Espèces à découvrir 137
Découvrons les richesses de la mer
Des poissons qui font des nids
Pierre Lejeune, directeur de la station marine de Stareso (Calvi, Corse)
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Les labres sont des poissons très
communs sur les fonds littoraux
du monde entier, particulièrement
sous les tropiques. Quelques espèces, une
vingtaine, s’observent en Méditerranée. Parmi ces
espèces, certains sont des poissons nidificateurs.
L’exemple le plus remarquable est le crénilabre
ocellé (Symphodus ocellatus). La cohorte de
juvéniles de ce poisson commun est composée
à égalité de mâles et de femelles. Les jeunes
individus des deux sexes ont une livrée très proche
et peu colorée qui reste la livrée caractéristique des
femelles. Les mâles les plus âgés, au moment de la
période annuelle de reproduction (mai à juillet),
arborent une livrée très colorée caractérisée par
une tache rouge sur les deux opercules (elle
ressemble à un œil : l’ocelle).
Au début du mois de mai, on peut observer
facilement les grands mâles qui établissent des
territoires en se combattant. Tel un oiseau,
chaque mâle commence alors à transporter dans
sa bouche, au centre de son territoire, des touffes
d’algues. Il entrelace ces algues pour former une
coupe. La construction de la base du nid (environ
10 cm de diamètre) est réalisée en 3 jours. A la
fin de cette première phase, le mâle va attirer
les femelles en effectuant des parades sexuelles
constituées de nages très rapides et frétillantes. Les
femelles sont indépendantes mais se déplacent en
petits groupes. Lorsqu’elles sont séduites par les
parades sexuelles du nidificateur, elles entrent une
à une dans le nid et y déposent chacune un petit
nombre d’œufs qui sont immédiatement fécondés,
arrosés de laitance lors d’un passage rapide du
mâle. Le mâle, lorsque l’activité sexuelle est au
maximum, peut effectuer plus de 100 fécondations
à l’heure et « gérer » ainsi un grand nombre d’œufs
provenant de nombreuses femelles. Cette phase
d’activité sexuelle dure 2 à 3 jours.
Les jeunes mâles sont sexuellement mâtures dès
la première année. Comme chez les girelles, ils
profitent de leur ressemblance avec les femelles
pour approcher le nid d’un mâle adulte et pour
l’utiliser. Nid, qui est le seul lieu de réjouissances
et d’initiations sexuelles. Ils s’intercalent entre
des femelles pour féconder leurs œufs sur le
nid du mâle adulte pourtant seul seigneur de
son territoire. Parfois 5 à 6 de ces petits mâles
opportunistes sont à l’affût pour bondir au milieu
du harem de femelles.
© Jean-Michel MILLE © Alexandre MEINESz
Symphodus ocellatus mâle nidificateur