part 6. 1981–2002: young poetry at the end of the millennium
Dans l’air limpide
Certains disent: regardez ce qui se passe en coulisse.
Comme c’est beau, toute cette machinerie qui fonctionne!
Toutes ces inhibitions, ces fantasmes, ces désirs réfléchis sur leur propre his-
toire. Toute cette technologie de l’attirance. Comme c’est beau!
Hélas j’aime passionnément, et depuis toujours, ces moments où plus rien ne
fonctionne. Ces états de désarticulation du système global, qui laissent présager
un destin plutôt qu’un instant, qui laissent entrevoir une éternité par ailleurs
niée. Il passe, le génie de l’espèce. Il est di≈cile de fonder une éthique de vie sur
des présupposés aussi exceptionnels, je le sais bien. Mais nous sommes là, juste-
ment, pour les cas di≈ciles. Nous sommes maintenant dans la vie comme sur des
mesas californiennes, vertigineuses plates-formes séparées par le vide; le plus
proche voisin est à quelques centaines de mètres mais reste encore visible, dans
l’air limpide (et l’impossibilité d’une réunification se lit sur tous les visages).
Nous sommes maintenant dans la vie comme des singes à l’opéra, qui grognent
et s’agitent en cadence. Tout en haut, une mélodie passe.