parjour», se souvient-il. Certaines victimes sont originaires des vil-
lages alentour. Il apprend à faire face à une nouvelledouleur,celle
des familles à qui l’on interdit de voir leur proche,avantcomme
après la mort. Les cercueils sont scellés sur le lieumêmedudécès,
puisentreposésjusqu’àcinqdanschacundesdeuxpetitssalons
funéraires.A Mulhouse,devantl’afflux,unbâtimentfrigorifique
appelé«dépositoire» estréquisitionné.Lescercueilssont«entas-
séslesunssurlesautres», détaille Johann Gresser.Auplusfortde
l’épidémie, on comptetroissemainesd’attenteavantla crémation.
DanscecoindeFrancetrèscatholique,lesdernièresfunéraillesà
l’églisese tiennentle 21mars.«Onétait8 ou 9 », se souvientle curé,
ChristianRenger.Ensuite,ellessedéroulentdirectementaucime-
tière,entoutpetitcomité.Dèsla mi-mars,le maireentame,dansun
tableauExcel,unemorbidecomptabilitépour,dit-il,«comprendre
cequ’ilse passe». Jusqu’àla mi-avril,unegrossecinquantainede
nomss’yaligne,dontla moitiérésidaità Dannemarie.Avant,il
signaitunoudeuxcertificatsdedécèsparmois,guèreplus.«On
nesavaitpasoùl’onallait,sedésolePaulMumbach.Il a falluse
débrouillersansl’aidedel’Etat.» Une collecte de matérieldeprotec-
tion est organisée, notamment en faveur de l’Ehpad.Desbénévoles
se mobilisent pour faire les courses des personnesâgées,répondre
aux 500 appels reçus en mairie durant ce mois fou.Lescouturières
se mettent au boulot pour confectionner des masques.SylvieBerger,
qui vient de reprendre l’Auberge Saint-Léonard, coupe
les tissus achetés à une entreprise locale. La solidarité
s’organise, et les habitants font des réserves, achetant
leursbaguettespardouzaines.
LedocteurGilet,lui,estsurtouslesfronts.Il officieau
centremédicaldepuisle 2juillet 1984, au lendemainde
la naissance du premier de ses trois enfants. Il enchaîne
les visites à domicile. Après la consultation, il a l’habitudedeprendre
desnouvellesdela famille,dediscutersportoumusique.Maisen
mars,le tempsestcompté.LeSamuse déplacepeu,c’estsouvent
auxmédecinsdetrouveruneambulance.«Leshabitantsse disaient:
“Sije vaisà l’hôpitalet si j’ymeurs,personnenepourravenirme
voir”», se souvientCaroleEygasier.Médecinset infirmierslibéraux
se démènent,commelespompiers,dontle nombred’interventions
poursecoursà la personneaugmentede 70 %surl’ensembledu
Haut-Rhin.Lespatientshospitaliséssonttransférésà Mulhouse,puis
à Nancy,puisenAllemagne, et l’on finit par ne plussavoiroùils se
trouvent. Pour ceux qui s’en sortent, il n’y a plus d’aideà domicile
ni de rendez-vous disponible chez les pneumologuespourfairele
point, comme il est prescrit sur l’ordonnance de sortie.
Quand Pierre Gilet n’est pas sur les routes ou au centremédical,on
le trouveà l’Ehpad,dontil estle médecincoordinateur.Mi-mars,deux
desquatreinfirmièressontatteintesparle Covid.LeSamurefusede
prendreenchargelesrésidents.«On n’était pas préparés,se souvient
le docteur Eygasier. On manquait de personnel, demédicaments.
On essayait avec les moyens du bord de soulager lespersonnes en
détresserespiratoire.C’étaitdela médecinedeguerre.
Çaa générédessituationsterribles.» Ellegardecesen-
timentobsédantdenepastoujoursavoirputouttenter.
«Il y a euceuxquiontsuccombéauCovidet tousceux
quise sontlaissésglisser,mortsdesolitude», s’attriste
MarlyseHausser,infirmièredel’Ehpad.Environ 25 %
desrésidents,soitunevingtaine,sontdécédéslorsde
la premièrevague.«Il n’ya pasdemotspourexprimer
cequele personnela vécu.Onnes’enremettrajamais
vraiment», ajoutesa consœurEvelyneLakomiak.
EtvoilàquePierreGilet,pilierdela commune,est
touchéà sontour.Ledimanche 22 mars,il doits’ali-
ter.«Quelquesjoursplustôt,raconteCaroleEygasier,
il m’avaitdit: “Jesuisà risque,je devraism’arrêter.”»
Maisce n’étaitpassongenre.Mêmemalade,il suitses
patientset gèrel’Ehpadentéléconsultation.Sonétatse
dégrade; son remplaçantluifournitdel’oxygène,mais
le débit des appareilsmisà dispositionà domicileest
insuffisant. Ledimanchesuivant,le médecinse résout
à appelersesamispompiers,chezquiil a servipen-
dantvingt-cinqans.Lesoir,il estadmisen
réanimation.Le 8 avril,toutestfini.Pierre
Giletestl’undespremiersmédecinstuésen
Franceparle Covid-19.Lebourgestsousle
choc.«C’étaitquelqu’und’entier,quiaimait
plaisanter.Il a étémonmédecindepuisma
naissance,commeceluidemesparents,de
mesgrands-parents,demonarrière-grand-mèreet même
demonfilsde3 ans», témoignele nouveaumaire.A la
lecture du trèsémouvantlivred’orquiluiestdédié,on
entend les portesquiclaquent,leséclatsdevoix,son
rire qu’on imaginetonitruant,sonamourdesautres,sa
générosité et sonincroyabledévouement.
Aujourd’hui,à Dannemarie,la secondevagueestlà.
Ladernièresemainedejanvier,à l’étatcivil,3 décès
«Covid» ontétérecensés.Lapeura faitplaceà la las-
situde,maisladouleurpersiste.«Onvamettredu
tempsà cicatriser», ditEvelyneLakomiak.PierreGilet
a été promu,à titreposthume,chevalierdela Légion
d’honneur. Lamaisonderetraiteportedésormaisson
nom,maisle baptêmeofficiel,prévuennovembre,a
étérepousséenavrilet le seraencores’ille faut.Parce
que,ditle maire,«cen’étaitpasunhommedel’entre-
soi.Il aimaitle partage,l’humain.Il fautunecérémonie
festive». En espérantqu’ellesigneraenfinl’arrivéede
jours meilleurs. denotreenvoyéespécialeenalsacecaroline Fontaine
Blottie sur les rives du
canal du Rhône au Rhin, la petite commune
commerçante de Dannemarie.
ladernière
semaine
dejanvier2021,
3 décès ont encore
été recensés
du 11 au 17 février 2021 PA RI SM AT C H