font l’unanimité : son cou-
rage et sa détermination. Depuis
des années, Ariane de Rothschild
force le respect car elle devait, outre
ses responsabilités à la banque,
gérer une vie quotidienne plus que
tumultueuse aux côtés de Benja-
min. Cet homme attachant, terri-
blement affectif, n’a pas toujours
été « un long fleuve tranquille »,
comme son épouse l’admet parfois
en souriant. Caler un rendez-vous
avec un client? Surprise! On ne
sait jamais si Benjamin l’honorera
ou non... Et s’il apparaît finale-
ment à l’heure dite, il fume un
demi- paquet de cigarettes et al-
terne remarques intelligentes et
injures primaires – comme « les ré-
gulateurs sont tous des cons et je les
emmerde! »... Ce père de quatre filles
était brillant, mais instable, sans
filtre – cela faisait aussi tout le
charme du personnage –, en in-
tense dissonance avec l’image
qu’entend offrir au monde la très
vénérable famille Rothschild. Dans
son domaine du pays briard, le ba-
ron aime s’attarder dans le salon
de ses trophées de chasse. Il
contemple avec satisfaction son
zoo en miniature d’animaux chas-
sés par ses soins et empaillés, dont
les pièces maîtresses sont un ours
blanc avec une flèche plantée dans
le cœur, d’où s’écoulent quelques
gouttes de sang, et un hippopo-
tame dont le flanc a été creusé pour
accueillir un bar, à l’intérieur du-
quel sont disposés des bouteilles
de scotch et quelques verres. Un
objet de décoration assez surpre-
nant pour une grande maison de
gestion qui en fait des tonnes au-
près de ses clients sur l’investisse-
ment responsable et le respect de
l’environnement...
Depuis le décès du baron, l’ours
et l’hippo ont débarrassé le plan-
cher et la restructuration de la
banque Edmond de Rothschild a
été achevée. Mais... il reste à prou-
ver que la nouvelle machine peut
se remettre à carburer comme
avant. La banque affichait des bé-
néfices de (seulement) 55 millions
d’euros l’an dernier, contre plus de
150 millions au début des années
- Et, surtout, les rivaux hel-
vètes, dont les patronymes sont
beaucoup moins célèbres à travers
le monde – Lombard Odier, Safra,
Julius Baer ou Pictet –, font beau-
coup mieux. François Pauly, le tout
nouveau directeur général de la
banque, ne doute pas : « En ordre de
marche, la banque doit maintenant
faire la preuve qu’elle peut croître
fortement. Nous avons la possibilité
de doubler de taille et de démontrer
qu’il y a une place, dans le monde ac-
tuel, pour une banque privée détenue
par une famille d’entrepreneurs née à
Francfort au XVIIIe siècle, et pas
seulement pour des géants de la fi-
nance. » Yves Perrier, patron histo-
rique du géant de la gestion d’actifs
Amundi, qui admire l’intelli-
gence et l’énergie de la baronne, a
fait son entrée au conseil d’admi-
nistration, et compte bien appor-
ter son expérience pour améliorer
les performances.
Obsession. Ariane de Rothschild
a beau être née sous un autre pa-
tronyme, elle connaît comme sa
poche la généalogie de la dynastie
et n’a qu’un objectif : léguer ce pa-
trimoine à la génération suivante.
C’est plus qu’un vœu pieux, c’est
une obsession. Des rumeurs cir-
culent sur le marché au sujet d’une
possibilité de cession de l’établis-
sement financier... « Vendre la
banque? Sincèrement, vu les efforts
fournis ces dernières années, il n’en est
pas question! s’exclame-t-elle. Cela
me ferait mal au cœur de ne pas béné-
ficier des fruits de cette transforma-
tion. » L’aînée des filles, Noémie,
travaille dans le secteur des jeux
vidéo au Canada, Alice étudie la
biologie aux États-Unis, Ève les
sciences de l’environnement au
Royaume-Uni et Olivia le com-
merce en Espagne. « Mes quatre filles
ont grandi dans l’univers du business.
L’histoire des Rothschild... On n’abor-
dait pas spécialement le sujet à la mai-
son, mais ce nom vous rattrape
toujours. Alors, j’ai du mal à imagi-
ner qu’il n’y en ait pas une, deux, trois,
voire quatre, qui s’engagent dans les
affaires familiales. » Elle en rêve mais
sait pertinemment que leur forcer
la main ne sert à rien... Ariane de
Rotshchild nous quitte : « J’ai un
rapport au temps archistressé. Tous
les soirs, quand je me couche, je me dis
que je n’ai pas fait assez de choses dans
la journée. » Puis elle tourne et re-
tourne ses pensées, seule, toute
seule, dans son château de Pregny §
Le baron aime s’attarder dans le salon de ses
trophées de chasse. Une des pièces maîtresses :
un ours blanc avec une flèche dans le cœur.
Joyau. Le château de
Pregny, qui domine le
lac Léman, a été légué
en 1957 par testament
par Maurice de
Rothschild, le grand-
père de Benjamin, au
canton de Genève, mais
la famille en a conservé
l’usufruit.
Terrain miné
Ne pas confondre
la banque privée
Edmond de
Rothschild avec la
banque d’affaires
Rothschild & Co,
celle de David et de
son fils Alexandre
(médaillon). Les deux
branches se sont af-
frontées sur le nom
avant un règlement
à l’amiable en 2018.
Le serpent de mer
d’une fusion entre
cousins refait sur-
face depuis le décès
de Benjamin. Le spé-
cialiste de la gestion
de fortune allié à
celui des fusions-
acquisitions
constituerait une
redoutable machine
de guerre... Mais ce
n’est pas à l’ordre du
jour.
ÉCONOMIE
58 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
AMBEKAR/WIKIMEDIA COMMONS – NICOLAS MOLLO
...