nir ses larmes. Devant Coline Schuster,
la psychologue, ce père de famille qui
pense « devoir être fort », peu habitué à
se confier, craque. Les mots s’étranglent
dans sa gorge, puis jaillissent. Il évoque,
pêle-mêle, l’angoisse de se sentir phy-
siquement et intellectuellement « dimi-
nué », la peur d’être « un boulet pour son
équipe », sa propension nouvelle à s’éner-
ver au travail, à la maison... À l’issue de
la séance ponctuée d’exercices cognitifs
et de mémorisation, la psychologue le
rassure : ses facultés intellectuelles sont
normales. « Vos scores d’anxiété et de dé-
pression sont assez élevés. La maladie a un
vrai impact sur votre qualité de vie, indique-
t-elle d’une voix douce au pompier, déjà
rattrapé par l’émotion. Le Covid vous a
laissé des traces physiques, c’est normal que
ce soit difficile. » Pour prendre en charge
des « symptômes dépressifs qui s’installent »,
elle l’encourage à se rapprocher du centre
médico-psychologique le plus proche
de son domicile. Conseil réitéré par le
Dr Dervaux, qui le reçoit dans la foulée.
Côté symptômes respiratoires, Stéphane
a déjà réalisé de nombreux examens,
prescrits par un cardiologue et un
pneumologue. Aucun n’a mis en évi-
dence de dysfonctionnement. Le méde-
cin rééducateur lui propose alors de
passer une épreuve d’effort permettant
d’analyser comment son organisme
utilise l’oxygène. « En cas d’anomalie,
on pourra vous proposer un programme
de réhabilitation respiratoire, fondé sur le
réentraînement à l’effort », assure-t-il.
Si les médecins ont bien peu de solu-
tions face à la disparition de l’odorat, ils
sont mieux armés pour aider les patients
sur le plan respiratoire. Direction l’hô-
pital du Quesnoy, qui travaille en colla-
boration avec l’hôpital de Valenciennes,
à la rencontre de Typhaine. Cette infir-
mière en réanimation de 42 ans remonte
la pente après trois semaines de réhabi-
litation respiratoire. Au programme,
tous les jours : vélo, balnéothérapie, ren-
forcement musculaire, jeux sur Xbox,
ergothérapie... Le tout dans une am-
biance plus proche du club de sport
décontracté que du service hospitalier.
Typhaine avait résisté aux deux pre-
mières vagues de Covid, mais la troi-
sième a eu raison d’elle. Dix jours après
sa contamination, elle déclare une pleu-
résie, puis une embolie pulmonaire et
un infarctus pulmonaire. Et se retrouve
à la place des patients dont elle prenait
soin chaque jour, en soins intensifs.
« J’avais l’impression de suffoquer, avec de
grosses douleurs dans le dos et dans l’épaule. »
Depuis mars 2021, elle souffre de maux
de tête, de fatigue, de douleurs muscu-
laires et elle n’a récupéré ni son odorat
ni son souffle. « Je suis incapable de faire
des choses simples du quotidien, comme por-
ter les courses ou laver les carreaux. J’ai trois
enfants et je n’ai pas toujours la force de jouer
avec eux. En un an, j’ai l’impression d’en
avoir pris vingt », raconte l’infirmière
en descendant d’un vélo d’appartement
d’une des salles de sport du service.
Patience et persévérance. Pour
prendre en charge ces formes respira-
toires de Covid long, médecins et soi-
gnants ont dû faire preuve de prag-
matisme. « On ne sait pas exactement ce
qui se passe pour ces patients, admet le Dr
Thomas Gey, pneumologue à la clinique
Teissier (Groupe AHNAC) et au CH Le
Quesnoy. C’est comme si les centres de com-
mande respiratoire dans le cerveau avaient
été déréglés par le SARS-CoV-2, entraînant
fréquemment des phénomènes d’hyperven-
tilation au moindre effort. Mais prendre en
charge les syndromes d’hyperventilation,
on sait faire. On obtient de bons résultats. »
Pour les malades, il s’agit ni plus ni moins
de réapprendre à faire quelque chose
qu’on pense inné : respirer. En plus de
l’activité physique, la jeune femme a in-
tégré à sa routine quotidienne des exer-
cices de respiration prescrits par la
kinésithérapeute du centre. Après trois
semaines de rééducation, elle se sent
déjà mieux et réapprivoise son souffle.
« Maintenant, quand je dois monter un
escalier, je commence par réfléchir à mes
inspirations et expirations pour être sûre
d’arriver en haut. » Malgré un tempéra-
ment combatif, Typhaine le sait : se re-
mettre sur pied sera long et il ne faudra
pas relâcher ses efforts une fois le pro-
gramme de quatre semaines terminé.
« J’ai commandé un vélo d’appartement au
Père Noël », plaisante-t-elle. La patience,
c’est bien l’effort supplémentaire de-
mandé à Typhaine et aux autres. « On
parle de mois pour récupérer », indique le
Dr Dervaux. Une bien longue peine pour
ces prisonniers du Covid, qui n’espèrent
qu’une chose : ne pas prendre perpète §
« C’est comme
si les centres
de commande respi-
ratoire du cerveau
étaient déréglés. »
Dr Thomas Gey
Rééducation. Partenaire du CH de Valenciennes, l’hôpital Le Quesnoy propose des ateliers dans le cadre de
la réhabilitation respiratoire des patients atteints de Covid long, comme ces séances de gymnastique douce.
Le Point 2578 | 6 janvier 2022 | 63
FRANCK CRUSIAUX/RÉA POUR « LE POINT »