Les prisonniers
du « Covid long »
PAR HÉLOÏSE RAMBERT
S
téphane, 48 ans (le prénom a été
changé), est perturbé. Ce matin de
décembre, en salle d’attente, il s’en
veut. « L’infirmière m’a téléphoné pour me
dire de venir avec ma tenue de sport. Évi-
demment, je l’ai oubliée », répète-t-il, sou-
dainement anxieux. Cela arrive à tout
le monde, serait-on tenté de le rassurer.
« Non, c’est ma vie depuis que j’ai eu le Covid :
j’oublie tout! », soupire-t-il, dépité. Sté-
phane tenait absolument à se rendre à
la consultation consacrée au Covid long
mise en place une demi-journée par
semaine au centre hospitalier de Valen-
ciennes, dans le nord de la France. Parmi
les problèmes qui lui sont « tous tombés
dessus » avec le virus, un mine particu-
lièrement ce sapeur-pompier profes-
sionnel : dans son assiette, les aliments
ont perdu leur saveur et il ne sent plus
aucune odeur. « Cela me pèse terriblement.
Et, dans mon métier, l’odorat est un outil de
travail, notamment pour détecter les odeurs
de gaz. Désormais, je dois toujours travailler
avec un collègue qui est, littéralement, mon
nez », explique-t-il, son dossier médical
à la main. Depuis son épisode de Covid
en novembre 2020, c’est toute sa vie qui
est « complètement chamboulée ». Outre
des « pertes de mémoire constantes », le
quadragénaire doit aussi endurer des
démangeaisons sur tout le corps, une
sensation de froid récurrente dans les
mains et les pieds, un essoufflement au
moindre effort, une fatigue omnipré-
Séquelles. Fatigue, douleurs, troubles neurologiques, cutanés...
Certains patients infectés voient divers symptômes persister. Le centre
hospitalier de Valenciennes leur a ouvert une consultation spécifique.
sente... « Si je ne suis pas en intervention,
je me couche entre midi et 14 heures. Impen-
sable avant », témoigne cet homme dy-
namique, au physique athlétique, dont
on ne soupçonnerait pas les tourments.
Les autres patients venus chercher de
l’aide ce matin-là, assis silencieusement
en salle d’attente, affichent une fatigue
beaucoup plus visible que la sienne.
Certains ont le souffle si court qu’ils ont
du mal à parler. Si Stéphane, à la tête
d’une équipe de 17 personnes, continue
d’exercer son métier, qu’il adore, il a dû
mettre en place des stratégies pour ne
pas mettre en péril sa vie ou celle de ses
hommes. « Je n’interviens plus dans les
feux. Pour travailler dans un air vicié, on
porte un appareil de protection avec une
bouteille à air comprimé dans le dos, un ARI
[appareil respiratoire isolant, NDLR].
J’ai peur de ne plus y arriver. J’ai peur que
ça ne mette fin à ma carrière. »
Des récits de vies mises sens dessus
dessous par des symptômes post-Covid
qui n’en finissent plus, le Dr Benjamin
Dervaux et ses collègues du CH de Va-
lenciennes en recueillent plusieurs par
semaine dans cette consultation. La plu-
part des malades du Covid guérissent et
reviennent à une vie normale en une
quinzaine de jours, mais, pour d’autres,
c’est une autre affaire : ils conservent
des signes cliniques pendant des se-
maines, voire des mois. Certains ont
gardé des séquelles d’une forme grave
de la maladie, comme une fibrose pul-
monaire. Leurs symptômes, liés à des
lésions, sont facilement explicables par
les médecins. La pandémie de Covid- 19
avançant, est apparue une autre popu-
lation de malades : celle touchée par ce
qu’on appelle désormais le Covid long.
Un terme d’abord adopté par les patients
eux-mêmes, avant que le corps médical
ne s’en saisisse et qu’il soit reconnu par
l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) en avril 2021. Il recouvre une
myriade de symptômes : une très grande
fatigue que ne soulagent ni le repos ni
le sommeil, des troubles neurologiques
(maux de tête, sensations « étranges »),
cardio-thoraciques (douleurs et oppres-
sions thoraciques, cœur qui s’emballe,
essoufflement, toux) et de l’odorat et
du goût. Les douleurs, les troubles di-
gestifs et cutanés sont également fré-
quents. Sans oublier les sensations de
diminution des capacités attention-
nelles, le fameux « brouillard cérébral ».
Aux souffrances des patients peut
s’ajouter celle de ne pas être pris au
sérieux par le corps médical, parfois
prompt à attribuer une origine psycho-
logique à tous leurs problèmes.
« J’ai peur que cela
ne mette fin à ma
carrière. » Stéphane,
48 ans, sapeur pompier
professionnel
60 | 6 janvier 2022 | Le Point 2578
SCIENCES
FRANCK CRUSIAUX/RÉA POUR « LE POINT » (
x3)
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