HISTOIRE
17 juillet 1942, qui, selon lui, avait cherché à proté
ger les Juifs français, soit déclaré Juste, en oubliant, rappelle
Joly, que 3 000 enfants raflés étaient français.
Sur cet épisode, Zemmour pratique la même omission
en répétant, telle la voix de son maître, que Vichy a livré
les Juifs étrangers pour protéger les Juifs français, ce qui lui
vaut un procès aujourd’hui en appel. L’historien décortique
les déclarations du polémiste, qui jure avoir bûché son
sujet. Ainsi, cette prétendue « première rafle du Vél’ d’Hiv »
en mai 1940, orchestrée par le gouvernement de la IIIe Ré
publique, « que tout le monde ignore ou veut ignorer ». Adepte
du complotisme, Zemmour ignore, ou veut ignorer, les tra
vaux des historiens sur cette action. Il veut aussi ignorer
qu’il s’agissait, en situation de guerre, d’interner des ressor
tissants allemands, supposés ennemis, pour les regrouper
comme l’ont fait d’autres pays, et
non pour les déporter. Rien à voir
avec le Vél’ d’Hiv. Plus c’est énorme,
plus cela passe. Pour exonérer Vichy,
Zemmour est prêt à tout.
Obstination. L’autre apport du
livre de Joly est d’expliquer pourquoi
Zemmour, dont les parents, des Juifs
algériens, perdirent leur nationalité
française avec l’abrogation du décret
Crémieux par Vichy en octobre 1940,
s’obstine pourtant, depuis Le Suicide
français (Albin Michel, 2014), à réha
biliter ce régime. « Le complexe à l’égard
de Vichy est un handicap pour la droite,
qui l’empêche de lutter hardiment contre
les étrangers et “l’islamisation” du pays...
D’où l’importance pour Zemmour de disculper Vichy afin de
“guérir” la droite française de son complexe historique débili
tant. » Joly rappelle que c’est l’opposition entre Résistance
et Collaboration ainsi que l’opposition entre de Gaulle et
Pétain qui ont, depuis 1945, empêché l’union des droites,
classique et extrême. Zemmour aspire à cette union, mais
doit faire sauter ce verrou. D’où ses parallèles établis entre
Pétain et de Gaulle. Mais l’objectif est double : « Cette réha
bilitation vise à rendre acceptables les mesures jusqu’alors impen
sables à cause du souvenir des crimes de la collaboration. » Vichy,
sa persécution, ce fut la raison d’État, les Français étaient
protégés, on peut donc renouveler l’opération avec les mu
sulmans et les Arabes, qui ont remplacé le Juif chez cet « entre
preneur identitaire ». Éric Zemmour n’ignore sans doute pas
la phrase d’Edmund Burke : « Ceux qui ne connaissent pas l’His
toire sont condamnés à la répéter. » Phrase qu’on refor mulera
ainsi : « Ceux qui veulent répéter l’Histoire s’acharnent à
vouloir la déformer. »
Dans Une énigme française, Semelin décrit son long tra
vail effectué sur le sauvetage de 75 % des Juifs français,
que Simone Veil l’avait incité à explorer en 2008. « En af
firmant que Vichy a voulu protéger les Juifs français, Zemmour
s’est emparé d’un sujet, la survie des Juifs en France, laissé en
friche par les historiens, notamment Robert Paxton, qui n’a tra
vaillé que sur la persécution. » Sur une prétendue volonté de
Vichy de sauver les Juifs français, Semelin oppose divers
arguments : « Aucune trace dans les archives. Les Juifs étran
gers n’ont jamais été une monnaie d’échange. Si les Juifs étran
gers ont d’abord été arrêtés et déportés, c’est d’abord qu’ils étaient
plus vulnérables que les Juifs nationaux,
ce fut le cas partout en Europe, ensuite,
Vichy était un régime xénophobe. »
L’historien rappelle la législation
du régime, qui contredit Zemmour.
En juillet 1940, le décret de dénatu
ralisation des étrangers devenus
français depuis 1927 : 6 000 Juifs fran
çais deviennent inter nables, sur les
15 000 personnes rattrapées par ce
décret. Il y eut aussi les 100 000 Juifs
français d’Algérie qui perdent leur
nationalité en octobre, ainsi que le
statut des Juifs d’octobre 1940 dans
lequel Pétain veille à exclure les Juifs
français de la vie sociale. De même,
Éric Zemmour se tait sur le Commis
sariat général aux questions juives,
mis en place en 1941 par Vichy pour aryaniser les biens
juifs. « Là où en Europe un État a subsisté – et ce fut le cas de
Vichy, qui en avait les trois attributs : souveraineté, citoyenneté,
territoire –, la proportion de Juifs nationaux déportés a été plus
faible. Mais au lieu de les protéger, comme ce fut le cas du Dane
mark, Vichy les a fragilisés. » Vichy aurait pu dire non aussi,
car les Allemands, comme l’a démontré Serge Klarsfeld,
n’avaient pas les moyens logistiques en 1942 d’obliger ce
gouvernement à arrêter les Juifs.
Zemmour s’assoit sur les 24 500 Juifs français (sur les
75 000 Juifs au total) déportés. Parmi eux, les 3 000 enfants
du Vél’ d’Hiv, mais aussi ceux qui seront arrêtés en 1943 et
en 1944 par les Allemands, secondés par la police française
et la milice. Vichy n’empêche en rien ces opérations. « Ce n’est
« Ce n’est pas Vichy qui a sauvé les Juifs français,
c’est d’abord leur intégration dans la société française
qui les rendait moins arrêtables. » Jacques Semelin
« La Falsification
de l’Histoire »,
de Laurent Joly
(Grasset, 140 p., 12 €).
« Une énigme
française », de Jacques
Semelin, avec Laurent
Larcher (Albin Michel,
220 p., 19 €). En librairie
le 12 janvier.
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