Libération - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

Libération Vendredi 13 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5


hôpitaux sont des lieux qui
tiendront.
Au final, on ne vous sent
pas inquiet...
En choisissant ce métier, j’ai
décidé de ne pas l’être. Mon
métier de réanimateur, c’est
de prendre en charge des ma-
lades, d’essayer de répondre
au mieux à des situations
­cliniques qui peuvent être
très complexes. Et cela, je
le fais. On le fait. Et on le fera.
Car on n’a pas le choix. La
structure de l’hôpital autour
de nous est aussi là pour nous
porter. Dans les services de
soins, ce sera la même chose.
Mais saura-t-on se souvenir
que si nous avions été mieux
traités, si nous avions un
peu plus été écoutés, alors on
­ferait mieux notre travail?
Recueilli par
Éric Favereau

nes et les plus compétents du
monde. Ce n’est plus tout
à fait le cas, mais elle reste
une structure hospitalière
­capable de faire face et de
s’adapter à tout type de situa-
tion. En province, il y a des
hôpitaux qui ont été moder-
nisés et qui sont tout à fait re-
marquables. De ce point de
vue, en dépit de la crise, les

dans les grandes villes, il
y a des hôpitaux impor-
tants avec une force de
frappe. Mais en France, il
y a aussi de grandes dispa-
rités régionales...
A Paris, c’est vrai, l’Assistance
publique a longtemps été
considérée par nos collègues
étrangers comme un des éta-
blissements les plus moder-

respirateurs artificiels
q u i p o u r r a i t ve n i r à
­manquer...
C’est une question. Et un
­enjeu. Mais depuis quelques
­semaines, on a travaillé pour
apporter des réponses, en fai-
sant des choix. Et en s’y pré-
parant.
Plus généralement, on
a l’habitude de dire que

«


«Les équipes soignantes feront


face, quelles que soient les


difficultés que l’on rencontrera»


Le professeur
­Jean-Yves Fagon,
référent au service
de réanimation
de l’hôpital
Pompidou, estime
que la structure
hospitalière, même
affaiblie, saura
répondre à la crise.

partie de notre fonctionne-
ment : faire face. Et cela,
faut-il le redire, aurait été
beaucoup plus simple si on
ne nous avait pas raboté des
moyens depuis des années.
De fait, on décrivait l’hô­-
pital comme un paquebot
immobile, rétif à tout
changement. Vous nous
dites, en fait, que ce n’est
pas si vrai que cela...
Prendre en charge des ma­-
lades, répondre aux urgen-
ces, faire face aux imprévus,
c’est notre métier. Cela fait
partie de notre fonction­-
nement. Alors on fera face,
quelles que soient les diffi-
cultés que l’on rencontrera.
D’autant que l’on s’y pré-
pare. Depuis deux mois, on
est prévenus avec le début
de l’épidémie en Chine, qui
a commencé en décembre.
On sait que cela arrive chez
nous. Et depuis quelques se-
maines, on a travaillé, réflé-
chi sur les stratégies : com-
ment faire si tous les lits de
réanimation sont occupés?
Quels choix opérer? Libérer
des lits bien sûr, mais peut-
être que certains malades
devraient aller plutôt en
soins intensifs?
Voilà. En plus,
avec l’évolution
des traitements,
cer tains pa-
tients en réani-
mation peuvent
aller dans d’au-
tres services.
Mais c’est notre
boulot, faire
des choix, c’est
notre pratique. Des crises
sanitaires, on en a eu. On y
fera face.
On évoque néanmoins
le risque de deux goulots
d’étranglement. D’abord,
le manque de personnel
soignant en réanimation
si le nombre de patients
qui arrive est trop impor-
tant...
C’est vrai que si on avait été
écoutés quand on dénonçait
la baisse de personnels avec
la réduction des effectifs, ce
serait plus simple. En même
temps, je le redis, on se dé-
brouillera. Même si ouvrir un
lit supplémentaire en soins
intensifs ce n’est pas un pro-
blème, encore faut-il du
­personnel.
Et qu’en est-il de la ques-
tion du matériel? Certains
s’alarment du nombre de

L


e professeur Jean-Yves
Fagon, longtemps chef
de service de la réani-
mation médicale à l’hôpital
européen Georges-Pompidou
et aujourd’hui référent de
ce même service, est un com-
battant. «Se battre, c’est mon
métier», disait-il souvent. Il a
été également directeur de la
politique médicale à l’Assis-
tance publique-Hôpitaux de
Paris. Puis délégué intermi-
nistériel à l’innovation médi-
cale au ministère de la Santé.
On est impressionné de
voir combien le personnel
hospitalier se mobilise.
Cela vous surprend-il?
Non. Les équipes qui tra-
vaillent à l’hôpital, et en par-
ticulier dans les services de
réanimation, ne
désertent ja-
mais. Elles sont
là, répondent
aux situations,
et elles doivent
faire face à l’im-
prévu, c’est
cela, leur fonc-
tion. Et en ces
temps dif­ficiles,
c’est une chose
formidable que l’on ait réussi
à protéger cette attitude.
C’est-à-dire...
Depuis une dizaine d’années,
les hôpitaux ont reçu beau-
coup de coups. Des services
de réanimation, comme
d’autres services de méde-
cine aiguë, ont été étouffés
sous le poids de la rigueur.
On a eu beau se défendre, des
hôpitaux et des services ont
été fragilisés. Et pourtant là,
ils vont répondre.
Et comment peut-on l’ex-
pliquer?
Il y a quelque chose qui a été
préservé... Depuis trente ans,
chaque fois qu’il y a eu une
crise sanitaire, l’hôpital, ou
plus exactement la structure
hospitalière, a pu répondre
présent. Et faire face. Comme
s’il y avait une sorte de rési-
lience collective. Cela fait

Interview


DR
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