Coup de Pouce - (12)December 2020

(Comicgek) #1
C’est la dernière fois que j’emprunte ce chemin, et
l’émotion est immense. Je m’imprègne dès que je le peux
des émerveillements de mon bébé, de son contentement
facile, de sa main sur ma nuque. Je me sens habitée par
un amour torrentiel et absolu, incroyablement riche de
sa confiance et de la certitude que je suis encore son
parfait refuge. Plus pour longtemps... La mère-univers
sera bientôt reléguée à son propre corps, et l’enfant tra-
cera sa route. Sa vie l’appelle!
Lory Zephyr, doctorante en psychologie, confirme
qu’il s’agit bien d’un deuil: celui d’un autre enfant,

fantasmé, auquel on renonce, mais aussi de notre capa-
cité à procréer. Dans une société qui survalorise le choix,
celui-ci n’a souvent rien d’évident. Les questionnements
sont sains. S’ils causent de la souffrance, Mme Zephyr
conseille de se faire accompagner.
Je peine à croire que je ne revivrai plus cet envelop-
pement sensoriel des premiers mois, écho de l’expé-
rience inégalable de la naissance.
Pour Marie-Ève, ç'a été une libération. La conquête
de l’autonomie de ses deux garçons a été un affranchis-
sement, et refermer le chapitre de la petite enfance, un
soulagement.
Pour moi, m’éloigner du halo de la naissance est un
adieu. Avec mes aînés, j’ai d’abord patienté, pensant re-

trouver après le terrible two, notre harmonieux duo. Mais
j’ai appris que ce qui s’effilochait alors disparaissait pour
toujours, gains d’autonomie inaliénables pour l’enfant,
pertes chagrines pour moi. À peine sortis de nous, nos
enfants nous échappent, et le brouillard hormonal et
sensuel des deux premières années nous masque cette
réalité. Debout sur ses deux pattes, le bambin le dissipe
et conquiert peu à peu son destin. Malgré cette nostalgie
qui m’habite, tous les matins, je retombe amoureuse.
Mammifère, je plonge mon nez dans les cous à la re-
cherche de l’odeur de la nuit. Je suis fière, éblouie, séduite
à répétition, et ce sont ces éclats intenses et imprévisibles
qui rendent gratifiant le dur métier de parent.
Pour nous conforter dans notre décision, «on peut se
concentrer sur les éléments réalistes motivant notre
choix, réinvestir la femme en nous, conserver les décou-
vertes de l’expérience maternelle en leur trouvant des
prolongements dans nos vies professionnelle ou person-
nelle», conseille Lory Zephyr, qui voit dans la maternité
une «bonification identitaire» invitant à se réinventer.
Pour ma part, je m’efforce de voir, dans les crises épui-
santes de la petite enfance, une collaboration de la na-
ture me confortant dans mon choix. Même si cette sépa-
ration serre mon ventre et éreinte mon cœur. •

VICTORINE MICHALON EST MÈRE DE TROIS ENFANTS DE SEPT, CINQ ET
DEUX ANS ET DEMI.

LE DEUIL


MON BÉBÉ POTELÉ N’EN SERA


BIENTÔT PLUS UN. AVEC SON


FRÈRE ET SA SŒUR, NOUS AVONS


LES BRAS PLEINS. JE SUIS DONC


EN PROCESSUS DE DEUIL: NOUS


N’AURONS PLUS D’ENFANT.


Par Victorine Michalon | Illustration: Anne Villeneuve/c.


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Je m’efforce de voir, dans


les crises de la petite enfance,


une collaboration de la nature me


confortant dans mon choix.
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dernier enfant


DU


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DÉCEMBRE 2020
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