Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1

10 |france JEUDI 14 NOVEMBRE 2019


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Des candidats de plus en plus verts


A l’approche des municipales et sous la pression de l’opinion, tous les partis s’emparent de la question écologique


L


e prochain scrutin se­
ra­t­il teinté de vert? A
quatre mois des élec­
tions municipales, ra­
res sont les candidats
qui ne s’arment pas de
propositions écologiques, ne se­
rait­ce qu’à dose homéopathique,
pour capter un électorat devenu
hautement sensible à l’urgence
environnementale.
La protection de la planète s’im­
pose au premier rang des inquié­
tudes des Français comme le
montre l’enquête « Fractures fran­
çaises » de l’institut Ipsos Sopra­
Steria pour Le Monde, la Fonda­
tion Jean­Jaurès et l’Institut Mon­
taigne. Plus de la moitié des son­
dés (52 %) en font la première des
priorités. Entre détresse sociale et
environnementale, fin du mois et
fin du monde, les sondés hésitent,
ou peut­être ne veulent­ils pas
choisir : 51 % souhaitent des mesu­
res environnementales rapides
même si cela entraîne des sacrifi­
ces financiers, 49 % veulent
d’abord des mesures sociales. Des
conseils municipaux aux états­
majors des partis, de la gauche à
l’extrême droite en passant par La
République en marche (LRM), les
projets politiques se verdissent.
Europe Ecologie­Les Verts
(EELV), forte de sa percée de 13,5 %
aux européennes, se dit « ravie »
de voir tous les partis aller sur son
terrain et veut y voir une victoire
culturelle, prélude à la victoire po­
litique. « On a réussi à remettre
l’écologie politique au cœur du dé­
bat public et EELV en position de
leadership. La phase de résurrec­
tion est terminée. C’est désormais
le temps des conquêtes », note Sté­
phane Pocrain, compagnon de
route d’EELV. Pour David Cor­
mand, le secrétaire national qui
passera la main fin novembre lors
du congrès de sa formation, EELV
revient de loin. « On recalcifie un
électorat où l’on retrouve ceux qui
sont désespérés de ce qu’est devenu
la gauche mais également ceux qui
ont été déçus par Macron, dit­il. Le
nouveau monde, c’est nous. »
Dans les grandes villes où les
Verts ont fait de bons scores, l’en­
jeu écologique rythme presque
tous les discours. Poussées par les
associations écologistes, les décla­
rations « d’état d’urgence climati­
que » se multiplient au­delà des li­
gnes partisanes : les conseils mu­
nicipaux à majorité socialiste de
Paris, Lille mais aussi Clermont­
Ferrand ont adopté de telles mo­
tions, comme les villes Les Répu­

blicains (LR) d’Aix­les­Bains (Sa­
voie) ou Mulhouse. A Paris, rares
sont les candidats à ne pas pro­
noncer le mot d’écologie face à la
maire Anne Hidalgo, qui a fait de
la lutte contre la pollution son
marqueur politique. Cédric Vil­
lani, candidat dissident LRM, se
rêve en « premier maire véritable­
ment écologiste de Paris », son rival
Benjamin Griveaux veut créer des
« rues­jardins » et améliorer la
« santé environnementale » tandis
qu’à droite, la candidate LR Ra­
chida Dati tempère en prévenant
qu’elle ne sera pas « antivoitures ».

« Ecologie concrète »
Face à EELV, les partis s’activent
pour disputer aux historiques la
primeur du vote vert. Côté macro­
niste, « c’est un sujet que l’on ne
prend pas à la légère. EELV peut
prendre plusieurs villes et capte
quasiment toutes les voix, là où il
n’y a pas de maire sortant de gau­
che », observe un stratège. Pour re­
cevoir l’investiture de la majorité,
tout candidat doit adhérer à une
charte de dix engagements qui
précise notamment que « l’élu

s’engage à faire de la transition
écologique une priorité ».
Pour convaincre que sa forma­
tion a pris la mesure de l’enjeu,
son patron, Stanislas Guerini, en­
tend se démarquer de Yannick Ja­
dot. « Contrairement à EELV, nous
ne voulons pas nous contenter
d’une écologie de l’incantation
mais mettre en œuvre une écologie
concrète (...) sans renier sur les liber­
tés individuelles », dit­il. Ses candi­
dats peuvent s’appuyer sur quel­
ques décisions symboliques du
chef de l’Etat comme l’abandon ré­
cent du projet EuropaCity mais ils
pâtissent aussi de sa « politique des
petits pas », dénoncée par Nicolas
Hulot lors de son départ du gou­
vernement en août 2018.
A gauche, le local semble inspi­
rer le national : trois maires sor­
tantes pionnières du tournant
vert du projet social­démocrate
sont brandies en exemple par le
PS : Anne Hidalgo (Paris), Johanna
Rolland (Nantes), Nathalie Appéré
(Rennes). « Leur bilan est très posi­
tif pour répondre à l’urgence envi­
ronnementale », ne cesse de répé­
ter le premier secrétaire, Olivier

