J'irai manger des khorovadz

J'irai manger des khorovadz

Même si le ciel s’est repenti la tente n’aura pas le temps de sécher
avant d’être rangée. Aujourd’hui m’interrogeant sur les chaussées
désertes je réalise que nous sommes le jour du Seigneur. Relâche pour
tous.
Après un passage à huit cents mètres d’altitude le parcours
m’embarque dans une descente vélocipédiquement intense redoutable.
J’enfile la route les arbres reprofilent le paysage le guidon se faufile le
vélo file les cheveux s’effilent la forêt se défile place à la ville qui se
profile! À droite à gauche sourcils ébouriffés je prends de l’angle pour
être au plus près du sol et affiner la trajectoire. Concentration extrême
vigilance redoublée. Le vent achève de me débarrasser de ce qui
m’encombrait des impuretés du chemin de mes doutes de mes
certitudes inutiles... La renaissance est peut-être au bout de la descente
au bout du voyage. Un bruit curieux autant qu’inquiétant vient cependant
troubler mon euphorie. Chchchrrrr... Que se passe-t-il? Quelque chose
s’est-il décroché? Suis-je en train de perdre une pièce? Je comprends
tout de suite l’origine de ce trop-plein d’affection rugueuse. La gîte est
trop forte. Le bas de mes sacoches allemandes câline le goudron –
allemand – sans tendresse. En situation normale leur position sous le
siège est un avantage car le poids est mieux réparti et le centre de gravité
abaissé. Vite il faut rattraper l’inclinaison sans perdre l’équilibre. Grisé
par la vitesse mon regard reste rivé sur le chemin qui me porte
redoutant l’écart qui m’emporterait. Ça vibre les maillons de la chaîne
s’entrechoquent de peur le poids m’entraîne la gomme des patins
chauffe de plaisir en enserrant les jantes des roues dans une étreinte
finale avant que je constate le record de vélocité du voyage : 73 km/h!
C’est pour faire face à une telle situation que j’avais envisagé des freins
à disque au moins sur la roue avant de vingt pouces plus petite. Mais le
concepteur du vélo ne m’a pas encouragé en ce sens. Il avait raison. Les
patins sont quasiment aussi efficaces et beaucoup plus commodes s’il
faut intervenir en cas d’incident et le risque de surchauffe s’avère limité.
Je viens d’en faire l’expérience.