Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

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DANSE

CULTURE

Paris Match. Quelques jours après le confinement, les télé­
spectateurs ont pu vous voir danser au Palais­Royal, à Paris.
Qu’avez­vous ressenti?
Hugo Marchand. J’étais comme un lion qui a été enfermé
pendant deux mois et qu’on libère. J’ai pu danser librement dans
ce lieu magnifique pour France 2, une chaîne publique, à une
heure de grande écoute. Cela fait aussi partie de ma mission en
tant qu’étoile. Et je me produisais sous les fenêtres du ministère
de la Culture de l’époque que j’avais trouvé justement endormi.
Cela avait du sens.
Pour un artiste d’excellence, ce repli aura été un défi?
Une bataille quotidienne contre le ramollissement de nos
corps si calibrés pour la danse. Durant ce confinement, nous
n’avons pas cessé de prendre des cours à distance, qui dans un
coin de cuisine, qui dans un studio. Au risque de se blesser sur un
sol en carrelage. A l’Opéra, nous avons l’habitude de travailler en
groupe. Là, nous étions seuls. Je l’ai mal vécu.

« je sais qu’à un point de ma


carrière j’aurai besoin d’autres


expériences. il me faudra


partir pour mieux revenir »


HUGO M A RCHA ND


L’ÉTOILE SOL A IR E


Du haut de son 1,92 mètre, le danseur survole le Ballet de l’Opéra
de Paris. Rencontre alors qu’il revient sur scène.

Interview Philippe Noisette @NoisettePhilip1 – Photo Manuel Lagos Cid

Hugo Marchand à l’Opéra de Paris,
le 17 septembre 2020.

Une longue grève à partir de décembre 2019 a perturbé la
maison. Vous avez craint un désamour du public?
Il y a eu des commentaires désagréables, des insultes sur
les réseaux sociaux. Je le comprends. J’ai dansé la première de
“Raymonda” avec Dorothée Gilbert le 3 décembre 2019, puis
tout s’est arrêté. On filait le spectacle tous les soirs en espérant
être sur scène. Cette réforme des retraites a des répercussions
sur nous. C’est comme une bombe à retardement. Cela reviendra
forcément sur la table. Il faut trouver un compromis pour aider les
danseurs à se remettre sur le marché de l’emploi après. Le gouver-
nement doit nous soutenir. Mais je ne souhaite pas une autre grève.
Les protocoles syndicaux ici sont un peu effrayants. On oublie la
passion. Il faut réinsuffler du plaisir, celui de travailler ensemble.
On dit souvent que l’Opéra de Paris est un cocon protecteur.
Mais on peut avoir envie de s’en défaire. C’est votre cas?
J’adore l’Opéra, encore plus après ce confinement. J’ai du
respect pour l’institution et les personnes. Mais je sais qu’à un point
de ma carrière j’aurai besoin d’autres expériences. Il me
faudra partir pour mieux revenir. Je me sens une res-
ponsabilité vis-à-vis de l’Opéra de Paris.
Vous retrouvez Garnier avec un programme extrait
du répertoire néoclassique. La danse classique,
c’est votre nature première?
J’adore chaque expérience à l’Opéra. Il n’y a pas
tant de danseurs qui peuvent servir le classique sur
scène. C’est donc aussi le rôle des étoiles. Mais avant
tout, j’utilise mon corps pour me mouvoir et émouvoir.
Lorsque j’interprète le “Roméo et Juliette” contem-
porain de Sasha Waltz, ce n’est pas le même langage,
pourtant cela me fait vibrer de la même manière.
Il y a des rôles qui vous excitent?
Roland Petit ou le “Boléro” de Maurice Béjart,
rencontrer d’autres artistes, que l’on crée pour moi.
J’espère que la vie va continuer de me surprendre.
On voit en vous le meilleur danseur français du
moment. Quelle serait votre plus grande qualité?
J’ai l’impression d’être à ma place. Une crise
d’ego, cela arrive. On se prend alors une claque
et on revient sur terre justement. Ma qualité serait
d’avoir énormément de plaisir au travail. Je ne suis
pas le plus doué, mais j’ai simplement plus d’envie
que les autres.
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