Coup de Pouce - (11)November 2020

(Comicgek) #1

Ma vie | PERSO |


Dans son tout dernier livre, Se libérer du
complexe de Cendrillon - Trouver l'audace de
vivre, le psychanalyste Saverio Tomasella
met un nom sur cette propension à en faire
trop pour les autres jusqu’à en étouffer ses
propres désirs. Il l’appelle le complexe de
Cendrillon. «Comme l’héroïne du conte de
Perrault [...], on peut mettre notre vie de
côté pour soutenir un proche, tout prendre
en charge au sein d’une famille, renoncer à
nos rêves ou à nos convictions pour être
accepté et aimé...» détaille-t-il.
Plusieurs situations prédisposeraient à ce
complexe, selon Mme Grou. «Avoir une faible
estime de soi, ne pas avoir eu l’impression
d’être aimé inconditionnellement, enfant,
ou encore être devenu adulte trop tôt, parce
qu’il fallait aider les parents.» C’est le cas de

c’est que je n’allais pas emménager avec elle.»
Dire non a été difficile, mais elle l’a fait pour
respecter ses limites. Karine a néanmoins
aidé sa mère à emménager dans une rési-
dence et elle demeure présente à distance.
Pour éviter de tomber dans le sacrifice
extrême et les frustrations qu’il peut susci-
ter, la psychologue Christine Grou préco-
nise justement d’apprendre à poser ses li-
mites. Comme la pomme ne tombe jamais
très loin de l’arbre, j’ai moi-même hérité de
cette tendance à vouloir aider les autres, à
leur faire plaisir. Mes limites, je sais que je
ne les ai pas respectées quand, à bout de
souffle, je m’entends reprocher aux en-
fants: «Avec tout ce que j’ai fait pour vous!»
Des paroles culpabilisantes qui indiquent
qu’on en a trop fait.
Avoir un proche qui en
fait trop pour les autres
n’est pas forcément un ca-
deau. «Si l’on s’attend à ce
que l’autre fasse de même,
le sacrifice peut se transfor-
mer en dette envers l’autre»,
explique Mme Grou. Pour
éviter de glisser vers cette
situation inconfortable, la
psychologue conseille d’ex-
primer ses difficultés et ses
doutes à l’autre, sans res-
sentir de la culpabilité.
Poussé à l’excès, le dé-
vouement à autrui peut aussi mener à la
dépression ou à une fatigue extrême. «Il y
a un équilibre à trouver entre être à
l’écoute de l’autre et ne pas s’oublier», dit
la psychologue. Pour éviter de se rendre
jusque-là, elle recommande de se deman-
der ce que l’on craint de perdre si l’on
arrêtait d’en faire autant. Dans le célèbre
conte, Cendrillon finit par accepter de
vivre son désir en se rendant au bal, «elle
se libère du fardeau de l’esclavage; elle
peut passer du service à la générosité»,
écrit Saverio Tomasella.

Karine, 43 ans, qui a grandi avec une mère
handicapée. «Dès l’âge de trois ans, j’allais
acheter du lait au coin de la rue. J’étais ses
bras, ses jambes. Elle était là et prenait soin
de moi aussi, mais je l’aidais beaucoup phy-
siquement», raconte la professeure de danse
et de yoga.
Prendre soin des autres est devenu une
seconde nature pour Karine. C’est presque
«une drogue», de son propre aveu. Elle a dû
apprendre à en faire moins pour préserver
sa santé mentale. Il y a deux ans, elle a frappé
un mur quand sa mère a commencé à mon-
trer des symptômes d’alzheimer. «Quand elle
a reçu son diagnostic, je me suis demandé si
j’allais sacrifier ma vie. Ce qui était certain,

«


Le sacrifice est


pertinent quand il est ponctuel;


c’est quand il devient permanent


qu’il est nocif.
»


  • CHRISTINE GROU, psychologue


JULIA HAURIO EST JOURNALISTE. ELLE TRAVAILLE À
RECONNAÎTRE SES PROPRES LIMITES POUR LE PLUS
GRAND BONHEUR DE SES PROCHES. •

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NOVEMBRE 2020
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