Faure. Pour répondre aux attentes
d’électeurs de gauche devenus
sensibles à l’urgence du climat, les
socialistes prônent un nouveau
modèle de gestion locale, incluant
participation citoyenne et projets
(végétalisation, réduction de la
place de la voiture, restauration de
terres agricoles) parfois inspirés
des Verts, tout en gardant des
marqueurs sociaux telles la gra­
tuité des dix premiers mètres cu­
bes d’eau ou la construction de lo­
gements sociaux. « Il y a une tran­
sition écologique de gauche et po­
pulaire si on la met au service des
inégalités », dit Johanna Rolland.
A droite, les maires sortants,
nombreux, entendent bien jouer
la carte écolo, malgré l’absence de
ligne nationale claire sur le sujet.
Les Républicains (LR), en pleine re­
construction après l’élection de
Christian Jacob, restent en effet di­
visés entre héritiers d’un credo
pronucléaire, productiviste et à
l’occasion viscéralement « anti­
Greta Thunberg » et une nouvelle
garde qui veut éviter les caricatu­
res et croit en la possibilité d’une
écologie « pragmatique », compa­

tible avec l’économie de marché.
Au niveau local, les édiles n’ont
pas attendu pour verdir leur pro­
gramme. « A un moment donné,
Les Républicains devront produire
une réflexion nationale sur l’écolo­
gie », souligne le maire LR de Can­
nes David Lisnard, instigateur
d’une charte environnementale
pour les bateaux de croisière. « On
devrait être le parti du civisme envi­
ronnemental », ajoute l’édile. Le
maire de Nice Christian Estrosi as­
sure pour sa part œuvrer depuis
2008 à un projet de « ville verte
exemplaire de la Méditerranée »
faite de végétalisation et de nou­
velle ligne de tramway, quitte à
s’attirer les foudres de collectifs ci­

toyens qui dénoncent une « écolo­
gie décorative et préélectorale ».
Nul ne délaisse donc le terrain
environnemental, pas même le
Rassemblement national (RN), qui
décline un concept des européen­
nes, le « localisme », à l’échelon
municipal ». Produits locaux dans
les cantines, jardins partagés,
« faire en sorte qu’on puisse vivre et
travailler dans la commune », Ma­
rine Le Pen a explicité en septem­
bre ses propositions. Pour autant,
le projet vert du RN reste avant
tout adossé à une vision identi­
taire et civilisationnelle : « On est
de son quartier avant d’être de sa
ville. » A la préférence nationale,
succède donc la préférence muni­
cipale. Revendiquée par tous, par­
fois comme un axe central source
d’identité politique nationale, par­
fois comme un colifichet électo­
ral, l’écologie sera au cœur des
municipales, en paroles tout du
moins. Pour les actes, rendez­vous
après le second tour du 22 mars.
julie carriat,
alexandre lemarié,
abel mestre, sacha nelken,
lucie soullier et sylvia zappi

POUSSÉES PAR LES 


ASSOCIATIONS ÉCOLOS, LES 


DÉCLARATIONS D’« ÉTAT 


D’URGENCE CLIMATIQUE » 


SE MULTIPLIENT AU­DELÀ 


DES LIGNES PARTISANES


Le maire de Nice,
Christian Estrosi,
lors de l’inauguration
de deux stations
souterraines
du métro niçois,
le 28 juin.
CYRIL DODERGNY/MAXPPP

La friche Saint­Sauveur, enjeu emblématique du scrutin lillois


Les candidats à la mairie attaquent le projet porté par la socialiste Martine Aubry, et dénoncent sa politique d’urbanisation


lille ­ correspondance

L


ille n’a jamais autant été
concernée par les questions
environnementales. A quel­
ques mois des municipales, tous
les candidats déclarés se sont em­
parés du sujet. Symbole de cette
préoccupation : la friche Saint­
Sauveur de 23 hectares, située en
plein cœur de ville. Dans cet es­
pace, l’ancienne gare de marchan­
dises, créée en 1865 et fermée
en 2003, doit être transformée en
nouveau quartier « socialement
mixte et attractif, répondant à une
demande persistante de logements
tout en préservant l’environne­
ment », explique­t­on à la mairie.
Sauf que Lille, cernée par le trafic
routier et fortement touchée par la
pollution aux particules fines et
est à la traîne sur les espaces verts

