J'irai manger des khorovadz

Lâcher-prise

différent comme si le passé me rattrapait comme si ce souvenir d’enfant
s’incarnait dans mon étape du jour. Je suis à vélo (cette fois-ci avec un
modèle à ma taille) pour un rendez-vous avec le journal « l’Alsace »
celui que j’avais lu cinquante ans auparavant. Ce matin-là 26 juillet sur
la route vers Mulhouse je pressens que cette parole dans la tête du gamin
que j’étais va prendre tout son sens avec encore plus de force et de
réalisme que je n’aurais jamais pu l’imaginer dans mes rêves.

Perdu dans mes pensées cheminant dans les méandres de ma
mémoire je ne peux retenir des larmes suscitées par l’émotion de cette
tranche de vie ressurgie. Je vois alors à peine au bout d’une ligne droite
un cycliste me faire des grands signes. Je freine in extremis... il me serre
la main.

• Je suis le photographe du journal « l’Alsace ».
  Mais bien sûr cela fait cinquante ans que j’attends ce moment sans le
  savoir. Cet homme est le témoin inconscient de mon rendez-vous avec
  mon histoire. Nous allons rouler ensemble une quinzaine de kilomètres
  durant lesquels il va s’arrêter régulièrement afin d’immortaliser cette
  rencontre. Il peste contre son chef qui lui a donné dans la précipitation
  un petit modèle compact privilégiant la légèreté. Il regrette son super
  reflex pro. En arrivant à Mulhouse la batterie est vide! Il viendra me
  retrouver plus tard avec son « vrai » appareil afin de terminer son
  reportage dans de meilleures conditions.
  La journaliste me rejoint devant la gare. Lorsque j’avais appelé la
  veille j’avais joint une secrétaire au téléphone que j’avais entendue crier
  à la ronde dans le bureau de la Rédaction : « Quelqu’un est au courant
  pour un cycliste à vélo couché? » Et j’avais perçu une voix affirmée
  lancer au loin « Je prends je prends! ». Pourquoi tant d’empressement?
  Eh bien parce que cette journaliste s’avérait être responsable tout l’été
  d’une rubrique hebdomadaire en dos de couverture sur les voyageurs à
  vélo! Je ne pouvais mieux tomber! Enchantée elle commence à me
  poser des questions et propose de commander un plat. Je lui raconte
  toute ma vie à Mulhouse avec les détails de mon projet. Nous resterons
  plus de deux heures ensemble.