EN COUVERTURE
restant sensible au montant
de celui-ci. Vouloir fausser la
concurrence dépend donc du coût
de la mesure impliquée. Au
passage, ce choix « est bien mieux
expliqué par le clivage individualiste-
collectiviste que par le clivage droite-
gauche ». En revanche, ce dernier
- qu’on prétendait défunt il y a en-
core cinq ans – structure les prises
de position sur l’identité culturelle
et l’opposition entre État provi-
dence et régalien. Dans les trois
pays, l’acceptation de l’immigra-
tion de travail apparaît comme re-
lative, mais plus élevée lorsqu’on
explique aux participants que les
experts estiment majoritairement
que celle-ci ne nuit pas à l’emploi
des nationaux. Cependant, les per-
sonnes de droite y restent moins
favorables : elles opèrent un arbi-
trage différent des autres entre va-
leurs et facteurs économiques.
Ras-le-bol fiscal. Les détermi-
nants de la plus ou moins grande
tolérance à l’immigration se ré-
vèlent particulièrement instruc-
tifs : si les facteurs économiques
(congestion des services sociaux,
contribution au marché de l’em-
ploi) semblent prédominer sur les
considérations extraéconomiques
(diversité culturelle, sécurité, de-
voir d’accueil), les individus attri-
buent à l’immigration peu d’effets
négatifs sur l’emploi et insistent
plutôt sur son poids sur les ser-
vices publics. « Si les économistes
veulent faire progresser le débat pu-
blic sur ce thème, concluent les au-
teurs, il faut investiguer du côté de
la congestion des services publics,
plus d’ailleurs que sur les questions
de sécurité. »
En matière de dépenses pu-
bliques, le résultat est frappant :
les personnes interrogées ne de-
mandent pas davantage d’inves-
tissements dans la police ou la
justice, mais la réduction des ef-
forts de défense et des dépenses
sociales hors retraites. Elles sou-
haitent plutôt renforcer les dé-
penses d’investissement de l’État
dans trois domaines : l’éducation,
la recherche et la santé. Le clivage
gauche-droite joue un rôle struc-
çais s’avèrent aussi plus préoccupés
qu’eux par les questions d’identité
et de culture et font montre d’un
fort « ras-le-bol fiscal ». Cette po-
sition est d’autant plus frappante
que, dans la plupart des questions
de l’enquête, les différences de pré-
férences entre individus des trois
pays proviennent essentiellement
des différences de valeurs entre
eux : par exemple, les Américains
sont plus prompts à la compas-
sion que les Français ou les Alle-
mands, et les Français attachent
plus d’importance à l’autorité, ce
qui se traduit ensuite par certaines
préférences économico-morales.
Salutaire. Or, sur l’identité et la
fiscalité, ce n’est pas parce que les
Français sont plus attachés à la
loyauté et à l’autorité (valeurs de
droite) que les Allemands ou les
Américains et moins attachés à la
compassion et à l’égalité (valeurs
de gauche) qu’ils sont plus hos-
tiles à l’immigration ou aux im-
pôts, mais pour d’autres raisons.
Lesquelles? Les auteurs ne
s’avancent pas sur ce terrain mais
on peut émettre l’hypothèse que
le niveau actuel de l’immigration
ou de la fiscalité est trop élevé en
France par rapport à ce que les
Français estiment supportable.
Voilà donc un ouvrage ambi-
tieux et salutaire, dont on espère
qu’il inspirera autant les politiques
que les instituts de sondages. On
peut seulement regretter que les
deux chercheurs se montrent un
peu trop durs avec leur propre dis-
cipline : après tout, si l’universa-
lisme et l’efficacité chers aux
économistes impliquent des va-
leurs qui nous semblent au-
jourd’hui insuffisantes, elles
étaient en leur temps considérées
comme révolutionnaires et ont
permis à des millions d’individus
sur la planète de sortir de la pau-
vreté. Précisons que Carlyle, quand
il s’en prit à la « science lugubre », le
fit parce qu’il ne supportait pas
qu’elle... ne défende pas l’esclavage,
les règles de l’offre et de la demande
plaidant pour « laisser les hommes
tranquilles » plutôt que de les fouet-
ter pour les rendre dociles §
Les individus attribuent
à l’immigration peu d’effets
négatifs sur l’emploi et
insistent plutôt sur son poids
sur les services publics.
MAGAZINE SUJET
68 | xx xxx 20xx | Le Point 2xxx
DR
Question posée avec rappel du consensus
Gauche 6,4
Centre 5,1
Droite 3,8
Les immigrés coûtent cher à nos services sociaux 21 %
Les immigrés occupent des postes pour lesquels
les employeurs ont du mal à recruter 18 %
Les immigrés créent des problèmes de sécurité 13 %
La diversité culturelle est une source de richesse 11 %
Les immigrés prennent nos emplois 10 %
Les immigrés apportent de la richesse
par leur travail 8 %
C’est notre devoir d’accueillir les étrangers
en difficulté dans leur pays 10 %
Les immigrés sont trop différents de moi 2 %
Question posée sans rappel du consensus
Gauche 5,5
Centre 4,2
Droite 3,3
Raison principale de l’attitude vis-à-vis
de l’immigration de travail
En % du total des personnes interrogées
Soutien à l’immigration de travail
Adhésion à l’idée sur une échelle de 1 (faible) à 10 (forte)
La question a été posée à deux groupes, l’un auquel on a
rappelé le consensus des experts économiques qui
affirme que l’immigration légale de travail ne nuit pas à
l’emploi autochtone, et l’autre à qui on ne l’a pas rappelé.
turant dans les différences de
priorités, la droite se caractérisant
par un fort conservatisme fiscal.
Dans ce tableau, la France pré-
sente des singularités qui ne sur-
prendront guère. Plus favorables
au protectionnisme que les Alle-
mands et les Américains, les Fran-
34 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
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