(14 m² d’espaces verts publics par
habitant contre 48 en moyenne
dans les grandes villes, selon une
enquête de l’Union nationale des
entreprises du paysage). Mais
cette ambition se heurte à la prio­
rité donnée à la construction de lo­
gements et au concept de ville
dense, défendu depuis 2001 par le
maire socialiste.
Martine Aubry aime rappeler
que 16 000 personnes attendent
un logement. Urbaniser cette fri­
che permettrait de bâtir ce qu’elle
nomme « la ville durable ». Sur cet
espace égal à 33 terrains de football
sont prévus 2 400 logements,,
35 000 m² de bureaux, 20 000 m²
de commerces, 20 000 m²^ d’équi­
pements, une piscine olympique
et 80 000 m² de verdure dont un
parc de 3,4 hectares. Un projet
porté par la ville, la Métropole

européenne de Lille, et la société
publique locale Euralille.
Dès les premières concertations
avec les habitants en 2013, l’avenir
de la friche a suscité une levée de
boucliers. Une pétition intitulée
« Sauvons Saint­Sauveur, la ville de
Lille étouffe! », a recueilli plus de
13 000 signatures. Celle­ci dé­
nonce « des millions d’euros en­
gloutis pour bétonner le dernier en­
droit où greffer un poumon vert à
notre belle cité qui suffoque! »
Ce futur grand projet urbain,
c’est « la garantie d’un avenir dura­
ble pour tous, répond l’adjoint lil­
lois délégué à l’urbanisme Stanis­
las Dendievel. Au nom de quoi ceux
qui voudraient habiter à Lille n’y
auraient pas le droit? Le vrai sujet,
c’est que l’on ne veut pas d’urbani­
sation périphérique, ça générerait
des flux de bagnoles ».

En face, le candidat du parti Les
Républicains (LR), Marc­Philippe
Daubresse, président de la com­
mission d’aménagement du ter­
ritoire de la métropole, est bien
décidé à « sanctuariser la nature ».
Alors qu’il avait promu l’urbani­
sation des terres agricoles à Lam­
bersart lorsqu’il était maire de
cette commune au nord­ouest de
Lille, il s’oppose aujourd’hui au
projet de « bétonisation » de
Saint­Sauveur venu, selon lui,
« du siècle dernier ».

« Les tartuffes sont au beffroi »
Au­delà du cas emblématique de
la friche lilloise, toute démarche
de verdissement de la politique
de la maire est également atta­
quée. Lors du conseil municipal
du 4 octobre, la ville de Lille a en
effet déclaré symboliquement

« l’état d’urgence climatique ».
« Les tartuffes sont au beffroi, a
tout de suite ironisé le candidat
de La France insoumise (LFI), Ju­
lien Poix, avant de dénoncer la
« comédie écologique de la majo­
rité » et de citer d’autres projets.
« Le ciment frais coule à flots sur
Lille : un nouveau tribunal sur la
plaine Churchill, le centre com­
mercial Lillenium, le nouveau Fo­
rum, Euralille 3000 et, bien sûr,
l’aménagement de la friche Saint­
Sauveur, sommet des contradic­
tions entre les discours “greenwas­
hés” et les actes bétonnants. »
Les élus EELV, partenaires de
Martine Aubry dans la majorité
municipale, ne souhaitent pas op­
poser logements et nature. Les
23 hectares doivent « être vus
comme une chance d’engager, ou
non, une véritable transition à Lille,

bien plus qu’un simple vernis vert »,
estiment Stéphane Baly et Stépha­
nie Bocquet, pour la liste Lille
verte 2020, en se félicitant de la
création d’un « grand parc à Saint­
Sauveur », nécessaire pour lutter
contre les « vagues de chaleur ».
Véritable feuilleton judiciaire, le
dossier Saint­Sauveur est tou­
jours aux mains du tribunal admi­
nistratif. Deux nouveaux recours
ont été déposés en septembre par
les associations PARC Saint­Sau­
veur et ASPI, bien décidées à ne
pas voir cet espace être intensé­
ment urbanisé. En attendant, des
opposants au projet d’aménage­
ment réunis au sein du collectif
Fête la friche ont érigé un impo­
sant doigt d’honneur en bois haut
de quatre mètres. Un message
clair avant les municipales.
laurie moniez

É L E C T I O N S M U N I C I P A L E S

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