J'irai manger des khorovadz
Ma grand-mère écrivait dans son journal : « Nous devons aussi quitter
ce pays où nous aurions tant voulu vivre et mourir (...) Mon cÅur est
triste en pensant à la dislocation de toute la famille. Je souffre dâêtre
ainsi séparée de mes bien-aimés. »
Il fallait tout recommencer repartir à zéro chacun dans sa nouvelle
contrée comme pour plus dâun million de Pieds-Noirs qui nâétaient pas
toujours les bienvenus. Ã Marseille on pouvait lire sur des banderoles :
« Pieds-Noirs retournez chez vous » ou « les Pieds-Noirs à la mer ».
Sans parler des dockers qui éventraient ou pillaient parfois les containers
de déménagement qui arrivaient^103 de lâautre côté de la Méditerranée.
Je portais mon histoire maintenant lâHistoire me porte et me
transporte.
Comme les Arméniens les Pieds-Noirs ont manifesté une résilience
incroyable. La vie a pris le pas sur la défaite sur les blessures... La
volonté de rebondir a dépassé lâenvie de capituler de sâabaisser et de
donner raison aux détracteurs.
à ceux qui voulaient privilégier la violence Michael le héros du film
La Promesse^104 répond ceci : « Survivre sera notre manière de nous
venger ».
Pardonner certainement. Oublier si câest possible. Lâamour doit être
plus fort que la haine.
Aujourdâhui je dois me rendre directement à Idjevan où je suis
attendu la ville jumelée avec Valence depuis 1996. Ils ont accepté de
mâaccueillir un jour plus tôt que la date initialement prévue. Jâai de
lâavance sur le programme mon vélo a roulé trop vite... Je prends le
départ sous un soleil éclatant sans un nuage en abordant une côte qui
reste courtoise sur 10 km. Ã perte de vue un panorama somptueux.
Jâaime beaucoup ces sommets dénudés couverts de tons verts et bruns
contrastant avec la pureté du bleu explosif du ciel. Durant la montée
(^103) Alain Vincenot - Pieds-Noirs les bernés de lâhistoire - Ãditions lâArchipel 2014.
(^104) Long-métrage hollywoodien sur le Génocide arménien sorti en 2017.