Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

14 parismatch DU 15 aU 21 octobre 2020


CULTURE
LIVRES

Posté à la frontière du Liban, un vieux
guerrier de Tsahal fait feu de tout bois philosophique
pour combler l’inaction. Le maître-penseur
subjugue même un jeune idéaliste.

Par Gilles Martin-Chauffier - Photo Julien Weber

L


es soldats fascinent les hommes. De vrais aventuriers. Ils
croient que la vie autorise à tuer. Parfois ils meurent en opé-
ration. C’est leur rôle mais cela leur vaut des décorations. Ce
sont leurs bijoux. Avec eux, ils portent leur bravoure sur la poitrine.
C’est leur point fort. De Gaulle disait qu’exagérant leur puissance,
ils négligeaient souvent l’intelligence. Pas toujours, heureusement.
Les vétérans ont parfois des profondeurs shakespeariennes – un
peu comme les parrains qui acquièrent une sagesse à la Diogène
à force d’arroser de plomb les rues de Brooklyn.
Chez Jean-René Van Der Plaetsen, les avant-postes militaires
ont des profondeurs de salons littéraires allemands. On est à Ras
El-Bayada, un tampon entre Israël et le Liban : des murs de sacs de
sable, des parois de ciment, de la tôle ondulée sur la tête. Au loin,
une masse blanche : la vieille ville de Tyr. A babord, la Méditerranée,
bleue comme un voile de burqa. A tribord, des prairies vertes
comme l’islam. Au sud, Tsahal n’en fait que selon son caprice et
ne tient aucun compte de l’avis de qui que ce soit. Au nord, le
Hezbollah cultive exactement la même sagesse. Inutile de dire
que les soldats de ce petit fortin symbolique ne servent à rien. Ils
attendent. Entre les quarts de café qui les excitent et les paillasses
où ils s’écroulent, c’est le cadre parfait pour que s’épanouisse la
fameuse « weltanschauung » du vétéran revenu de tout. C’est le cas
de leur chef. Il se fait appeller Belleface. Une vraie machine à médi-
tation. Juif polonais rescapé de Treblinka, il a ensuite servi dans la

Kéthévane Davrichewy Le TemPs Des coPains


C’est un récit court comme une chanson. Qui parle d’amitiés, de joies et de peines. Dans « Un chanteur », Kéthévane Davrichewy revient
sur les parcours entremêlés du chanteur alex beaupain et du cinéaste Christophe Honoré. Elle dépeint les débuts parisiens, les dîners
entre potes, l’arrivée d’autres larrons dans leur petite bande, le journaliste Diastème, la violoncelliste Valentine Duteil. On s’aime, mais on se
chambre ; on travaille avec sérieux, mais on écoute l’intégrale de Renaud en sirotant du mauvais vin. Et puis il y
a des drames, la mort d’Aude, la petite amie d’Alex, triste point de départ de sa carrière de chanteur. Kéthévane
brosse le portrait d’une génération qui passe d’une chambre parisienne aux marches de Cannes, des cafés de
la Bastille à l’Olympia. On y voit un chanteur en lente construction, en proie à la mort des siens, qui finit par
s’imposer avec lucidité et émerveillement dans le monde dont il rêvait. On ne saura rien de la raison profonde de
la dispute entre Christophe Honoré et Alex Beaupain, devenus désormais hermétiques l’un à l’autre. Ici, on s’aime encore, on perd des
illusions. Mais on est toujours là. A essayer de vivre la tête hors de l’eau. Et c’est déjà tellement bien. Benjamin Locoge
« Un chanteur », de Kéthévane Davrichewy, éd. Fayard, 150 pages, 20 euros.

Jean-R ené


Van DeR PLaeTsen


LE SOLDAT


INCONGRU


Légion en Indochine. Où il a retrouvé pas
mal d’anciens nazis planqués sous le képi
blanc. Et où sa mélancolie a pris goût au
sourire amer et doux de l’opium. A présent,
il défend Israël. Ça tombe bien : les champs
de pavot de la Bekaa sont à portée de tir.
A 58 ans, il n’a pas encore assez tué
pour ranger son fusil au râtelier, mais les années l’ont calmé. Il
cite volontiers « L’Ecclésiaste » (qui était aussi le livre préféré de
monsieur de La Palice), recueil de préceptes à la Paulo Coelho tel
« rien de nouveau sous le soleil ». Il parle arabe et se prend pour
la sentinelle de l’Occident en territoire ennemi, dernier parpaing
avant que le monde musulman ne se mette en marche. C’était
déjà son idée en Indochine quand il comptait arrêter le commu-
nisme alors censé conquérir le monde. On a vu le résultat. Pas lui.
Pourtant son charme opère. L’expérience du combat et la sagesse
acquise avec les ans donnent à son personnage l’éclat vertueux
d’un courage éprouvé. Il fascine un jeune Français venu s’engager
dans sa milice. Et le lecteur se laisse prendre. On attend à chaque
page le souvenir, l’incident, la phrase qui va relancer l’éternelle
guerre de religion dont se régale la littérature. Dans « Le désert des
Tartares », elle n’arrivait jamais. Ici, elle survient. Trop tôt pour le
jeune Parisien romantique, qui croyait qu’on acquiert de la sagesse
auprès des fous du Proche-Orient. n

« Le métier
de mourir »,
de Jean-René
Van Der Plaetsen,
éd. Grasset,
272 pages,
19,50 euros.
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