EN COUVERTURE
Houellebecq et l’avatar de Macron
PAR MARIE-LAURE DELORME
I
l n’a ni prénom ni nom. Ses deux
principaux traits de caractère
sont l’intelligence et le cynisme.
Michel Houellebecq s’est inspiré
de la figure d’Emmanuel Macron
pour construire son personnage
de président dans son nouveau
roman, anéantir. Nous sommes en
décembre 2026. La prochaine élec-
tion présidentielle se profile. Le
Rassemblement national est en-
core aux portes du pouvoir. Le pré-
sident arrive au bout d’un second
quinquennat. Il ne peut être réélu
en 2027 car la Constitution lui
interdit un troisième mandat
d’affilée. Qui va être le candidat
de la majorité présidentielle? Le
chef de l’État a un plan : faire élire
à sa place un homme sans enver-
gure, le médiatique Benjamin
Sarfati, afin de revenir au pouvoir
en 2032 et d’accomplir à nouveau
deux mandats consécutifs. Son
projet serait alors de modifier la
Constitution pour passer à un
régime présidentiel avec suppres-
sion du poste de Premier ministre,
réduction du nombre de parle-
mentaires, élection à mi-mandat.
Au centre de la partie politique
d’anéantir, une relation ambiguë,
faite de confiance et de rivalité,
entre deux hommes puissants : le
président de la République et le
ministre de l’Économie et des
Finances. Car, en 2032, le président
devrait avoir un rival de poids.
L’actuel ministre de l’Économie
et des Finances, Bruno Juge,
personnage inspiré par Bruno
Antihéros. Dans
anéantir, l’écrivain
s’inspire du chef de
l’État pour camper
un président enivré
de lui-même.
Le Maire, pourrait bien vouloir
également accéder au pouvoir
suprême. Il est décrit comme un
pur technicien, connaissant à fond
ses dossiers. Un homme humain
et travailleur. Le président n’a-t-il
pas tendance à le sous-estimer
comme adversaire et à le croire
loin de toute ivresse du pouvoir?
Si l’écrivain prête au président
une véritable finesse psycholo-
gique, il le décrit comme envoûté
par les cimes.
Michel Houellebecq dresse un
portrait ironique du président. Il
a été élu sur les « fantasmes de
start-up nation », n’a aucune convic-
tion forte, termine ses discours
de manière exaltée, abuse de pa-
roles humanistes et poétiques.
Il s’enivre de lui-même. Ses qua-
lités sont ses défauts. Son bilan
est décrit tantôt de manière sé-
vère, tantôt de manière amène.
Le chef de l’État a échoué sur le
plan du chômage, mais a réussi
à maintenir la paix sociale. La
France a retrouvé son cinquième
rang mondial.
Le ministre de l’Économie et
des Finances, Bruno Juge, résume
la faille : « Au fond, [...] le président
a une conviction politique, et une seule.
Elle est exactement la même que celle
de tous ses prédécesseurs, et peut se
résumer en une phrase : “Je suis fait
pour être président de la République.”
Sur tout le reste, les décisions à
prendre, l’orientation de l’action pu-
blique, il est prêt à peu près à n’im-
porte quoi, pourvu que ça lui paraisse
aller dans le sens de ses intérêts
politiques. »
Désillusions politiques. L’au-
teur de Sérotonine (Flammarion,
2019) brouille les cartes avec sub-
tilité. Le président a un bilan
contrasté par temps difficile, et le
ministre de l’Économie risque de
se laisser gagner par le cynisme.
Au-delà des portraits inspirés
des figures de Bruno Le Maire et
d’Emmanuel Macron, on retien-
dra les désillusions politiques, la
violence de la vie publique, l’em-
prise de plus en plus grande des
communicants sur les dirigeants.
Le cynisme est partout. Il tombe
par averses comme de la pluie
acide. Michel Houellebecq acte
le passage des hommes d’État
aux hommes politiques. Mais son
sujet est toujours ailleurs. L’au-
teur n’invente pas par hasard
une vie privée à un Bruno Juge en-
fermé à Bercy durant les week-
ends. Dans anéantir, les hommes
cherchent des raisons d’espérer.
Ils ne les trouveront pas du côté
de la politique §
anéantir, de Michel Houellebecq
(Flammarion, 736 p., 26 €).
Houellebecq dresse un por-
trait ironique du président,
élu sur les « fantasmes de
start-up nation ».
Flair. En juin 2016,
au ministère
de l’Économie, Michel
Houellebecq, rédacteur
en chef d’un jour des
« Inrocks », interviewe
le ministre Emmanuel
Macron.
36 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
B. D’ALESSANDRI SLOSLO/STARFACE