part 3. 1931–1945: prewar and war poetry
Je suis sans nom ni visage certain; lieu d’accueil et chambre d’ombre, piste de
songe et lieu d’origine, mon ami, mon ami
Ah quelle saison d’âcres feuilles rousses m’a donnée Dieu pour t’y coucher,
mon ami, mon ami
Un grand cheval noir court sur les grèves, j’entends son pas sous la terre, son
sabot frappe la source de mon sang à la fine jointure de la mort
Ah quel automne! Qui donc m’a prise parmi des cheminements de fougères
souterraines, confondues à l’odeur du bois mouillé, mon ami, mon ami
Parmi les âges brouillés, naissances et morts, toutes mémoires, couleurs rom-
pues, reçois le coucher obscur de la terre, toute la nuit entre tes mains livrée et
donnée, mon ami, mon ami
Il a su≈ d’un seul matin pour que mon visage fleurisse, reconnais ta propre
grande ténèbre visitée, tout le mystère lié entre tes mains claires, mon amour.
Terre originelle
Pays reçu au plus creux du sommeil
L’arbre amer croît sur nous
Son ombre au plus haut de l’éveil
Son silence au cœur de la parole
Son nom à graver sur champ de neige.
Et toi, du point du jour ramené,
Laisse ce songe ancien aux rives du vieux monde
Pense à notre amour, l’honneur en est su≈sant
L’âge brut, la face innocente et l’œil grand ouvert.
L’eau douce n’est plus de saison
La femme est salée comme l’algue
Mon âme a goût de mer et d’orange verte.
Forêts alertées rivières dénouées
chantent les eaux-mères de ce temps
Tout un continent sous un orage de vent.
Et route, bel amour, le monde se fonde comme une ville de toile
S’accomplisse la farouche ressemblance du cœur
Avec la terre originelle.