mois
seulement après la mort du cardinal Billé, le
pape lui a trouvé un successeur, écrit Henri
Tincq le 18 juillet 2002. Et il l’a choisi dans la
génération des évêques jeunes et, apparem-
ment, en bonne santé. » L’archevêque apparaît
ensuite au détour d’une longue enquête
sur les tintinophiles, le 10 janvier 2004 :
« Mgr Barbarin évoque comme un péché de
jeunesse ces années où, étudiant à Paris, il
savait tout par cœur, la seule faute d’ortho-
graphe des albums, la seule fois où Tintin se
brosse les dents, les noms que décline au poli-
cier l’Italien qui conduit comme un fou, le nom
du singe dans Vol 714 pour Sydney... “Des
paquets de trucs inutiles, admet-il, mais assez
rigolos” », écrit Marion Van Renterghem.
Une facette parmi toutes celles que dévoile
Henri Tincq dans le long portrait qu’il lui


consacre le 25 décembre 2004. « Barbarin,
c’est la “coqueluche” de Lyon, le “Sarko”
de l’Église, s’enflamme la presse locale, le
cardinal qui “décoiffe”, séduit et déconcerte
les banlieues comme les beaux quartiers »,
s’amuse le grand vaticaniste. La photo
confirme que cet archevêque-là se veut
moderne : il pose en tenue de jogging, faisant
des étirements. Henri Tincq pointe les
contradictions du personnage : « Fonceur
et contemplatif, intérieur et démonstratif,
homme de relation et si peu d’institution, d’une
foi sans complexe et d’une discipline très
romaine. » Il poursuit : « Au total, cela fait
un homme insaisissable, capable d’intuitions
géniales, mais impatient, tourmenté, parfois
désinvolte, homme de communication plus
que de gouvernement, se déchargeant sur
son évêque auxiliaire, Hervé Giraud, un
mathématicien, des dossiers les plus encom-
brants, comme le patrimoine immobilier
du diocèse, ses finances qui sont en péril,
la gestion d’un personnel de 450 prêtres et
300 laïcs salariés. » Lequel Hervé Giraud
confie plus loin : « Homme de relation, il
faut sans arrêt lui rappeler qu’il est aussi en
charge d’une institution. »
Le 24 février 2004, c’est pourtant bien de
l’institution que Mgr Barbarin se soucie dans
un reportage sur la visite des évêques français
à Rome : « Les effectifs de ceux qui fré-
quentent les églises, a fortiori de celles et de
ceux qui entrent dans les noviciats ou les sémi-
naires, fondent à vue d’œil. » Une baisse des
vocations qu’il tente d’analyser : « Nous
constatons que les jeunes générations sont
généreuses et pleines d’enthousiasme ;
cependant, leur fragilité humaine, affective,
psychologique et sociale ne les aide pas à
acquérir une véritable maturité, d’autant plus
que la société est elle-même très fragile et
n’incite pas à la prise d’engagements définitifs,
fondés sur des principes moraux droits. »
Est-ce au nom de ces principes qu’il dérape,
quelques années plus tard, en plein débat sur
le mariage pour tous? « Interrogé par la radio
chrétienne RCF et la chaîne de télévision

lyonnaise TLM sur le projet gouvernemental,
l’archevêque de Lyon avait affirmé que cette
“rupture de société” pourrait avoir “des quanti-
tés de conséquences”, relate Stéphanie
Le Bars, alors chargée de la religion au
Monde, le 18 septembre 2012. “Après, ils vont
vouloir faire des couples à trois ou à quatre.
Après, un jour peut-être, l’interdiction de
l’inceste tombera. Il y aura des demandes
incroyables, qui commencent à se faire jour !” »
Deux phrases « à l’emporte-pièce », souligne
la journaliste qui constate toutefois : « Pour
nombre de catholiques [elles] auront eu le
mérite de lancer le débat. »
À partir de là, c’en est fini du visage moderne
qu’a longtemps voulu se donner Philippe
Barbarin. D’autant qu’en 2016, il est rattrapé
par l’affaire Preynat. Le 2 avril 2016, Le Monde
titre « Pédophilie : Philippe Barbarin au cœur
de la crise ». « Après avoir fait le dos rond plu-
sieurs mois pendant la mise au jour des agisse-
ments du père Bernard P., le
cardinal Barbarin s’efforce de redresser son
image », écrit Cécile Chambraud. Sans succès.
« C’est parfois lui-même qu’il prend à contre-
pied, poursuit-elle. Comme ce 15 mars,
à Lourdes, lorsqu’en direct sur les chaînes
d’information un lapsus vient recouvrir
son message : “La majorité des faits, grâce
à Dieu, sont prescrits”, lâche-t-il. »
C’est bien la prescription qui lui a permis
d’être relaxé fin janvier. Mais la démarche des
victimes n’aura pas été vaine, comme l’analy-
sait Pascale Robert-Diard, le 11 janvier 2019 :
« Ce procès restera dans l’histoire comme
le premier face-à-face entre des victimes
d’un prêtre pédophile et l’Église en tant
qu’“institution” symboliquement incarnée
par la présence de l’un de ses plus hauts repré-
sentants sur le banc des prévenus. » Dans
l’attente d’une nouvelle mission que lui confie-
rait le pape, le cardinal démissionnaire a fait
savoir qu’il effectuait actuellement une retraite
dans un monastère israélien.

Texte Agnès GAUTHERON

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LA SEMAINE

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