Paris Match - France (2020-11-19)

(Antfer) #1

Je ne suis pas b cassine,


au fond de mon trou.


Je reste l’ coute et J’observe


ce monde devenir un cirque »


Un entretien avec Caroline Mangez


Paris Match. Pourquoi republier cette
autobiographie qui s’achève en 1973,
quand vous avez renoncé à votre carrière
d’actrice?
Brigitte Bardot. J’ai mis vingt ans à
écrire ce livre qui retrace fidèlement ma
vie. Pour faire revivre ma petite enfance,
il a fallu replonger dans les carnets de
mon papa, remonter le fil du temps des
souvenirs qui m’avaient frappée, des
films que j’avais pris plaisir à tourner ou
pas, des hommes plus ou moins aimés
qui m’avaient bien ou mal aimée... Ce
que j’ai subi, adoré, détesté, mes joies
et mes problèmes : tout y est. C’est une
confession très honnête, sans pareille.
Dans ses Mémoires, Roger Vadim,
l’homme qui vous a révélée et fut votre
premier mari, racontait que derrière votre
apparente décontraction se cachent des
peurs, des angoisses, un “don pour le
malheur qui faillit souvent [vous] conduire
au bord de la tragédie”...
C’est surtout de ne pas avoir su
supporter le malheur qui m’a menée
parfois à la tragédie. Parce que j’ai plutôt,
il me semble, un don pour le bonheur.
Hélas, il n’est fait que de petits moments
fugaces qu’il faut savoir saisir quand ils
se présentent, rarement.
Dans “Initiales B.B. Mémoires”, vous
racontez cette première tentative de
suicide, la tête dans le four, à 16 ans, quand
vos parents vous empêchent de voir
Vadim. Il y en a eu beaucoup d’autres? A
quel moment ces pulsions suicidaires vous
ont-elles quittée?
Très jeune, je me suis dit que la vie
ne valait pas la peine si l’on devait en
souffrir. J’avais donc le suicide comme
porte de sortie. A mon âge, aujourd’hui
et avec beaucoup de recul, je trouve que
c’est une lâcheté. Heureusement que
je ne me suis pas suicidée, parce que je
n’aurais pas pu accomplir tout ce que j’ai
fait pour les animaux...

Qu’est-ce qui vous retient encore sur cette
terre, à présent?
Ce combat pour la cause animale,
rien d’autre! Pourtant, je peux vous dire
que cela m’oblige à me confronter au
pire, en termes de détresse, d’infamie,
d’injustice, de tristesse et de désillusion,
par rapport à ce que j’ai pu connaître
auparavant. Mais je le supporte pour les
animaux, plus pour moi.
Et l’amour de votre mari, Bernard
d’Ormale, que pèse-t-il dans tout cela?
C’est mignon, l’amour de Bernard,
bien sûr ; mais j’en ai eu d’autres... Jamais
l’amour d’un homme ne m’a donné envie
de continuer de vivre. C’est la détresse
animale qui me porte et me donne envie
de me battre, de continuer...
Il paraît que vous téléphonez tous les
jours à votre sœur, Mijanou, qui vit en
Amérique et que vous n’avez pas revue
depuis vingt ans...
Ma sœur est dans mon cœur. Je n’ai
pas besoin de la voir, ni de l’appeler tous
les jours pour l’aimer. Elle habite à Los
Angeles et nous avons chacune nos vies
depuis très longtemps. Mais on se tient
au courant, par mail souvent, par
petits courriers ou au téléphone,
quand on trouve le temps.
Elle ne vous manque pas?
Rien ne me manque.
Avez-vous des nouvelles d’Alain
Delon, un autre de vos corres-
pondants habituels?
Alain a eu 85 ans dimanche
dernier. D’habitude, je lui envoie
toujours une gentille lettre pour
son anniversaire. Mais là, depuis
deux ans, je n’ai plus aucune
réponse. J’ai l’impression
qu’il ne correspond plus avec
personne et je ne veux pas l’en-
combrer de mes messages. Il est,
comme moi, un animal sauvage
et solitaire.

Que faites-vous de votre temps?
Je travaille pour ma fondation, je ne
fais rien d’autre. C’est, pour moi, d’une
importance capitale et assez lourd à
gérer. Ces derniers temps, comme tout
le monde, nous devons faire face à des
problèmes de gestion du personnel, de
manque de places aussi, alors que l’on
se voit confier de plus en plus d’animaux.
Il a fallu louer des fermes et entretenir
leurs fermiers reconvertis pour créer de
nouveaux refuges. On fait des choses
formidables, et dans le monde entier!
Des noms, parfois, ont circulé pour vous
succéder un jour à la tête de la fonda-
tion. Avez-vous enfin trouvé une digne
héritière?
Je suis convaincue d’avoir accom-
pli ce pour quoi j’étais destinée. Je n’ai
pas eu le choix, cela s’est imposé à moi.
Trouver quelqu’un d’aussi investi, par
les temps de médiocrité qui courent, me
paraît impossible. J’ai fait tout ce qui était
en mon pouvoir pour que la fondation


  • qui demeurera la Fondation Brigitte
    Bardot – ait les moyens de me survivre.
    Ensuite, advienne que pourra...
    Avec le confinement, retrouvez-vous un
    peu du Saint-Tropez que vous avez connu
    quand vous et vos parents y avez débar-
    qué au début des années 1950?
    Mais de quoi parlez-vous? Quand
    j’ai connu Saint-Tropez, c’était un petit
    village de rien du tout, au trou du cul du
    monde, où vivaient trois pelés et quatre
    tondus, tous natifs de l’endroit. C’est
    devenu une horreur, un endroit pour
    milliardaires, sans âme, sans charme,
    défiguré. De toute façon, je n’ai plus
    rien à y faire : tous ceux que j’aimais
    sont morts et les petites boutiques qui
    me plaisaient ont toutes


«


(Suite page 74)

A Louveciennes : Brigitte, 17 ans,
et sa sœur, « Mijanou », 13 ans. Derrière,
« Pilou », le père, « Toty », la mère, et
« Boum papa », le grand-père.
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