J'irai manger des khorovadz

De l’élégance du pardon

s’illuminer. Une échappatoire pour elle. Le bruit parvient aux oreilles de
leurs jeunes voisines qui en curieuses viennent entrebâiller la porte. La
grand-mère pénètre également dans la pièce et s’assied dans le canapé à
la place du garçon. Pas pour longtemps : le garçon la fait lever et
l’entraîne également dans ce salon transformé en « dancefloor »! Il ne
reste plus que moi dernier résistant rebelle jusqu’au bout. La mère vient
me chercher et me persuade de lui emboîter le pas dans cette danse
effrénée.
Les filles se déhanchent sans complexe et m’invitent dans leurs danses
survoltées. Je ne veux pas les décevoir et du coup je me retrouve au
milieu de la famille musique traditionnelle à fond en essayant de suivre
le rythme dans ma tenue de cycliste. Ma femme serait abasourdie de
découvrir ce spectacle! Me connaissant elle dirait sûrement que je suis
en train d’accomplir là un véritable exploit qui dépasse de loin les
milliers de kilomètres que je viens de parcourir...
Immersion totale dans l’intimité d’une famille arménienne. Moments
magiques! Le grand-père est resté immobile depuis mon arrivée comme
figé dans son fauteuil sur le balcon sans un mot. Son regard vide fixe
l’infini l’air absent perdu dans ses souvenirs. Il a eu droit à sa part du
repas et même à son petit verre de vodka. C’est peut-être ce qui le
maintient en vie faute de mieux. Lia ne me lâche pas. Depuis le premier
instant je lui ai trouvé des yeux ternes tristes et éteints trahissant une
envie d’ailleurs. Elle aussi rêve probablement de partir. Je ne sais pas ce
qu’elle a vécu mais son histoire ne doit pas évoquer des moments
agréables. Difficile de l’aider sans s’exprimer dans sa langue. Ses
silences parlent plus que ses paroles. Sur mon carnet elle inscrit ses
coordonnées d’un geste appliqué espérant que je reprenne contact. Elle
essuie furtivement les larmes naissant dans ses yeux puis ce sont les
adieux. Avant de partir elle me donne un sac de pommes s’agrippe à
mon bras et tient à nous prendre en photo devant le panneau du jumelage
avec la ville de Décines. Une nouvelle rencontre déstabilisante.

Sur la carte je note le col de Pouchkine qui culmine à 2 037 mètres. Je
m’étais préparé à l’affronter car 90 % du territoire de ce pays se situe