Le complexe de la castanea
dâabord les péniches énormes. Leurs gros moteurs diesel toussotent
hoquettent et grondent en faisant avancer laborieusement leurs lourdes
charges ils extirpent des profondeurs de leurs entrailles encrassées de
grosses volutes de fumée noire générant des vagues qui viennent
sâévanouir au bord de cette petite plage. Passe encore.
Tchang klang tchang klang... Mes oreilles perçoivent un bruit de
ferraille infernal lugubre et rythmé provenant de la rive opposée. Je
comprends que ce sont des trains qui circulent. On croirait que les rails
vont se disloquer. On dirait que ces convois roulent volontairement Ã
petite vitesse allongeant le supplice. Je découvrirai que la gare se trouve
juste en amont. Je ne lâavais pas remarquée alors que jâétais occupé Ã
installer mon campement et à contempler le bateau de croisière qui
descendait le fleuve. Afin de me rassurer je me convaincs que le trafic
ferroviaire va sâinterrompre pendant la nuit laissant les riverains dormir
en toute tranquillité et moi aussi par la même occasion. Mais non! Pour
la première fois je me vois contraint dâutiliser mes bouchons dâoreille et
ce ne sera pas du luxe. à cet endroit le Danube doit sâétendre sur au
moins 800 mètres de large et le bruit se diffuse encore plus facilement
sur cette surface dâeau complètement étale. Adieu le campement de rêve
sur la Riviera...
Dix-neuvième jour.
Suivant mon état de forme jâessaie chaque soir ou matin de consigner
par écrit les chiffres et les faits marquants du jour aux fins de pallier ma
mémoire parfois défaillante et de mâaider à garder une trace des
événements le long de la route sans idée préalable dâen rédiger un récit.
Je nâimaginais pas que cette odyssée allait faciliter la résurgence de
souvenirs bien plus anciens cachés par le présent immédiat et par les
couches accumulées dâannées de marche en avant. Ils nâétaient pas
définitivement enfouis plutôt masqués et inconsciemment protégés. Ce
périple va devenir un révélateur qui contribue à creuser au travers de ces
strates pour retrouver dans lâocéan de ma mémoire ces images ces
visages qui ont façonné ma vie un peu comme des perles remontées du
fond pour les laisser briller au grand jour.