Méditerranée Mer Vivante 20e édition

(jfmeinesz) #1

88 Méditerranée - Mer vivante


Gardons la mer vivante


Le phoque moine Ba Be Bo Wa F Monachus monachus


Oui, il y a des phoques en Méditerranée mais ils
sont menacés de disparition. En France, c’est en
1970 que le dernier phoque moine sédentaire fut
aperçu dans son dernier bastion ; la presqu’île
de Scandola entre Calvi et Porto (Corse).
En 1972, tout près de Scandola, à Galéria, j’ai
rencontré Nino le Sarde. Ce pêcheur m’a expliqué
comment il tuait les phoques au fusil. Ces bêtes
étaient pour lui une calamité : elles attendaient
que ses filets soient pleins pour se servir dans
ce garde-manger et, peu délicats, les phoques
détruisaient le filet. Nino était exaspéré de
remonter ses filets vides, troués ou déchiquetés.
Ainsi, il a tué les derniers phoques de Scandola.
Partout le massacre a été perpétré. Le phoque
vivait autour de la Méditerranée et affectionnait les
côtes les plus sauvages, les grottes littorales et les
plages de sable où les femelles mettaient bas les
bébés phoques.


C’est sans aucun doute l’apparition des moteurs
qui a porté son coup fatal aux phoques. Un moteur
sur une barque de pêche traditionnelle et c’est
l’autonomie de navigation assurée : plus d’aléas
du vent sur les voiles, plus de pénibles parcours
à la force des bras sur les rames qui limitaient le
rayon d’action des pêcheurs de Méditerranée au
voisinage de leur port. Les pêcheurs motorisés
ont d’un seul coup découvert des eldorados de
la pêche : des caps et des baies jamais exploités
par leurs ancêtres. Dans ces zones sauvages, ils ont
rencontré les phoques. Au début, ils les ont tolérés,
mais rapidement ils ont constaté qu’ils étaient
leurs concurrents. Les phoques se nourrissent de
poissons littoraux : les mêmes que les pêcheurs
traquent. Ce fut dans toute la Méditerranée la
guerre contre les phoques. Ils furent exterminés
de Corse dans les années 60, de Sardaigne dans les


années 70, de Tunisie, d’Algérie et d’Espagne dans
les années 80.

Dans leurs derniers refuges de la Méditerranée
Occidentale, on y rencontre parfois un individu
solitaire venu on ne sait d’où ( p. 72-73).
Aujourd’hui il ne survit qu’en Méditerranée
orientale devant le littoral des îles grecques et
turques (entre cent et cent cinquante individus),
et dans l’Atlantique proche de la Méditerranée : à
Madère et au fin fond du Maroc, sur le territoire
du Sahara Occidental (entre cent et cent cinquante
individus récemment très affectés par une maladie
virale).

En Grèce les nouvelles sont parfois déroutantes,
les pêcheurs tuent les phoques à la dynamite :
sept phoques étripés dans une grotte à Nera en
1979, vingt à Chalki ( près de Rhodes) en 1985.
Les dernières colonies se sont réfugiées là où les
pêcheurs n’osent pas s’aventurer : autour des
îlots désertiques convoités à la fois par les Grecs
et les Turcs. Les canonniers des marines turques
et grecques se surveillent et jouent à cache-cache
autour de ces îles, ils protègent sans le savoir les

Phoque moine

© Jean-Michel BOMPAR

Alexandre Meinesz, professeur émérite à Université Côte d’Azur (CNRS UMR 7035 « ECOSEAS »)
[email protected]

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